Google
Publications | Forums | Annonces classées |Rencontrer ou correspondre | Annuaire |Médias |
Le Blog
Interview du Webmestre sur France3
 GUERRE DE "JUGURTHA"
Auteur: Ammar NEGADI 
Date:   2002-01-28 18:52:37

« LA GUERRE DE JUGURTHA »


AVERTISSEMENT !
Vous pouvez faire tout usage que vous jugeriez utile sous réserve de citer :
- l’auteur : Ammar NEGADI
- et la source http://www.chez.com/aureschaouia

APPEL A CONTRIBUTION
Ce modeste travail comporte certainement des lacunes, des omissions, des imperfections, à vous de me les signaler.
D’avance merci !




Quelques extraits de l’ouvrage en cours de préparation :

« Yughurthen, ni Rome Ni Médine »,

Présentation

Pourquoi Yughurthen plutôt que Massinissa, La Kahina, Abd El Kader, Abd El Krim ou tout autre héros Nord-Africain ?

Nous avons délibérément choisi « la guerre de Jugurtha » (d’après le récit de Salluste) parce qu’elle s’appuie sur un texte ancien, riche, complet. Ce qui n’est pas le cas de bien des épisodes de notre histoire. Le récit de Salluste, malgré les reproches qui lui ont été adressés, demeure essentiel pour une vue d’ensemble de la geste yughurthinienne. Sans le récit de Salluste, Yughurthen n’existerait pas, boutade lancée par un ami à ceux qui condamnaient les a priori et la partialité de Salluste. En effet, sans ce texte, ou les écrits d’historiens étrangers, indépendamment de leurs qualités ou défauts intrinsèques, qu’elle vision aurions-nous de notre histoire ? Sans eux, bien des aspects nous seraient demeurés non seulement obscurs mais inaccessibles ; à jamais clos. Sans eux et, nonobstant leurs partialité et leurs défauts on ne le répétera jamais assez, aurions-nous eu accès à notre histoire ?

Car, il ne sert à rien de se voiler la face, nos ancêtres, jusqu’à une époque relativement récente, écrivaient peu ou pas du tout. A de rares exceptions près. Ils semblaient n’avoir jamais éprouvé ni le besoin ni l’utilité de consigner notre histoire. Les rares tentatives en ce domaine ne furent ni conservées ni poursuivies... des gouttes d’eau dans le désert !

Le second choix ayant déterminé notre démarche, est que la guerre de Yughurthen constitue, en elle-même un condensé, une synthèse de tout un pan de notre histoire. En effet, tous les éléments et les ingrédients, émaillant notre histoire tout au long des siècles, s’y trouvent réunis en un raccourci saisissant ! Que ce soit la lutte pour reconstituer de nouveau un Etat réunifié et solide ? Que ce soit la résistance, acharnée, héroïque, d’un peuple qui lutte pour son indépendance ; que ce soit la bravoure, l’ingéniosité et l’esprit de sacrifice déployés par Yughurthen ; que ce soit nos maladies mortelles : l’anarchie et son cortège d’improvisation, d’inorganisation, d’imprévoyance, de calculs à courte vue, de défections mais surtout l’abandon et la trahison. Si la plupart de nos ennemis venaient de l’étranger (de l’Est en particulier), souvent les coups mortels nous furent portés par les nôtres. Notre malheur nous venait davantage de nos cousins et frères, de nos trahisons que des défaites infligées par l’ennemi. Le poignard dans le dos de la part de nos frères nous fut bien plus fatal que les soi-disant occupations ennemies.

L’étranger et/ou l’ennemi, jamais ne triompha de nous lorsqu’il nous trouva unis, debout, solidaires. Se heurtant à notre farouche détermination, il dut bien souvent battre en retraite et s’en retourner d’où il venait. Aussi, constatant notre invincibilité, l’ennemi chercha d’autres moyens de nous vaincre. Et très vite, il découvrit l’essence de nos failles et de nos faiblesses. Il lui suffisait de flatter et d’accueillir, les bras ouverts avec le sourire aux lèvres, certains de nos chefs avec quelques marques de respect bien appuyées. Et ces chefs devenaient d’indéfectibles alliés et supplétifs voués corps et âmes... De même qu’il leur suffisait, pour mieux encore renforcer leur domination, d’offrir en mariage quelques jeunes et nobles vierges pour que les princes imazighen ne se sentant plus de reconnaissance s’entremettent et s’entre-dévorent. En fait, il suffisait d’exacerber les jalousies et les rivalités naturelles ainsi que les haines fratricides pour découper tribus et royaumes en ‘rondelles’. Et l’ennemi sut utiliser cela avec un art consommé. Il lui fut facile de diviser pour régner. Grâce à quoi, tout ennemi vint à bout de nos résistances aussi héroïques fussent-elles. Il lui suffisait d’utiliser Akli pour battre Idir.

