Auteur: Amirouche
Date: 2003-02-01 12:50:06
Le Congrès de la Soummam entre dérive et reniement (première partie)
Par Khaled Bensmaïn(*)
La campagne dirigée contre le Président Ben Bella - après son passage à l'émission de la chaîne el Jazira « Le témoin de l'époque » - pour des propos sciemment travestis, et à des fins que l'on devine, ne procède ni de l'impératif de « rétablir » des faits d'histoire, ni de celui de défendre la mémoire d'un homme, Abane Ramdane, dont l'engagement pour l'indépendance de l'Algérie n'a jamais fait de doute et qui n'appartient, par sa dimension, ni à un clan ni à une région, mais à l'Algérie et à son histoire avec ses moments de gloire et de grandeur, mais également ses moments d'atonie et de reflux. Les raisons de ce brusque engouement pour la « vérité » historique - en fait limité à la diatribe et au propos diffamatoire - et cet empressement à défendre la mémoire d'un militant de la cause nationale par une corporation qui s'est depuis longtemps investie dans la lutte politique sont plus à rechercher dans les replis d'un combat idéologique que dans le souci de susciter des témoignages, d'ouvrir des débats et de contribuer ainsi à alimenter la matière de l'historien.
En tentant de ressourcer la Révolution à de fausses généalogies et en appelant à un passé dont on a forcé la lecture, l'objectif évident est de justifier un engagement politique présent qui, pour le moins que l'on puisse dire, a causé beaucoup de torts au pays.
Le jugement du Président Ben Bella sur le Congrès de la Soummam, qu'il qualifie de « reniement des principes du 1er Novembre », porte le débat sur des questions de fond qu'on ne saurait réduire à un conflit de personnes pour le leadership de la Révolution comme on ne saurait les taire pour des motifs d'opportunité liés à quelque raison d'Etat.
Les critiques de Ben Bella
C'est en fait, dès le lendemain du Congrès de la Soummam, en septembre 1956, que Ben Bella formula ses critiques, dans une correspondance adressée aux membres du CCE pour les convier à surseoir à la publication des décisions du Congrès « jusqu'à ce qu'une confrontation des points de vue de tous les frères habilités à cet effet soit faite » (1). Sa critique portait sur trois points essentiels : la non-représentativité du Congrès due à l'absence de certaines wilayas et de responsables de premier plan de la Révolution, l'abandon de l'@!#$ comme référent identitaire, la présence des centralistes dans les instances dirigeantes.
Dans le ton de la lettre, on ne relevait ni acrimonie ni hostilité ; il s'agissait simplement de mettre en garde le CCE contre les « risques très graves » que ne manquerait pas d'entraîner la publication de ces décisions et il l'invitait « très fraternellement » à retarder leur publication, jusqu'à consultation des responsables qui furent empêchés d'assister au Congrès. Cette demande était d'autant plus légitime que Abane Ramdane, en annonçant à ces derniers, en janvier 1956, qu'« une plate-forme politique » était en cours d'élaboration, leur proposa de la leur envoyer « avant de la rendre publique pour qu'(ils) donnent (leur) avis » (2). N'ayant rien reçu, la délégation extérieure réitère, le 15 août 1956, la demande qu'elle avait adressée le 15 février 1956 réclamant le texte de la plate-forme politique promise par Abane.
La lettre envoyée par Ben Bella au CCE attirait l'attention sur les sérieux risques auxquels le Congrès de la Soummam exposait la Révolution. Ces risques étaient liés aux graves dérives qui marquèrent ces assises, dérives qui n'étaient pas nouvelles puisqu'elles avaient déjà engendré, en moins de cinq ans, deux crises qui secouèrent le parti.
La crise dite berbériste de 1949, qui souleva la question de l'identité et qui se solda par l'exclusion de quelques cadres et même l'élimination physique de certains autres.
