Auteur: al djazaïri
Date: 2003-02-27 12:52:39
Oui, le mythe kabyle a été une des réalités de l’Algérie coloniale ainsi que je vous l’avais précisé en me fondant sur les écrits de C.R. Ageron, incontestablement le meilleur spécialste de l’histoire de l’Algérie contemporaine. De ce point de vue, le texte de Grandguillaume et le travail de Mahé dont il est question n’apportent strictement rien de nouveau : on y reconnaît immédiatement les propositions d’Ageron, celles de la thèse de doctorat de Jean-François Guilhaume et, bien sûr , celles des « trois études d’ethnologie kabyle » de Bourdieu.
Ce qui est intéressant c’est la lecture faite par Grandguillaume des travaux de Mahé (n’ayant pas lu ces derniers, je vais me limiter aux propos de Grandguillaume et à la vision qu’il offre des travaux en question).
Si la question de la légitimité du pouvoir est pertinente (l’idée que le ou les pouvoirs en Algérie souffrent d’un déficit de légitimité peut faire l’objet d’un consensus) elle n’a pas de lien nécessaire avec l’idée d’appartenance nationale ; il s’agit de deux thématiques distinctes qu’on peut bien sûr à loisir lier entre elles, à condition de démontrer la logique de cette liaison.
Par contre, on peut se poser le problème de la pertinence de la question suivante : « Au-delà du critère juridique, qu'est-ce qui fait qu'une personne a conscience d'être algérienne? » et se demander s’il s’agit d’une problématisation susceptible de traitement dans le cadre de la sociologie ou de l’anthropologie. Il suffit de remplacer « algérienne » par « italienne », « luxembourgeoise », « française » etc. pour percevoir la difficulté portée par une telle question dont la réponse ne relève pas de manière évidente de la sociologie ou de l’anthropologie. Où alors il faudrait doter la démarche d’un appareil conceptuel et méthodologique nouveau, ce qui n’est clairement pas le cas dans ni dans les propos de Grandguillaume ni dans les travaux exposés par ce dernier.
En réalité Granguillaume cherche, comme à son habitude, à fourvoyer le lecteur en posant un problème d’ampleur nationale dans certains termes et à citer en démonstration un travail fondé sur une autre problématique et libellé en d’autres termes. Ce qui conduit à l’erreur suivante : en se focalisanant sur une région, en dépit de la diversité constatée au sein même de cette région, on repère des systèmes symboliques supposés être la trame du lien social en kabylie. Soit, mais il aurait fallu, avant que de les poser comme fondateurs d’une originalité proposer une approche comparative avec plusieurs autres régions d’Algérie. Ce type d’objection a en fait été prévu par l’auteur qui cherche à la prévenir ainsi : « Sous cet aspect, à la différence de l'Algérie dans son ensemble, la Kabylie ne s'est pas sentie menacée dans son existence, et c'est ici qu'il faut mentionner l'effet bénéfique du « mythe kabyle », en tant qu'il a eu valeur de reconnaissance. Alors que l'Algérie n'était pas reconnue comme telle, mais divisée en départements français et livrée à la gestion des colons, l'entité kabyle était valorisée. » et, plus loin, « Il n'en a pas été de même pour l'Algérie dans son ensemble, accablée dans le mépris colonial. »
On peut noter simplement les éléments suivants pour contredire les postulats présentés par Granguillaume : les principes fondateurs énoncés sonnent de manière étrangement familière à mes oreilles d’Algérien non Kabyle et non berbérophone : Jammaa, Sacré, Honneur (Herma, Nif), système vindicatoire (nom usuel : vendetta dont vient apparemment d’être victime Kamel Benbara), Marabouts, pratiques magico-religieuses…
On peut aussi rappeler deux éléments purement historiques : 1) le processus de rachat de terres par les colonisés n’a pas concerné, tant s’en faut, que la Kabylie, 2) l’insurrection dite kabyle si elle a bel et bien connu son foyer d’activité principal en Kabylie s’est étendue sensiblement au delà de cette région.
En réalité, tout ce fatras n’est présenté que pour faire passer la pilule de ce qui pour Grandguillaume (et peut-être Mahé ?) est réellement fondateur en Kabylie c’est à dire le mythe kabyle apporté par le colonisateur. Bien sûr, et pour cause, on insiste à plusieurs reprises sur le fait qu'un mythe est un mythe, que tous les mythes se valent pour peu qu’ils travaillent effectivement l’inconscient collectif : peu importe d’où ils viennent et qui en sont les auteurs (en l’occurrence les colonisateurs) et dans quelles intentions. On appelle ça un tour de passe-passe car un mythe fondateur ne saurait avoir été généré de manière externe à une société donnée, et encore moins par ceux qui l’ont asservie. Dans le cas contraire, il ne s’agirait que d’une scorie du phénomène colonial un peu comme le « bon nègre ». Ce que Granguillaume ne sait pas, ou feint de ne pas savoir, c’est que le mouvement national a déjà répondu à la question d’une mythologie nationale et ce d’une manière constante; on sait comment a fini Imache qui s’inscrivait au rebours de la démarche fondamentale du nationalisme algérien : dans la lutte contre le colonialisme, c’est cette dernière impulsée par l’émir Khaled et surtout Messali d’une part, les Ulémas d’autre part qui a prouvé son efficience. La donne est sans aucun doute sensiblement modifiée depuis l’indépendance mais ne saurait remettre en question l’essentiel de ce qui a animé le mouvement national.
Reste qu’effectivement, le problème crucial qui demeure en suspens en Algérie est bel et bien celui de la légitimité du pouvoir qui est l’enjeu principal des luttes qui se produisent avec violence depuis plus d’une décennie. C’est ainsi que le problème est posé, en dépit de leurs divergences considérables, par des mouvements aussi différents que le FFS ou les islamistes (ex FIS). C’est seulement quand ce problème sera réglé que la Kabylie pourra enfin être autre chose que le terrain de jeux favori pour les agissements néfastes de certains clans dirigeants du pays (qui ont quasiment réussi, lors des dernières élections, à faire passer le FFS pour une officine liée au pouvoir. Chapeau les artistes !).
PS : Quand je vois qu’Abdelhak Brerhi préside un Comité membre de je ne sais plus quelle coordination intertribale, je ne sais s’il faut rire ou pleurer (ou pleurer de rire)
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