Aussi, en résumant nos luttes passées, la guerre de Yughurthen préfigure, par ses divers aspects (moyens, méthodes, durée, etc.), l’archétype des luttes futures que mèneront nos ancêtres des siècles durant pour aboutir, il y a seulement un demi-siècle à peine, à nous affranchir de toute domination étrangère.

Conçu dans un but didactique, ce travail est destiné à un public jeune, nord-africain en particulier, pour qui la seule lecture de Salluste, outre qu’elle est rebutante, est insuffisante. Rebutante, la lecture de Salluste l’est à divers titres : d’abord un mauvais préjugé la précède : sa partialité et, même son édition bilingue est souvent considérée à tort comme étant réservée à l’usage exclusif de ‘spécialistes’. Cependant Salluste a tellement été cité, tronqué, utilisé à tort et à travers, que son texte méritait d’être livré in extenso. Néanmoins la lecture seule de Salluste est insuffisante d’où le recours à des éclairages et autres fragments pour expliquer la guerre et l’époque de Yughurthen.

Aussi notre démarche est dictée par le souci à la fois d’offrir le texte de Salluste tel quel, mais complété par différents éléments, afin de donner une vision à la fois globale et cohérente d’une période qui dépasse de loin le cadre précis et limité de la guerre de Yughurthen. Dans ce panorama qui va du Ier siècle av. J.C. au Ier s. ap. J.C. Dans ces divers textes que d’aucuns trouveront disparates, nous sommes persuadés, quant à nous, que le jeune lecteur y trouvera rassemblé un ensemble d’informations lui permettant de mieux cerner et comprendre à la fois la guerre de Yughurthen et, par-delà, de quoi alimenter sa réflexion sur cette malédiction qui semble nous poursuivre depuis des millénaires.

Comme nous venons de le dire, le texte de Salluste, aussi partial, aussi imparfait ou incomplet fut-il, est le seul à relater la guerre que livra Yughurthen à Rome pour libérer l’Afrique de toute emprise étrangère. Certes quand Salluste entreprend d’écrire son histoire, la guerre de Yughurthen est déjà terminée depuis plus de soixante ans. Aussi peut-on s’interroger sur l’existence et/ou l’authenticité des matériaux, des documents, des sources et, éventuellement, des témoignage et de leurs validité, utilisées par l’auteur pour composer son ouvrage. En effet, il y a dans cette œuvre de tels enchaînements, des retournements de situation, des formules, des discours et des ‘mises en scènes’ qui rappellent la « construction forcée », bref la fiction romanesque...

Bien entendu, et nous en sommes parfaitement conscients, Salluste, en tant que Romain, va davantage nous éclairer sur l’histoire de Rome et des Romains que sur l’histoire de l’Afrique du Nord ; en tant que plébéien, il se sert de son récit pour flétrir et stigmatiser la noblesse romaine (le parti adversaire) ; en tant qu’ennemi des Imazighen, il ne cessera de leur témoigner haine, mépris et dédain. Mais peut-on s’attendre à autre chose d’un ennemi qui plus est de basse extraction !

Ces réserves émises, le texte sallustien est livré dans son intégralité, sauf les quatre premiers chapitres qui n’ont strictement rien à voir avec notre sujet et qui honnêtement ne l’amputent en rien. Mais, au récit de Salluste, nous avons ajouté :

a) De nombreuses notes, notices biographiques, chronologie, carte et illustrations... Bref, toute une architecture qui faisait défaut à l’ouvrage de Salluste.

b) Une introduction et un bref aperçu historique amènent le lecteur à mieux comprendre la guerre de Yughurthen : ses causes, ses conséquences et, par-delà, mieux à même d’appréhender d’autres épisodes de notre histoire de ces temps anciens.