Le glissement du parti vers le réformisme sous l'impulsion de ceux-là mêmes qui avaient été opposés à l'action armée et qui allaient pourtant se retrouver à la tête de la Révolution en août 1956. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, il n'était guère exagéré de redouter que s'ouvre une ère de conflits fratricides dans les rangs de la Révolution. C'était d'ailleurs pour éviter ce danger que la Proclamation du 1er novembre avait tranché d'une manière claire et précise ces deux questions en fixant comme objectifs : l'indépendance nationale « par tous les moyens » et « la restauration de l'Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes de l'@!#$ ». En outre, parmi les objectifs que s'était fixé la Révolution, « la réalisation de l'unité nord-africaine dans son cadre naturel arabo-musulman » figurait en bonne place.
Les référents doctrinaux
La principale critique formulée par Ben Bella à propos du Congrès de la Soummam portait sur la question de l'@!#$ en tant que référant idéologique majeur de la Révolution, référant que ce Congrès avait totalement occulté. En plus du sentiment d'appartenance à une sphère identitaire commune et à une même aire civilisationnelle, dont la @!#$ et la langue constituent les piliers, en plus d'une histoire commune dans ses grands axes, il y avait chez Ben Bella la conviction que la guerre de libération nationale allait être longue et dure et que le combat de l'Algérie allait donc avoir besoin de la mobilisation et du soutien du maximum de pays, principalement du monde arabe et musulman, naturellement impliqués dans le combat de l'Algérie. La volonté de disperser les effectifs ennemis sur toute l'étendue du Maghreb en entraînant les peuples maghrébins dans la lutte procédait de la nécessité d'affaiblir les forces coloniales, sur le plan militaire comme sur le plan diplomatique, et également de jeter le premier jalon d'une unité maghrébine retrouvée grâce à la lutte pour l'indépendance nationale. Ce combat unitaire constituait une des préoccupations majeures pour la direction de l'extérieur qui inscrivait l'idée d'une confédération nord-africaine dans sa vision stratégique. « Pour Ben Bella, sans généralisation de la guerre en Afrique du Nord, la résistance algérienne court le danger de voir la lutte se prolonger. Les tendances conciliatrices qui manquaient de confiance dans la lutte armée pourraient alors, grâce au soutien de la Tunisie et du Maroc, reprendre l'initiative perdue en novembre 1954 et engager la révolution dans la voie des compromis. Ce raisonnement exprime une visée stratégique qui ne sacrifie pas à l'immédiat » (3).
C'est avec ce souci que la direction extérieure soutenait sans réserve Salah Benyoucef, secrétaire général du Néo-Destour et opposant de Bourguiba, et qu'elle s'était engagée avec lui et avec Allal El Fasi, représentant l'Istiqlal marocain, à poursuivre la lutte contre le colonialisme français jusqu'à l'indépendance totale et effective des trois pays maghrébins. Dans le même temps, la direction intérieure adressait au Président tunisien, partisan d'une indépendance par étapes, une lettre par laquelle elle exprimait son soutien à son action et à celle de son parti. (4)
L'opposition de Abane à cette démarche stratégique de Ben Bella se trouvait clairement exprimée dans une lettre qu'il adressa, le 13 mars 1956, à la délégation extérieure et dans laquelle il leur faisait remarquer qu'il « n'avait pas la même optique qu'eux sur la question » et leur reprochait de dissiper leurs efforts à vouloir « entraîner dans la lutte la Tunisie et le Maroc » (5)
Aussi s'opposera-t-il au projet de constitution d'une Confédération nord-africaine qu'il s'apprêtait même à condamner par un communiqué, n'eût été l'annulation de la rencontre maghrébine, suite à l'arraisonnement de l'avion transportant les cinq chefs du FLN qui en empêchera la publication. (6)
Sur le plan arabe, Abane, qui était opposé à toute relation directe avec le monde arabe, rappelait que les seules relations devant exister entre ce dernier et l'Algérie devaient transiter par le bureau du Comité de libération du Maghreb. (7) Ces relations, si elles doivent exister, ne sont nullement perçues par lui comme l'expression d'une identité qui se renforce sur le plan politique, par la conscience d'appartenir à une communauté de destin, mais comme des opportunités à saisir pour dénoncer les « palinodies » des gouvernants arabes ou pour « exploiter la rivalité Caire-Baghdad » (8) conformément aux intérêts de l'Algérie. Son hostilité à l'Egypte est manifeste : « Les appréciations de Abane sur la politique égyptienne sont sévères et quelque peu injustes. Car au 1er novembre 1954, l'Egypte a été le premier pays et longtemps le seul à 'porter' la Révolution algérienne. L'Egypte était et reste le plus grand, le plus disponible des pays arabo-musulmans, le centre incontournable pour la propagande, la diplomatie et la logistique » (9). En réponse à l'orientation qu'il jugeait « trop arabe » de la délégation extérieure, il invita le Congrès de la Soummam à « rechercher l'appui des Etats et des peuples d'Europe, y compris celui des pays nordiques et des démocraties populaires » (10).
