Auteur: Rif
Date: 2001-04-28 00:13:50
Après une semaine d'émeutes en Kabylie, la révolte fait tache d’huile
L’Algérie s’embrase
Les émeutes se généralisent en Kabylie et débordent sur les villes côtières de l'Est algérien. Hocine Aït Ahmed demande à l’ONU d’envoyer une commission d’enquête internationale
Le peuple algérien s'insurge en Kabylie et les émeutiers disent qu'ils en sont à la première semaine de l'Intifada. C'est une étincelle qui a fait partir le feu. Le meurtre à froid, le 18 avril, d'un jeune innocent par la gendarmerie de Beni Douala a provoqué la fureur des populations. L'émeute est quasi permanente dans de nombreux villages de la périphérie de Tizi Ouzou, et à Béjaïa. Des bâtiments administratifs ont été incendiés et saccagés, et les villes de Sidi Aïch, El-Kseur, Tazmalt, Seddouk et Timezrit, sont aussi livrées au pillage. Les émeutes s'étendent et s'aggravent encore le 26 avril. Comment la situation a-t-elle explosé? Rébellion Début de soirée du mercredi 18 avril, la nuit approche à Beni Douala, village kabyle semblable à une ribambelle de villages dans cette région montagneuse, surpeuplée et touchée de plein fouet par les effets de la crise économique. Mohamed Massinissa Guermah prend l'air devant la porte de la maison familiale. Il est happé, jeté dans un fourgon de gendarmes et battu sur les lieux même. Les témoins sont nombreux. Massinissa Guermah a été arrêté parce qu'il fallait arrêter quelqu'un. Il aurait dû être relâché. Mais à la gendarmerie, un autre jeune qui a été embarqué avec Guermah, voit un gendarme cribler froidement son ami de balles de mitraillette alors qu'il gisait à terre, inconscient. Vers 19 heures, le peuple kabyle est en fureur. Les jeunes et même leurs parents sont en rébellion ouverte. Les manifestants ont détruit des bâtiments officiels, ils s'en sont pris à la brigade de gendarmerie coupable, acculant les gendarmes à se retrancher. Les unités anti-émeutes tirent des grenades lacrymogènes, les jeunes, protégés des gaz par des foulards imbibés de vinaigre renvoient les grenades aux envoyeurs et les arrosent de cocktails Molotov bourrés de gravier. L'Armée passe aux balles en caoutchouc puis aux balles réelles. Selon les habitants, la mort du jeune Massinissa “n'est que la goutte qui a fait déborder le vase. Des incidents de ce genre ont conduit à la mort de quatre personnes au cours des trois années précédentes". Seul le Front des forces socialistes (FFS) “est totalement solidaire de l'expression légitime du raz le bol des populations face à l'impunité et à l'injustice". Même si ses locaux ont été incendiés comme ceux des autres partis, comme les mairies et les autres bâtiments officiels. Depuis une semaine les barricades se multiplient un peu partout. Les forces de sécurité arrêtent à tours de bras, les unités anti-émeutes chargent, les jeunes reculent, refont provision de pierres ou vont respirer un bol d'oxygène entre deux inhalations de gaz lacrymogènes et repartent à l’attaque. Des marches pacifiques commencent, mais les citoyens sont tellement révoltés qu'elles dégénèrent toujours en affrontements sans pitié entre des émeutiers qui ne craignent plus rien et des forces de l'ordre qui ne savent plus trop ce qu'elles défendent. Légitimité Le 23 avril, dans une lettre ouverte adressée par le président du FFS, Hocine Aït Ahmed, à la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies dont il a rencontré le Haut commissaire, il affirme que “la grâce amnistiante dont ont bénéficié 5.000 membres de groupes armés (est) une démarche de blanchiment réciproque de toutes les horreurs subies par la population algérienne civile… les différents services et corps de l'armée entretiennent chacun, séparément, des milices et des forces spéciales…les livres de Nesrallah Yous et Habib Souaidïa livrent des témoignages précis sur l'implication directe ou indirecte des forces de sécurité dans des assassinats ciblés et des massacres collectifs". Grave, mais l'auguste Kabyle a décidé d'avoir la peau des généraux en appelant à l'envoi d'une commission d'enquête internationale en Algérie. Hocine Aït Ahmed a même décidé d'engager des démarches auprès de certains sénateurs américains afin de les sensibiliser sur ce qu’il qualifie de grave crise des droits de l’Homme en Algérie et de verrouillage de l’espace démocratique. Khaled Nezzar, qui faisait la promotion de ses “mémoires" à Paris, où il a écopé d'un accueil hostile, traite M. Aït Ahmed de failli. Cupidité Mais Nezzar, contre qui le Parquet de Paris a ouvert une information judiciaire, et les généraux Belkheir, Mohamed et Smaïn Lamari sont dans une situation très délicate, ces derniers temps : plaintes pour crimes et torture ont été déposées contre eux à Paris. Yazid Zerhouni, le ministre de l'Intérieur, a dû se rendre à Bejaïa, le 25 avril pour y rencontrer les élus et les responsables politiques locaux. En vain. Il y a exprimé le regret du gouvernement et celui de son département “pour les accidents qui se sont produits” dans la région. Mais loin de se calmer, l'incendie commence à déborder la Kabylie, les émeutes sont brutalement réprimées mais sans succès. L'Algérie vit un tournant de son histoire: les généraux cupides et sanglants qui l'ont livrée aux terroristes, et parfois massacrée eux-mêmes, vivent dans l'angoisse, ils développent le syndrome Pinochet-Milosevic. Particulièrement depuis que Habib Souaidïa a déclaré qu'en tant que responsables de massacres, il accepterait d'être jugé par une cour de justice internationale... en même temps que ses chefs. Cinq jeunes, officiellement, ont perdu la vie dans les affrontements en Kabylie. La presse compare cette effervescence à “la révolte du pain", sauvagement réprimée, en octobre 1988 et on ne compte pas les blessés. L’insurrection loin de se calmer devient de plus en plus violente malgré une répression féroce.
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