Auteur: Amirouche
Date: 2001-06-22 16:48:32
Une petite partie du compte rendu de l'intervention de H. SALM lors d'un colloque de spécialistes l'année dernière.
Un autre mot. Même si G. Devereux reste la référence en matière d'etnopsychiatrie, il n'en demeure pas moins que certains de ses élèves ont une conception différente sur quelques aspects des désordres mentaux et de leurs itiologies. D'où le terme "chercheur", plus humble et réaliste vu la complexité de l'être.
Actuellement, il exsite un seul centre d'accueil et de soin ethnopsychaitrique en France. C'est le Centre G. Devereux installé à l'intérieur de l'Université de Paris VIII. Paris reste la plaque tournante de l'Ethnopsychiatrie en Europe.
George DEVEREUX est d'origine hongroise, décédé en 1985.
Bonne lecture.
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L’exclusion de la tradition orale. Autour de Hamid Salmi...
Comment penser le problème de la non-coïncidence entre les idéaux proclamés et les valeurs intériorisées issues de la tradition algérienne orale? Comment penser la séparation entre le discours public et les appartenances privées? Comment rassembler la conscience islamique? Cette tentative de négociation plus locale ne permet-elle pas d’échapper à la scission moderne-non-moderne?
La confrontation avec l’Occident
On peut trouver des éléments d’explication historique dans la question de la confrontation avec l’Occident qui, bien avant le choc même de la colonisation, remonte aux rencontres entre rationalités grecque et arabe. Certes, la fin de l’autonomie en 1871, l’aliénation, entraîne un désengagement des saints locaux, un doute quant aux intercesseurs. Mais le problème de la transmission de l’averroïsme au 9 ème siècle fait naître la conscience tragique d’une déchéance et la question d’une renaissance impérative conséquente : la transmission orale s’en trouve condamnée et les possibilités d’intercession entre le monde des humains et celui des non-humains annihilées. Nous passons d’un monde à univers pluriel à l’imposition d’un monde unique. Fallait-il renoncer à l’héritage traditionnel pour s’intégrer à la rationalisation? On peut repérer trois positions habitant le discours public :
1) Le nationalisme : l’accès à l’universel passe par l’affirmation du national (unité de la langue) comme cadre de la rationalité, comme rempart contre l’hégémonisme du monde extérieur (combat contre le danger de la diversité).
2) Le réformisme islamique : désigne la situation anté-islamique comme fanatique et barbare (danger de l’Islam se transformant en idéologie de combat).
3) L’ambivalence : position d’ambivalence par rapport à la philosophie classique arabe et par rapport à la pensée moderne des sciences humaines, par peur des contre-pouvoirs.
La séparation privé-public
Mais comment penser le problème de la transmission sans faire intervenir la maladie contagieuse de la modernisation? Le problème n’est peut-être pas tant celui de la communication avec l’Occident que celui d’une communication entre langues proches. Une certaine ambivalence caractérise le discours arabe : tantôt les appartenances traditionnelles (et les systèmes thérapeutiques à univers pluriel qu’elles véhiculent) sont perçus comme des potentiels de division pour les nationalistes combattant le danger de l’adversité, tantôt elles sont perçues comme des véritables cultures. Reste que la culture berbère veut promouvoir une culture de “salon”, un discours “rationnel” moderniste, à défaut de la transmission des anciens dialectes. Comment réinstituer un dialogue entre les langues provinciales et les langues mises en Empire, telles que la langue arabe classique? C’est au niveau de ces négociations plus locales que peut se poser de façon intéressante la question d’un monde commun. Les invisibles véhiculés par ces univers pluriel parlent des langues différentes : bien qu’ils ne sont plus installés sur la place publique, ni dans le discours qui s’y active, ils interagissent toujours dans la vie privées des gens. Comment les faire dialoguer entre eux?
Le dispositif ethnopsychiatrique...
La culture arabe et les systèmes thérapeutiques impliquant un monde à univers pluriel restent quelque chose d’inanalysable théoriquement. Le dispositif ethnopsychiatrique et la clinique qui le sous-tend font cohabiter les deux cultures, orale et rationnelle, et nous obligent à problématiser la question de la traduction, de la transmission, en une confrontation constructive. C’est une casuistique clinique qui constitue une véritable analyse concrète du problème de la confrontation. Les patients portent en eux ce qui se perd de cette tradition orale, celle-ci est comme intériorisée, inhérente à la fabrication des personnes. Le dispositif constituant précisément le cadre clinique où celle-ci puisse s’extérioriser. Les djinns, vecteurs de ce monde pluriel, ne sont certes plus installés sur la place publique, mais ils sont toujours présents, ils interagissent toujours dans la vie des gens. Nous observons ainsi des gens tiraillés entre un camouflage administratif (écoles modernisatrices) et une vie privée entourée de rituels traditionnels. C’est pourtant cette vie privée, intériorisée, ce noyau culturel, qui constituent l’essence même de la personne et qui permettent de la protéger en cas de maladie.