Le peu d'engagement de Abane dans une politique arabe était certainement motivé aussi par sa conviction que le problème algérien pouvait avoir une solution « dans le cadre des conditions de compromis prévalant au Maghreb » (11). C'est donc en prévision d'un dénouement rapide de la situation coloniale, à l'instar de ce qui s'était passé en Tunisie, qu'il pensait pouvoir faire l'économie de relations avec le monde arabe qui n'auraient fait que renforcer la délégation extérieure et particulièrement Ben Bella, qu'il voulait écarter à tout prix. De telles divergences doctrinales allaient nécessairement entraîner des choix stratégiques qui ne pouvait pas être sans conséquences dans la conduite de la guerre.
Le retour au réformisme
La seconde critique formulée par Ben Bella, dans sa lettre adressée au CCE, portait sur la composition de la nouvelle direction de la Révolution désignée par le Congrès de la Soummam. Pour se faire une idée plus précise des enjeux et des raisons qui justifièrent l'opposition des hommes du 1er Novembre aux centralistes, il nous semble utile de faire un bref retour en arrière et remonter au deuxième congrès du MTLD.
Ce congrès allait consacrer d'une manière décisive l'orientation réformiste prise par le parti depuis quelque temps, et par conséquent, le renoncement à tout projet insurrectionnel qui ne tiendrait pas compte du nécessaire « travail de conscientisation » du peuple. Le souvenir des journées du 8 mai 1945 était encore vivace et inhibait la direction du parti au point qu'elle se sentit comptable de toute éventuelle répression et qu'elle faisait de la « préparation » et de « l'union nationale » un préalable à toute action « sérieuse ». Cette mystique de la « préparation », de la « conscientisation » du peuple, alors que la politique suivie par le parti - rapprochement avec les partis réformistes dans le cadre du Front algérien pour la défense des libertés démocratiques, politique de collaboration avec le courant libéral qui activait au sein de la colonisation - l'éloignait de cette option, servait surtout à atténuer l'inquiétude des militants quant à la nouvelle orientation du parti. Une telle politique supposait la liquidation de toute idée d'insurrection armée et, par voie de conséquence, la marginalisation des hommes qui la défendaient. Il fallait donc procéder à l'isolement de l'OS et à l'éviction de l'homme qui représentait l'aile dure du parti, qui incarnait depuis trois décennies le nationalisme le plus radical, qui était le moins enclin aux compromis et dont la revendication constante et sans équivoque demeurait l'indépendance de l'Algérie. L'éloignement de Messali Hadj permettrait la mise en uvre d'une politique qui s'élaborerait dans le respect des étapes et la quiétude des états-majors. La prise en main du parti par une élite consciente de ses capacités et libérée de l'angoisse d'avoir à mener une action, assimilée par elle à une aventure, constituerait le triomphe de la « politique de consolidation et d'élargissement des forces du parti (du) travail de formation et de préparation sérieuse, (de) la recherche d'une union solide de toutes les forces saines, de la nation » sur « la violence verbale, l'agitation, le sectarisme et l'aventure » (12). Cette nouvelle orientation du parti qui s'appuyait sur la conception élitiste d'une organisation fondée sur des « méthodes de plus en plus rationnelles et scientifiques », qui condamnait ceux qui « n'ont aucune compétence » (13) à servir d'appoint à une politique ne tenant plus compte des aspirations de la masse des militants, allait conduire à la scission du parti et à l'abandon du projet insurrectionnel.
