Auteur: amirouche
Date: 2001-03-13 14:05:59
Azul,
Quelqu'un sur ce forum posa la question sur Da Lmouloud (Mouloud Mammeri); il ne le connaissait pas !!
C'est sidérant ... Mais il n'est jamais trop tard pour bien s'instruire.
Bonne lecture.
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Le débat resté pendant sur les modalités de la transcription de la langue berbère oppose les mammeristes traditionnels, qui s'en tiennent à l'alphabet gréco-latin et les mammeristes modernistes, qui se revendiquent de l'alphabet latin, sans le recours aux signes diacritiques, transcription adoptée par l'ensemble des linguistes et chercheurs berbérophones au Maroc.
C'est dire que cette adversité de deux tendances d'écoles berbérophones repose sur la formalisation transcriptive adoptée par Mouloud Mammeri, d'abord, comme support du passage à l'écrit des Isefra, poèmes de Si Mohand, premier recueil exhaustif riche de plus de 400 poèmes du barde, puis, comme étude formelle dans Grammaire berbère, étude éditée en kabyle et en français. Mais il faut signaler que l'alphabet gréco-latin n'est pas une invention de Mammeri et que son travail de recherche entrepris dans le domaine culturel berbère est multidimensionnel. Il est d'abord conçu dans un rapport intime au villageois qu'il fut, ayant appartenu à une lignée généalogique de poètes et de porteurs du verbe (awal). Cet aspect impressif, relevant de la sensibilité algérienne, s'exprime dans sa trilogie romanesque dont l' espace géo-identitaire villageois sera élargi dans son dernier roman
La Traversée (1982) à l'origine souche du Sud algérien représenté dans ce pamphlet contre les substitutions identitaires par Ba Salem, l'aède du tendi. Cette approche romanesque, la plus libre comme forme littéraire, imbrique l'impressif, la sensibilité, le rapport intime avec le primat culturel de l'enracinement au sol et à la langue mère et une prise de conscience aiguë de l'identité algérienne berbère dans sa spatialité la plus large et la plus féconde en écritures. La fibre berbère de La Colline oubliée n'est, aucunement, une mise en adversité à la fibre nationaliste post-45. Dans son entretien avec Mammeri, Tahar Djaout relève, à juste titre, qu'il n'y a pas d'ambivalences dans l'écriture romanesque de Mouloud Mammeri entre la souche kabyle de ses personnages autobiographiques et leur insertion pleine et entière dans le combat pour l'indépendance nationale. L'Opium et le bâton, sur ce point, reste le roman le plus lu sur la guerre de Libération qui n'exclut, cependant pas, la dimension identitaire. Le film de Ahmed Rachedi est une adaptation tronquée de l'esprit du roman, dont le réalisateur n'a retenu que l'aspect événementiel de la guerre de Libération, coupée de sa genèse identitaire.
Dans cette création romanesque de longue durée s'incruste, le recueil Les Isefra de Si Mohand Ou Mhand précédés de la première biographie du barde ainsi que d'une approche pionnière sur l'analyse formelle de la poésie mohandienne, interrogée aujourd'hui, sous d'autres aspects de la recherche universitaire motivée par ce précurseur de la linguistique formelle et textuelle amazighe. Yenna yas Cheikh Mohand, entièrement rédigé en berbère, hormis une introduction des plus consistantes sur le mouvement maraboutique en Kabylie, ses origines et ses configurations socio-religieuses et hagiographiques, l'ahellil du Gourara, approche éthnomusicolgique du genre exprime la richesse et la diversité des approches de ces recueils. Mais, c'est l'introduction magistrale aux Poèmes kabyles anciens, détonateur du Printemps amazigh, qui constitue la profondeur philosophique, anthropologique et historique des analyses sur une généalogie de la poésie kabyle de Youcef U Qaci à Si Mohand Ou Mhand. Dans cette introduction, Mouloud Mammeri montre à quel point les degrés de chosification par le prisme colonial et, plus tard, dans le déni identitaire dans l'Algérie de la post-Indépendance, de la création de l'oralité poétique ont considéré comme des feuilles mortes l'esprit vivant et novateur des aèdes. Il dénonce la folklorisation de l'oralité berbère et montre, par la consistance de ses recueils, sa structure féconde comme repère essentiel d'une scripturalité moderne. Dans un recueil de ses premiers textes, Culture savante et culture vécue ( éd. Tala, 1988) partagés entre la réflexion sur l'identité berbère et l'analyse thématique de quelques faits saillants qui lui sont liés, comme la notion de " tamurt " et sa transpolysémie, illustre la rationalité de la recherche, la fécondité du propos et, surtout, l'esprit fécond et ouvert de l'homme de lettres, du linguiste, de l'anthropologue, de l'enseignant interdit de son cours de berbère à l'université d'Alger. La richesse de Da Lmulud est à la mesure de ses travaux qui constituent les fondements scientifiques de l'identité amazighe comme appartenances et comme objet d'étude. C'est ce double regard en soi et sur soi qui confère à l'œuvre de Mouloud Mammeri ces dimensions de la sensibilité de l'homme enraciné au socle identitaire et porté à l'universel par l'apport linguistique, la base méthodologique de ses travaux sur l'anthropologie berbère menée durant de longues années à titre de directeur du CRAP.
A tufat !
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