c) Des extraits d’ouvrages historiques ou considérés comme tels. Le choix paraîtra arbitraire mais il est suffisamment large pour permettre analyse et comparaison. Dans chaque extrait nous décelons les tendances, les sympathies, l’opinion de l’auteur, qui s’expriment par le choix des citations mises en exergue et les omissions volontaires. Ces fragments sont pris chez des historiens réputés et consacrés comme chez des auteurs « spécialistes » du condensé, du jugement à l’emporte-pièce, de préjugés et de stéréotypes malsains. Ils ont tous cependant, à quelques exceptions près, un point commun : encenser Rome. Ou alors, quand ces auteurs sont Nord-Africains, sous prétexte de décoloniser l’histoire, c’est l’inverse que nous constatons... au point qu’ils discréditent ce qu’ils veulent servir. En sommes d’un excès nous tombons dans l’autre ! A ces extraits historiques nous avons inclus quelques résumés (trois) d’œuvres littéraires inspirées par la geste Yughurthinienne.
L’ensemble constitue néanmoins un modèle et un bon exercice de résumé et de contraction de textes (qui peut à tout instant être comparé au texte original) pour les jeunes auxquels nous destinons ce travail.

d) En complément, nous ajoutons « la guerre de Tacfarinas » d’après Tacite (qui a pris Salluste pour modèle) et deux extraits d’auteurs contemporains sur ladite guerre. Bien que se déroulant cent vingt ans plus tard, la guerre de Tacfarinas présente bien des similitudes et des analogies avec celle de Yughurthen. Au point qu’elles se complètent et s’éclairent mutuellement. En effet, on est frappé par la permanence, la fixité de certains traits de caractères mais également par les moyens, les méthodes, la tactique... Tout y est reproduit presque à l’identique. Comme si, chez les Imazighen, tout était figé malgré cent vingt ans qui séparent ces deux événements. Cela aussi mérite analyse et réflexion.

e) Pour compléter ce travail, nous avons inclus de brèves indications sur la croyance, la vie matérielle, la technique militaire, le sentiment national, l’organisation sociale et politique, etc., de nos ancêtres à l’époque. Puisse ceci aider le jeune lecteur à aimer Yughurthen et à mieux saisir notre situation actuelle, car elle présente bien des similitudes...

f) Et, enfin, pourquoi un tel titre : YUGHURTHEN. Ni Rome ni Médine ! C’est un long titre mais il nous paraît si évident et si bien résumer notre situation passée ou présente. Ne sommes-nous pas actuellement à un tournant de notre histoire où il n’est pas permis d’être le Bukhus de l’histoire ? Car il y a toujours en nous un Bukhuch qui traîne quelque part et près à nous poignarder. Hier par jalousie, pour un bon accueil ou une vierge carthaginoise ; aujourd’hui pour les mêmes raisons : nuire au frère qui nous fait ombrage, une miette de gloire, une belle Européenne ; ou tout simplement pour être le premier au paradis d’Allah !

Le délabrement de l’éducation dans le Sud francophone (c’est l’Afrique du Nord qui est visée, notamment l’Algérie) a été au centre des préoccupations lors d’un débat du Haut Conseil de la Francophonie au cours duquel l’écrivain marocain, Tahar Ben Jelloun, a mis en lumière le sort des lycées français à l’étranger de plus en plus chers et de moins en moins subventionnés. Aussi fut émise l’idée d’ingérence culturelle dans les pays où le service scolaire public ne remplit plus sa tâche. Donc, après le droit d’ingérence humanitaire, cher à Bernard Kouchner, nous voici bientôt menacé du droit d’ingérence culturelle ! Car, cet héraut de la francophonie qu’est Tahar Ben Jelloun, ce chantre de la démocratie lorsqu’il s’agit de donner des leçons aux Algériens, était, jusqu’à une date très récente, d’un mutisme royal lorsqu’il s’agit de sa Majesté Hassan dos !