Contrairement aux autres partis, les centralistes avaient le même itinéraire politique que les hommes du 1er Novembre et avaient milité ensemble dans le PPA ou le MTLD. Leur divergence portait sur l'opportunité d'une action qu'ils jugeaient prématurée, sinon irréaliste.
En réaction à la déliquescence du mouvement indépendantiste dont la scission est désormais consommée avec la tenue à un mois d'intervalle de deux congrès, celui des messalistes à Hornu en Belgique et celui des centralistes à Alger, le 1er novembre se voulait être une rupture avec les « deux clans qui se disputent le pouvoir » et en même temps un dépassement de la crise qui secouait le mouvement indépendantiste. Devant le cours nouveau imposé par les hommes de l'OS, les centralistes, après leur libération en mai 1955, estimaient qu'en toute légitimité, leur niveau intellectuel, leur savoir-faire politique et leur expérience militante les destinaient à être, sinon la nouvelle direction du mouvement révolutionnaire, du moins à y avoir une place prépondérante. D'autant qu'ils attribuaient les « carences » organisationnelles du FLN et son radicalisme « irresponsable » à sa direction qui, dans sa totalité, venait de l'Organisation spéciale.
La libération des centralises fut précédée par l'arrivée à Alger d'un nouveau gouverneur général, Jacques Soustelle, dont la mission principale était l'étouffement de la Révolution. De peur de voir l'Algérie s'embraser et devenir un autre Vietnam, il chercha à isoler la Révolution moyennant quelques réformes politiques et un dialogue avec les représentants des partis politiques algériens à l'exclusion du FLN. Son arrivée allait coïncider également avec la libération de Abane Ramdane, chargé par Krim Belkacem de l'organisation d'Alger.
La « 3e force », imaginée par Soustelle et qui devait être composée de représentants des partis algériens ne remettant pas en question la présence française en Algérie, fut dénoncée par Abane dans un tract aux militants d'Alger dans lequel il leur demandait de démasquer les centralistes « qui par lâcheté assistent en spectateur à notre lutte lorsqu'ils ne la dénigrent pas en privé » (14). A cette date, c'est-à-dire en juin 1955, les seuls à avoir autorité à parler au nom de l'ALN étaient, selon lui, « les dirigeants du FLN qui se trouvent à l'intérieur et à l'extérieur de l'Algérie » (15).
Mais quelques mois plus tard - avec le « ralliement » des centralistes qui avaient reçu des assurances quant à la volonté du gouvernement français d'entamer des discussions avec les représentants des Algériens à l'exclusion des « égorgeurs du FLN » ainsi que les promesses de règlement de la question algérienne faites par le Front républicain et dont la campagne électorale se déroulait sous le thème de la paix en Algérie par la négociation - les dirigeants de l'extérieur ne deviendront plus que « des patriotes émigrés en Orient, chargés par le FLN/ALN d'un travail à l'extérieur » (16). Les centralistes qui avaient une « appréciation du rôle de la gauche française, des possibilités d'évolution de la minorité européenne et du poids de l'ONU, exagérément optimiste, et qui contraste singulièrement avec les prévisions de Ben Bella et Boudiaf » (17), étaient convaincus que l'indépendance de l'Algérie se ferait par étapes, à l'image de ce qui se déroulait en Tunisie, et que les changements politiques qui allaient avoir lieu en France à la faveur de la victoire du Front républicain, favoriseraient cette perspective.
