Auteur: Amirouche
Date: 2001-06-22 11:43:56
Quelques mots sur l’ethnopsychiatrie, mode d’intervention.
Je suis thérapeute et je travaille depuis une douzaine d’années dans l’ethnopsychiatrie.
Nous recevons des familles migrantes du Maghreb, de l’Afrique, des Antilles, de la Réunion,
et souvent des couples mixtes européens, africains, et maghrébins. Nous travaillons dans un
cadre groupal, c’est-à-dire que nous recevons des familles en étant nous-mêmes un groupe,
dans un groupe de thérapeutes.
Dans ce groupe de thérapeutes, il y a l’animateur principal, qui mène l’entretien, celui qui
traduit (la traduction est un univers extraordinaire, il n’y a pas d’équivalence mot à mot d’une
langue à une autre, certaines zones sont étanches, et la traduction est aussi un domaine de
recherches), il y a un médiateur, qui possède la langue la plus proche du patient, celle dont il
est natif si possible et qui ne se confond pas avec la langue nationale. En France, nous avons
l’idée d’unité entre pays, nation, peuple et langue, alors que dans un pays comme le
Cameroun, il y a plus de 100 langues.
Nous traduisons donc dans la langue, et nous travaillons aussi avec les étiologies
traditionnelles. Chaque peuple a sa façon de référer son mal un dysfonctionnement, un
désordre, un problème, psychique ou social à une causalité, qui peut-être le «mauvais oeil », la
«malédiction», «l’envoûtement», etc. Ce sont des mots approximatifs, pour traduire toutes les
causalités traditionnelles qui existent dans un groupe. Donc le malheur, la maladie, la
malchance, sont toujours référés à une causalité et tout le problème, c’est de donner sens à
l’insensé, car quand il y a une maladie, un dysfonctionnement, au début, pour le migrant, c’est
l’impensable. Qu’est-ce qui m’arrive ? Est-ce qu’il y a quelqu’un dans l’univers qui peut
penser cet impensable, qui se manifeste souvent par des symptômes physiques et qui peut se
référer à la possession, à la transgression d’un tabou, etc.
À ce moment-là, nous déployons toutes ces étiologies traditionnelles, et dans le groupe
chacun va dire: «Je pense que c’est dû à telle ou telle chose, et à ce moment-là le patient se
sent intégré dans son univers culturel, se sent en quelque sorte enveloppé, reculturé, car le
cadre groupal permet aussi d’étayer, de porter le patient.
Les patients d’origine occidentale, ou même un observateur étranger européen, peuvent
s’étonner de ce cadre en disant que le patient ne va pas livrer son intimité au sein d’un groupe,
alors que c’est tout l’inverse qui se passe, c’est-à-dire qu’il est d’autant plus porté à livrer son
intimité personnelle qu’il y a un groupe. Cela veut dire que dans le groupe il y a des témoins,
on ne peut pas lui faire mal. Ici on considère que la déontologie c’est qu’il ne faut pas qu’il y
ait de témoins parce que c’est l’intimité, dans ces sociétés, c’est tout à fait l’inverse. Il y a tout
un travail qui est fait sur les causalités traditionnelles, sur la langue, parce que le patient va
exprimer ses sentiments, ses émois les plus intimes, dans les nuances de sa langue, et il y un
travail de portage par le groupe. Ce groupe est pluri-culturel et représente les différentes
ethnies et les différentes divinités.
Voilà le cadre technique dans lequel je travaille.
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