Auteur: Boumédiene
Date: 2001-07-04 15:02:22
Un 5 juillet pour reformuler la nation.
(El Watan du 4 juillet 2001)
Et si nous nous interrogions sur le sens que peut avoir un 5 juillet, quarante ans après l’indépendance, une marche réclamant la reconnaissance d’une identité reniée, n’y trouverions nous pas le symbole de notre échec collectif ? Et ne serions nous pas tentés dans le même temps d’y percevoir une dernière chance de reformuler la nation ?
*
* *
N’avons-nous pas honte de vivre un événement insolite et tragique qui oblige une partie de la nation à déléguer ses représentants pour réclamer, dans le calme et la raison, leur droit le plus élémentaire ?
Comment peut-on rester insensible au fait que nos compatriotes soient obligés de demander ce que la nation était en charge de le leur garantir ? Comment en est-on arrivés là et quelle excuse peut-être invoquée ?
Qui sommes-nous pour refuser à tout algérien le droit de vivre son identité telle qu’elle lui a été transmise, de prospérer avec la culture et la langue héritées de ses parents et de progresser dans les coutumes de son choix ?
De quel droit, mais aussi dans quel intérêt ? Car ceux qui escomptent imposer par la force cet état de fait pensent-ils sincèrement continuer à l’imposer indéfiniment ? Si ce n’est le cœur ou la morale qui s’exprime, on peut néanmoins espérer que la crainte du chaos ferait réagir le plus primaire des esprits. Au moins éviterons-nous le pire à défaut de construire et de pérenniser une nation qui, avec ce seul argument, est inexorablement vouée à se disloquer.
La protestation a cette fois-ci un caractère autrement plus troublant que la démonstration de force du million de citoyens déployés dans les rues d’Alger le 14 juin dernier. Débarrassée de l’attribut de sa puissance, la foule, c’est le symbole qui apparaît avec plus de force dans l’annonce de cette marche. L’anonymat de la marée humaine laisse place ce 5 juillet aux visages qui portent en eux le message d’un appel désespéré.
C’est pourtant si simple car n’avons-nous pas assez de difficultés, presque insurmontables, pour nous embarrasser d’un problème stupide ? Notre économie est à la dérive, la rente pétrolière confisquée par une caste incontrôlable et inamovible, le système éducatif et culturel ébranlé, la démocratie introuvable, le rapport à la foi schizophrénique et les déséquilibres sociaux dramatiques. Et pourtant on s’acharne à laisser pourrir une question fondamentale qui est cause d’une fracture profonde au sein de la nation.
Notre génération a considérablement évoluée et n’a plus rien à avoir avec ces dinosaures qui reviennent nous hanter dans les hautes fonctions de l’Etat comme pour nous rappeler que le chemin est encore long pour sortir des ténèbres. Le niveau intellectuel est si haut que je refuse à croire qu’elle n’est pas capable de réagir avec sa raison et son intelligence. Ces intellectuels de toutes les régions savent au fond d’eux-mêmes que les principales valeurs qui les ont pénétrées sont l’esprit d’ouverture et de tolérance. Ils savent que l’essentiel est dans la beauté de la réflexion, dans celle des livres, dans la culture et dans toutes les formes créatrices de l’être humain. Ils savent très bien combien la force de cette conviction est bien plus solide que celle que nous oppose les dinosaures. Ils savent enfin combien est simple et positif la reconnaissance des droits naturels de leurs compatriotes berbères. Ils savent que ma position affichée et militante, tout en étant arabophone et francophone, est en fait inscrite en eux-même car nous avons suivi le même itinéraire de formation et d’ouverture.
Je les exhorte à ne plus avoir peur de faire ce pas qu’ils ont si facilement fait lorsqu’il s’est agit de s’ouvrir aux cultures du monde. Ne serait-ce pas un comble que leur élan vers les différentes richesses du monde ne s’accompagnât d’un blocage vis à vis de leurs propres frères.
Ce qui fait face aux algériens est en même temps le plus simple et le plus fondamental des défis. Régler le problème identitaire serait ouvrir la voie à tous les rêves et recommencer à espérer car rien n’est possible dans le statu quo actuel. Même la constitutionnalisation de l’amazigh, sans autre rapprochement plus tangible, n’est pas suffisante car elle inclurait dans le texte un rapport de force qui s’exprime dangereusement dans la société. Il suffirait pourtant de presque rien pour que l'on brisât les chaînes qui nous emprisonnent. Un geste si simple envers nos compatriotes berbères et tout redevient possible.
Tous les rêves nous seraient permis, même les plus fous, et pourquoi pas celui de nous libérer de ce fléau qui nous a avilis depuis si longtemps, mené à notre ruine, confisqué notre bonheur et annihilé toute chance de percevoir la moindre parcelle d’intelligence.
Oui, même ce rêve, celui de nous débarrasser définitivement du régime militaire, nous serait possible. Ensemble, ce 5 juillet rembobinons ce mauvais film et faisons reprendre à la nation un nouveau départ.
SID-LAKHDAR Boumédiene - Enseignant.
|
|