Cela nécessitait évidemment quelques aménagements, tant sur le plan de l'idéologie du mouvement indépendantiste que sur le plan de la composante humaine qui serait à la tête du mouvement. Car la plate-forme du 1er Novembre avec ses référents arabo-islamiques ne pouvait représenter, pour les libéraux, le cadre idoine à des pourparlers et sa direction issue de l'OS trop marquée par son radicalisme ne pouvait constituer des interlocuteurs valables pour d'éventuelles négociations. D'où l'idée de la direction intérieure de créer un parti avec de nouvelles structures, une nouvelle plate-forme idéologique et surtout de nouveaux hommes qui incarneraient cette nouvelle orientation. Le recours à des hommes opposés au 1er Novembre, mais auxquels il ne faudrait, malgré tout, ôter ni l'intégrité ni le patriotisme, ainsi qu'à la petite bourgeoisie des villes, répondait à ces impératifs : « C'est dans ces classes (classes moyennes et bourgeoises) que la reprise en main de l'ALN en vue d'un compromis rapide avec la France se fait sentir avec le plus de force » (18). Cette stratégie allait permettre, d'une part, de mettre entre les mains de Abane l'organisation du FLN grâce à un aréopage de militants expérimentés et au niveau d'instruction supérieur à la moyenne, mais qui avaient à leur passif leur opposition à l'insurrection armée et, d'autre part, de donner à la Révolution un visage modéré propre à rassurer la partie française.
Pour la nouvelle « direction » d'Alger, il fallait préparer les conditions de la mise en uvre de cette politique en commençant de rallier au FLN les oulémas et l'UDMA et, dans le même temps, procéder à l'éviction des hommes du 1er novembre. Une délégation composée de trois centralistes mandatés par Abane rencontrèrent, à San Remo en Italie, Ben Bella représentant la direction extérieure pour lui faire part des conditions émises par leurs interlocuteurs français : ces derniers acceptaient de dialoguer avec les représentants algériens, à l'exclusion du FLN. Pour accéder à cette exigence, les émissaires de Abane proposèrent à Ben Bella la constitution d'une autre organisation qui représenterait « les intérêts des maquisards ». Convaincu que les représentants français étaient de mauvaise foi et soupçonnant les centralistes de vouloir engager la Révolution dans la voie de la conciliation, Ben Bella opposa à ses interlocuteurs son refus catégorique de voir le FLN sabordé et réaffirma que c'est avec ce seul parti que la France négocierait. « Les réserves de Ben Bella et de Boudiaf sur les anciens dirigeants (centralistes) dont la défaite politique n'est qu'apparente ne manquent pas de fondement » (19). Plutôt que d'aller à un conflit ouvert, la direction d'Alger décida de garder le sigle du FLN, mais en s'employant, d'une part, à le vider de son substrat idéologique et, d'autre part, à en éliminer les premiers responsables.
K. B., (*)ex-secrétaire général du MDA
La deuxième partie paraîtra dans notre édition de samedi.
Lire « Les nouvelles révélations de Ben Bella » dans nos éditions des 18, 19, 21 et 22 janvier 2003.
(1) Belhocine Mabrouk, Le courrier Alger-Le Caire, 1954-1956, Casbah éditions, Alger 2000, p. 197
(2) Lettre du 6 janvier 1956, in Belhocine M. op. cit. p. 119 (Doc. 16)
(3) Harbi Mohamed, Le FLN mirage et réalité, édit. Jeune Afrique, Paris 1985, 2e édit.
(4) Lebjaoui Mohamed, Vérités sur la Révolution algérienne, Paris, pp. 105-106
(5) Lettre du 13 mars 1956, in Belhocine M. op. cit. p. 154 (Doc. 28)
(6) Malek Réda, L'Algérie à Evian, Casbah éditions, Alger p. 27
(7) Lettre du 4 novembre 1956, in Belhocine M. op. cit. p. 109 (Doc. 11)
(8) Lettre du 13 mars 1956, in Belhocine M. op. cit. p. 157 (Doc. 28)
(9) Belhocine M. op. cit. p. 159 note 9
(10) Extrait de la plate-forme de la Soummam
(11) Harbi Mohamed M. op. cit. p.186
(12) La Nation algérienne, organe du MTLD, 3 septembre 1954, Alger
(13) Rapport du comité central. Résolutions du Comité central sur les moyens de résoudre la crise in Harbi M. Aux origines du FLN, édit. Christian Bourgeois, Paris 1975 p. 242
(14) Tract diffusé en juin 1955 par le FLN in Conscience maghrébine n°6-7 décembre 1955.
