Auteur: Rif
Date: 2001-07-08 19:00:17
Le Figaro (censuré au maroc)
Rabat : de notre envoyé spécial Thierry Oberlé
Publié le 5 juillet 2001, page 2
Depuis le début de la révolte des Kabyles en Algérie, leurs cousins berbères marocains n’ont guère eu l’occasion d’exprimer leur solidarité. Soucieuses d’éviter une contagion, les autorités surveillent comme le lait sur le feu les initiatives des militants de la cause amazigh. Les manifestations de rue sont systématiquement interdites. Le 1 er mai, à Rabat, quelque 150 manifestants ont toutefois scandé : «Pouvoir algérien assassin !» et : «Il faut corriger l’histoire, nous ne sommes pas arabes !» Des banderoles en graphie tifinagh (l’alphabet berbère) ont même été brandies, et un sit-in devant l’ambassade d’Algérie a été dispersé par les forces de l’ordre. Au nord et à l’est du pays, des étudiants se sont rassemblés sur les campus. «Nous étions plusieurs milliers à Oujda pour célébrer le printemps berbère. Les étudiants berbéristes ont des convictions affirmées. Nous aussi nous luttons contre le pouvoir et pour la reconnaissance de notre culture, mais nous avons pris tellement de retard sur les Kabyles», lance Anouar, un étudiant en droit privé.
«Nous avons un double regard sur la Kabylie. Nous sommes fiers qu’une partie de notre peuple se soulève directement contre un pouvoir qui l’ignore. Dans le même temps, nous sommes consternés par notre impuissance à donner une suite politique à notre combat», commente Hamid Lihi, le président de Tada, la coordination des associations amazighes. Le réveil berbère au Maroc est, il est vrai, un phénomène récent, qui touche principalement des intellectuels et une frange estudiantine de la jeunesse radicalisée du Rif. Les observateurs sont divisés sur ses potentialités. «C’est une réalité qui est localisée dans le Rif. Ailleurs, on ne le sent pas du tout. Les dialectes se sont dilués dans l’arabe. Ils ne sont plus parlés par les jeunes dans le Moyen-Atlas ou dans le Souss», constate la sociologue Souamya Guessous. Installé à Rabat, l’historien français Benjamin Stora est d’un avis opposé : «La crise des idéologies arabes qui cimentaient la rue, comme les nationalismes, le baasisme, et le début de reflux de l’islamisme favorisent l’émergence d’une radicalité berbère. Ce mouvement peut devenir une lame de fond qui remette en cause le dogme arabo-musulman.» Et Ali Lmarbet, le turbulent directeur de l’hebdomadaire Demain, de renchérir : «Quelles que soient les différences qui existent entre les deux pays, nous sommes assis sur la même poudrière. La même, sauf que la nôtre n’a pas encore sauté.»
Ainsi, le 22 juin aurait pu marquer l’histoire du mouvement berbère marocain. Réunis à Bouznika, les signataires du « manifeste du 1er mars 2000 » – un texte marquant la renaissance des revendications amazigh – devaient débattre de la création d’un parti politique. Mais ce jour-là, la petite ville fut quadrillée par les gendarmes et l’accès à la salle publique interdit. «Nous nous sommes finalement retrouvés à 250 dans une maison de Rabat. On ne peut tout de même pas empêcher les gens de se réunir chez eux», raconte l’avocat Ahmed Adghirni. «L’ordre d’interdire la manifestation est venu du ministre de l’Intérieur. Il veut que l’on reste calme jusqu’aux élections législatives de l’année prochaine. Il demande la tranquillité sans la moindre contrepartie», s’indigne-t-il. Son modeste cabinet du centre de Rabat se remplit peu à peu de militants berbéristes. Il y a là, assis en cercle, des enseignants, des étudiants et le traducteur de La Mouette, de Tchekhov, en tamazight. «Les autorités ont peur de nous. Elles estiment que le décollage du Maroc moderne nécessite le silence des Berbères, mais le Maroc de demain ne se fera pas sans nous», affirme l’avocat. Tout a commencé voici une dizaine d’années avec la création d’un réseau associatif qui réclame comme en Algérie la reconnaissance du tamazight en tant que langue officielle aux côtés de l’arabe. En 1994, après la fin des «années de plomb», Hassan II pense lâcher un peu de lest en lançant des bulletins d’information télévisée dans différents dialectes.
L’opération vise en fait surtout à démontrer que le tamazight n’existe pas. «Les présentateurs parlent avec l’accent du coin un patois arabe. C’est comme si un Basque du sud-ouest de la France parlait en français en truffant son langage de mots basques. Au Maroc, on a toujours voulu folkloriser les Berbères pour les ringardiser. Pour la télé, un Berbère, c’est un campagnard enturbanné qui irrigue son champ. Ce sont des sous-développés analphabètes qui font des tapis, de l’artisanat et des danses», déplore Hamid Lihi, le président de Tada. Cette vision passéiste est aujourd’hui dépassée par la dynamique des associations. Rédigé par l’académicien et ancien directeur du collège royal Mohammed Chafik, le manifeste berbère remis au cabinet royal va au-delà de la défense de la langue. Il réécrit une histoire du Maroc dénaturée, selon lui, par l’arabo-baasisme. Enfin, il réclame un programme de développement économique prioritaire pour les régions défavorisées qui sont en majorité berbérophones. Signé par un million de Marocains, le manifeste est le résultat de longues discussions auxquelles participait le chercheur Hassan Aourid, l’auteur d’une thèse de doctorat intitulée Islamisme et berbérisme au Maroc et animateur d’un centre de réflexion sur la société marocaine.
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