Certes la situation en Afrique du Nord, et particulièrement en Algérie, est grave, dramatique, tragique, inqualifiable mais, sans prétendre qu’il y ait des régressions fécondes, comme s’ingénient quelques auteurs en mal de formules chocs, la situation est néanmoins porteuse d’espérances nouvelles. Contrairement aux pays repus, rompus, stériles, où l’intelligence de l’homme est saturée, frisant la débilité ; où les sentiments émoussés, les sens engourdis, tout esprit de révolte bannis, l’homme n’est plus qu’un tube digestif insatiable confinant au bovinisme. En Afrique du Nord, malgré la situation catastrophique et criminelle qu’elle traverse ; malgré la pauvreté, la misère et l’indigence des moyens, l’homme se révolte. Il se rebelle, lutte et conteste. Il réfléchit également, se met en questionnement, Même si les moyens et les méthodes ne sont pas adéquats ; mêmes si ses actes sont condamnables. Néanmoins c’est le signe que l’Histoire n’est pas figée mais au contraire en marche, en effervescence, en gestation. Demain, bientôt, un homme amazigh nouveau surgira.

Un homme nouveau qui aura recouvré totalement sa personnalité, son identité : ni Rome, ni Médine... Car le nœud du problème est situé là, à ce niveau de signification et d’identification. Tant que l’on continuera à lorgner vers l’Est ou l’Ouest, sans se regarder au fond de soi, sans nous nous réapproprier totalement, nous continuerons à nous entre-déchirer, à être mal portants et en porte-à-faux. Entre les tenants d’un intégrisme pur et dur prônant le retour vers une tradition d’essence purement religieuse et basée sur une relecture archaïque et rétrograde du @!#$ d’un côté. Et de l’autre, les tenants d’un modernisme à tout crins qui, à part des mots ronflants de sonorité tels que laïcité, démocratie, modernité, n’ont pas de véritable programme politique et économique, culturel et social crédible et sérieux à proposer. Bref, à part une gestation pénible chez les uns et des gesticulations criminelles chez les autres, jusqu’à présent aucun courant n’a accouché d’une philosophie pour nous sortir de ce guêpier. Certains n’ont même pas la volonté d’aller jusqu’au bout de leur peu de conviction.

Pour les uns, la tradition à laquelle ils aspirent et qu’ils veulent nous imposer, nous est exogène, totalement inspirée de l’étranger sans aucune adhérence à notre réalité, à notre identité. Ils veulent, sous prétexte de rejeter l’influence néfaste de l’Occident, nous ramener vers un âge d’or mythique où sultans, khalifes, vizirs et autres émirs iznogoud s’en donnaient à cœur joie... Les autres, les yeux rivés sur un Occident tout aussi mythique, s’imaginent qu’il suffit de le singer (on oubliant tout le processus socio-historique par lequel il est passé) pour réaliser aussitôt notre station orbitale dès demain, et à nous... la lune !

D’autres, plus subtils ou plus malins, se voulant objectifs et plus opportunistes, croyant pouvoir concilier ces positions antinomiques, nous proposent un syncrétisme où l’identité nord-africaine serait, selon eux, constituée du fameux triptyque : amazighité, arabité, islamité, et, pour faire bonne mesure, ils y ajoutent pendant qu’ils y sont (peut-être pour ne choquer personne) la francité, l’africanité, la méditerranéité... Bref, ne mécontentant personne, confondant l’être et l’avoir, l’inné et le savoir, ils nous proposent en fait une sorte de conglomérat, un plum-pudding inextricable qui, loin de clarifier la situation, ne fait que l’embourber davantage. Car, à vouloir nous réclamer de-ci, de-là, d’ailleurs et de partout, on finit par n’être plus rien et de nulle part ! A les suivre dans leur optique on ne peut être qu’un être fêlé, brisé, sans attaches ni repères.

Et l’Autre, l’étranger et/ou l’ennemi, aura toutes les raisons de nous mépriser, nous dédaigner, nous rejeter. Mais également toutes facilités pour nous diviser, infester, dominer...

NB : Une précision sur l’utilisation, et la prononciation, de certains caractères. Dans la mesure du possible nous avons gardé l’usage -transcription et prononciation- de l’alphabet français usuel classique. Dans d’autres cas, lorsqu’il s’agit de phonétique ou d’expression amazigh, certaines lettres se prononcent de la façon suivante :

c = signifie ch parfois.
w = donne woua, woue, wou, woui.
u = ou.
s = entre deux voyelles, comme entre deux consonnes, se prononce ss.
gh = se prononce comme un ‘r’ à la française.
q = son glottal, remplace le ‘k’, comme dans quba et non pas kouba
x et kh = se prononcent comme ‘j’ en espagnol.