(15) Id.
(16) Lettre du 4 novembre 1956, in Belhocine M. op. cit. p. 109 (Doc. 11)
(17) Harbi M. Le FLN, mirage et réalité, p. 185
(18) Id. p. 185
(19) Harbi M., le FLN, mirage et réalité, p. 192
K. B., (*)ex-secrétaire général du MDA
29-01-2003
SUITE ***************************************************
La rupture avec les origines
C'est ainsi que le 15 mars 1956, Abane Ramdane adressa à la délégation extérieure une lettre dans laquelle il lui fit savoir que les responsables d'Alger n'avaient pas, du FLN, la même conception. Si pour les hommes du 1er Novembre le FLN, écrivit-il « est la continuation PPA-MTLD-CRUA Pour nous, le FLN est quelque chose de nouveau ce n'est ni le PPA, ni le MTLD, ni même le CRUA » (20). Ce « quelque chose de nouveau » représentait donc la rupture avec les sources du nationalisme que sont le PPA-MTLD, et visait à délégitimer sur le plan politique les auteurs du 1er Novembre. En fait, l'exclusion de ces derniers devait permettre à Abane de se libérer des contraintes idéologiques de la déclaration du 1er Novembre et de réduire les dirigeants de l'extérieur à n'être, dès lors, que de simples militants avec le même statut que les nouveaux arrivés au FLN et feraient tout au plus partie de « la délégation extérieure qui sera composée de toutes les personnalités qui adhéreraient au FLN ». Celle-ci aurait à sa tête Lamine Debaghine (21), un ancien responsable du PPA, qui avait refusé, à la veille du 1er novembre, de prendre la direction du mouvement révolutionnaire, comme le lui avaient proposé les hommes de l'OS. Abane ajoutait que « la rencontre avec les délégués du gouvernement français est tombée à l'eau. Les Français ne veulent pas que nos délégués d'Algérie soient Krim, Zirout et Ben Boulaïd » (22), c'est-à-dire les hommes du 1er Novembre. A cette date, les illusions entretenues grâce à l'émergence d'une troisième voie - qui ne serait ni celle des ultras d'Algérie, ni celle des radicaux du FLN et avec laquelle la France négocierait - n'avaient pas totalement disparu des calculs de la direction d'Alger.
Cette mise au point de Abane quant à la conception qu'il avait du FLN et sa décision de remplacer les hommes qui étaient à la tête de la Révolution exprimait des choix politiques et traduisait des divergences idéologiques de fond. Pour les « historiques », le FLN était l'aboutissement du processus de résistance engagé par le peuple algérien contre le colonialisme. Malgré les discontinuités et les ruptures dans le mouvement national, la constante qui a toujours entretenu et animé la résistance de ce peuple est l'@!#$. Le FLN était le dépositaire d'un héritage qui prenait racine dans le combat de l'émir Abdelkader, de Bouamama et de cheikh El Haddad, dans celui des confréries et zaouias qui se levèrent à l'appel du djihad. Il était le continuateur de l'ENA, du PPA et du MTLD, dont le credo avait toujours été l'indépendance de l'Algérie dans le cadre de l'@!#$ et l'arabité.
Mais pour la direction intérieure représentée par Abane, le FLN était le « rassemblement de tous les Algériens qui désirent sincèrement l'indépendance », il ne se revendiquait d'aucun passé. Il était constitué des principales forces politiques du pays. On retrouvait en son sein des Algériens d'origine (ex-centralistes, UDMA, oulémas, sans parti), des communistes et des pieds-noirs organisés dans des associations, des personnalités libérales de confessions différentes une sorte de projection politique de cette « nation en formation » chère à Maurice Thorez.