Mise en scène du dispositif ethnopsychiatrique. Autour des praticiens du centre G. Devereux....
L’art de la prescription
Nous observons, en cercle, le “simulacre” du dispositif ethnopsychiatrique auquel nous participons par alternance... Une série de co-thérapeutes, un couple composé d’une française et d’un algérien constituent la scène : ils s’entretiennent et s’interrogent au sujet des dissonances qui fragmentent le couple.
Ce dispositif se veut “créateur de paix” dans la mesure où il ne prend pas parti : il reçoit les époux, la famille et toute personne susceptible d’être impliquée dans la situation. C’est la séparation des époux, la consultation individuelle qui constitue un déclencheur de guerre... Alors que le but du dispositif thérapeutique est précisément de comprendre et de faire naître l’“être” présidant à la rencontre de ces deux personnes.
Nous comprenons vite que la fonction de la thérapie n’est pas de “com-prendre” la personne, de connaître sa “vérité”, de la capturer unilatéralement. Cette capture unilatérale rejoint la méthodologie de la question qui, à la différence d’une prescription, ne fait que sous-entendre implicitement une théorie du mal de la personne, une étiologie comme simple élément d’anamnèse. Dans le geste thérapeutique, toute question est une induction. Le but n’est pas de connaître la vérité, mais de parvenir à modifier certaines caractéristiques de la personne. Pour ce faire, le thérapeute ne rencontre pas des personnes, mais des sortes d’entités, il cherche à faire naître des “êtres” et à négocier avec ceux-ci. Il s’agira alors de manier, non pas l’art de la question, mais de l’interprétation et surtout de la prescription, imposant l’idée que le thérapeute dispose, en tant qu’expert, d’une théorie du mal, qu’il est un professionnel du mal. Ce n’est pas tant le contenu des prescriptions qui importe, mais le processus même qu’elles déclenchent : une guerre conceptuelle, un conflit entre théories dont l’issue est l’adhésion du patient à l’univers conceptuel du thérapeute. La consultation peut alors se comprendre, non pas comme une discussion de personnes à personnes, mais comme une confrontation des théories et comme une inversion d’expertise. Le disositif thérapeutique consiste à faire naître des êtres à partir de la situation considérée, êtres circonscrivant l’espace conceptuel du thérapeute. Et pour que cet univers théorique du dispositif constitue un pôle magnétisant l’ensemble du processus, il doit impérativement renvoyer à un univers non-susceptible d’être habité par des humains.
L’être comme artefact?
Les êtres sont là, ils grouillent. Mais souvent, ils ne sont pas installés. Les êtres voyagent, sont refoulés, mais dès lors qu’ils sont convoqués par la création d’un dispositif artificiel et clinique, ils interagissent : sans quoi le processus thérapeutique ne pourrait se déclencher. Ils existent indépendamment de la scène thérapeutique, mais sont convoqués par l’entremise d’un dispositif technique. Il y a donc “création” d’êtres à partir de la situation considérée, construction technique comme ouverture d’un espace de non-humains déchargeant les personnes de certaines obligations, dès lors négociées avec ces êtres mêmes. On peut fabriquer le dispositif permettant à l’être de se manifester, mais l’être ne se fabrique pas, il agit...
La relation duelle n’étant plus d’utilité, le patient est invité à explorer un dispositif public “imaginé” et institué par le groupe auquel il appartient. Si l’on peut considérer que le dispositif se fabrique, et que sa “reproduction” telle que nous l’observons ici sous la forme d’un mime témoigne précisément de son artificialité, la fabrication des êtres qu’il véhicule est à distinguer de celles des objets scientifiques de laboratoire : l’appartenance au “propriétaire” ne se fabrique pas, l’être ne se fabrique pas... Ce sont les objets qui sous-tendent cette appartenance qui, éventuellement, font l’objet d’une fabrication de type “faitiche”... Mais, sans une part de “non-décision”, sans une intervention “non-humaine”, pas d’appartenance, ni de transformation thérapeutique.
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