Les enjeux du congrès
Du fait de ces divergences idéologiques et de la volonté de Abane Ramdane d'avoir la haute main sur le mouvement révolutionnaire, l'élimination des dirigeants extérieurs était inscrite dans la logique des choses. Que le contact promis par Abane à la délégation extérieure afin de se joindre aux congressistes n'ait jamais quitté l'Algérie, n'a de ce fait rien de surprenant. Même le motif invoqué pour expliquer cette absence au rendez-vous (Ben Bella attendra en vain plusieurs jours durant l'émissaire qui devait le conduire jusqu'au lieu où devait se tenir le Congrès) témoigne du peu de cas qui était fait des dirigeants de l'extérieur. En effet, Salah alias Ben Khedda (qui remplaçait Abane) écrivit à la délégation extérieure pour l'informer qu'il leur « a été impossible de vous envoyer quelqu'un à SR tel que nous l'espérions car si l'autorisation de sortie de l'Algérie est accordée aux nôtres, par contre le retour est impossible d'obtenir » (23). Ainsi ni la délégation extérieure, ni les représentants des Aurès et de l'Oranie, ni ceux de la base de l'Est, ni les délégués de la Fédération de France du FLN ne participèrent à la rencontre de la Soummam. C'est donc en l'absence de la majorité des responsables du FLN/ALN que les six responsables présents au Congrès adoptèrent la plate-forme de la Soummam qui sous une apparence séduisante sur le plan théorique frappait en fait d'ostracisme tous ceux qui ne s'accordaient pas avec la nouvelle ligne.
Celle-ci tentait d'imprimer un cours nouveau à la Révolution et allait dans le même temps renouer avec les conflits d'avant-1954 dans un contexte marqué par la guerre menée contre la France. Les divisions artificielles mises en place par le Congrès de la Soummam avaient un enjeu, la direction du mouvement. D'authentiques patriotes furent éliminés pour avoir refusé de reconnaître les décisions du Congrès de la Soummam. La wilaya des Aurès, dont les chefs furent arrêtés grâce au concours de la garde nationale tunisienne puis exécutés, fut décapitée, des responsables de premier plan menacés dans leur vie furent contraints à la démission ou à l'exil. Le Congrès de la Soummam exprimait un nouveau rapport de force en faveur des courants qui étaient opposés à l'option armée.
La primauté de l'intérieur sur l'extérieur visait à disqualifier les dirigeants qui étaient hors d'Algérie. Pourtant, c'est la direction du CCE qui allait elle-même piétiner ce principe lorsqu'elle s'est trouvée six mois plus tard à gérer la Révolution de l'extérieur. La primauté du politique sur le militaire, principe dont on ne cesse aujourd'hui de louer les vertus prophylactiques, n'avait en fait pour objectif que d'exclure de la décision politique les responsables de l'ALN qui étaient à la tête des wilayas et qui commençaient à organiser le pays profond.
Le FLN était à la fois une organisation politique et militaire et ceux qui élaboraient les résolutions étaient en même temps exécutants car la capacité de chacun à remplir avec succès, en cas de défaillance, la tâche des autres était une condition de survie. Il n'y avait pas de fonction noble et d'autres qui l'étaient moins. L'action du militant allait de l'embuscade et de l'accrochage avec l'ennemi à la sensibilisation et la mobilisation des populations, de l'organisation des grèves à la perception des collectes.
Le retour au 1er Novembre
Derrière ces principes d'« exclusion », que sont la primauté de l'intérieur sur l'extérieur et du politique sur le militaire et au-delà des luttes pour la prééminence au sein du FLN des alliances conjoncturelles et des éliminations physiques, c'était donc bien deux lignes politiques qui s'opposaient. L'une se ressourçant dans le PPA de Messali Hadj était convaincue que le colonialisme n'est pas amendable et que sa nature est antinomique à la liberté et à la justice. Le légalisme et le réformisme ayant montré leurs limites, il ne restait à la dignité que la voie des armes. Son choix s'appuyait essentiellement sur les classes rurales. L'autre courant « incarné par Abane avait son support dans les villes. Potentiellement bourgeoise, bureaucratique, elle était jacobine et centralisée (24) » ; moins confiante dans les possibilités du peuple, elle perpétuait encore l'illusion d'un possible dialogue avec la puissance coloniale.
Le 1er Novembre, en se détournant des partis politiques accusés de « corruption et de réformisme cause de notre régression actuelle(25) », s'était naturellement tourné vers cette Algérie des villages et des douars des Hauts Plateaux et de la steppe. C'est là que commença à prendre forme l'Etat algérien indépendant dans les embryons d'une administration et d'une justice indépendantes de celles du colonialiste, dans l'organisation des djemaâ et l'élection de leurs représentants, dans les services de santé et l'enseignement dispensé par les commissaires politiques. L'Etat naissant dans cette armée issue du peuple, dans son drapeau et son hymne national, dans la rencontre de l'étudiant avec le paysan, de l'homme des villes avec celui des campagnes. La campagne relayant la ville, le terroir s'ouvrant à la nation.
La « dérive » du 20 août 1956 allait être corrigée lors de la réunion du premier CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) en août 1957, soit une année après la tenue du Congrès de la Soummam. Le CNRA décida qu'il n'y aurait pas de discrimination au sein du conseil, tous ses membres étant titulaires. Il n'y aura pas non plus de primauté entre le politique et le militaire, « tous ceux qui participent à la lutte de libération avec ou sans uniforme, sont égaux (26) », comme il n'y aurait pas de différence entre l'intérieur et l'extérieur. En outre, il précisa une nouvelle fois les buts de la Révolution algérienne, en se conformant à la déclaration du 1er Novembre : « L'institution d'une République algérienne démocratique et sociale qui ne soit pas en contradiction avec les principes fondamentaux de l'@!#$ ». Enfin, le CNRA rendit justice aux « historiques » en les désignant d'office et à titre honorifique comme membres du CCE car il considéra qu'« il est de l'intérêt général que ces frères, malgré leur emprisonnement, restent associés aux organismes de direction et d'exécution ». Toutes ces résolutions furent votées à l'unanimité des participants, sauf celle qui a trait au principe de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur où le CNRA enregistra deux abstentions, celles de Abane Ramdane et Slimane Dehilès. Le journaliste et historien J. Duchemin, qui côtoyait les dirigeants à Tunis, écrira : « Le fond du problème, on le sait, réside pour le FLN dans le choix d'une voie définitive : ou bien il sera un mouvement musulman, islamique, panarabe, maghrébin avec Ben Bella et ses amis et il donnera à l'Algérie le visage de l'Egypte ; ou bien il sera un parti moderne, révolutionnaire, émancipateur, dynamique et il donnera à l'Algérie l'avenir de la Macédoine, de la Gaule, de tous les peuples barbares devenus les vainqueurs de leurs anciens maîtres et fondant avec eux une nouvelle civilisation issue de leur jeune sang allié à l'intelligence et à la technique de leurs anciens seigneurs (27) ».
Malgré le retour au purisme du 1er Novembre, une année après la dérive du 20 août 1956, le mouvement révolutionnaire va se déliter et se perdre dans les luttes de clan pour le leadership de la Révolution. Ces luttes allaient particulièrement s'exacerber avec la sortie des dirigeants du FLN d'Algérie et l'instauration de barrages électrifiés aux frontières isolant « l'intérieur » de « l'extérieur ». La violence et l'exclusion, inaugurées par le Congrès de la Soummam, allaient être érigées en méthode de gestion des oppositions. En décembre 1957, Abane Ramdane est victime de la logique qu'il mit en branle un 20 août 1956 à Ifri, dans la Soummam.
K. B., ex-secrétaire général du MDA
(20) Lettre du 15 mars 1956, in Belhocine M. op. cit. p. 161 (Doc. 29)
(21) Lettre du 13 mars 1956, id. p. 155 (Doc. 28)
(22) Lettre du 3 avril, id. p. 169 (Doc. 30)
(23) Lettre du 24 juillet 1956, in Belhocine M. op. cit. p. 186 (Doc. 41)
(24) Harbi M., le FLN, mirage et réalité p. 183
(25) Déclaration du 1er Novembre
(26) Décision du CNRA, 20-27 août 1957
(27) Duchemin J., édition La Table ronde, Paris 1962, p. 328
La première partie de cette contribution est parue dans notre édition du jeudi 30 janvier.
K. B., ex-secrétaire général du MDA
31-01-2003
|
|