INTRODUCTION

Après avoir vaincu son cousin et rival, Syphax (Sufac en phénicien), chef des Massaesyles et roi de Maurétanie (l’Algérie occidentale), Massinissa est le seul bénéficiaire de la défaite de Carthage à la fin de la seconde guerre punique (201 av. J.C.). Fidèle allié de Rome, Massinissa ne se départit jamais d’un loyalisme parfait envers ses alliés. Cette attitude, que certains historiens lui reprochèrent en la comparant à une soumission, lui permit en tout cas de maintenir son royaume loin des turbulences et, même, de l’étendre au point d’englober l’actuelle Tunisie-Algérie et une partie de la Libye.

A la mort de Massinissa (148 av. J.C.), conformément à ses vœux (dictés selon les uns par Rome), Scipion partagea le royaume entre ses trois fils : Misibsen (Micipsa), Gulussa et Mastanabal. Ces deux derniers étaient opposés à Rome, en tout cas, ils tentèrent de s’opposer à la destruction de Carthage (en 146 av. J.C.) dont ils auraient voulu (selon le souhait de leur père) en faire la capitale de leur royaume. Bientôt leur disparition soudaine, fit de Misibsen l’unique maître de l’Afrique. Prudent et pacifiste, Misibsen maintiendra son royaume dans ses frontières, et s’il embellit quelques-unes des villes du royaume, il ne fit rien pour agrandir ou consolider l’œuvre entreprise par son père. Bref, il se conduisit en honnête héritier, fidèle serviteur de Rome et sans ambitions ni grande envergure. Ne dit-on pas selon notre vieil adage : le feu engendre la cendre. Massinissa n’eut pas le successeur qu’il méritait.

Etait-ce à cause de la pression populaire ou l’insistance romaine, ou peut-être pour soulager tout simplement sa conscience (ne lui attribue-t-on pas l’assassinat de ses deux frères), Misibsen légitima, puis adopta Yughurthen, fils illégitime de Mastnabal ? Très vite cependant il réalisa l’erreur de son geste et tenta d’y remédier. Craignant que l’ambition de Yughurthen, dont il mesura la bravoure, l’intelligence et la popularité, n’écartât du trône ses deux fils : Hiemsal et Adherbal. Pour éloigner tout danger et conjurer le mauvais sort, Misibsen nomme Yughurthen à la tête des troupes imazighen envoyées en renforts aux Romains dans leur siège de Numance, en Espagne. Le sachant brave, risque-tout, il espérait ne pas le voir revenir ! Le destin en décidera autrement.

A Numance, Yughurthen fera preuve de tant de qualités qu’il s’attira les bonnes grâces de la fine fleur de la noblesse romaine. Non seulement il sort indemne de toutes les batailles, mais il y acquiert une telle renommée qui le rend cher au cœur de siens, populaire parmi les Romains et redouté de ses ennemis. Il rentre en Afrique couvert de gloire, plus dangereux que jamais. Dans une lettre qu’il lui avait remise pour Misibsen, Scipion faisait de Yughurthen les plus vifs éloges (chapitre 9).

Misibsen meurt en 118 av. J.C. Très vite les choses vont se gâter. Hiemsal et Adherbal supportent mal la présence de leur cousin -un bâtard au surplus !-. Quant à Yughurthen on devine ses sentiments ! Conscient de sa valeur, plein de mépris pour ces princes veules et corrompus, on le sent mal accepter le partage du royaume entre ses deux cousins. Puis les Romains sont là, eux qui aiment tant la discorde chez l’ennemi, ils vont attiser les haines et les jalousies, quitte à les susciter au besoin.

Ici ouvrons une parenthèse : pourquoi Yughurthen, cet homme pourvu de tant de qualités, qui a tout pour plaire, pour réussir ; à qui tout sourit, général brillant et populaire que son oncle légitime et institue cohéritier du trône, lui, l’obscur parent, est promu à tous les honneurs... Bien d’autres que lui s’en seraient contentés. Au lieu de cela, il se met en tête de braver Rome et se dresser contre une partie des siens ! Etait-ce un kamikaze ou était-ce plutôt son ambition dévorante qui le rendait sourd et aveugle à toute raison ? Etait-ce un condottiere avide de gloire et de pouvoir ou était-ce au contraire un chef avisé, populaire, soutenu par le peuple dans sa lutte contre une caste de corrompus qui livrait le pays à l’étranger comme l’affirment certains historiens. Car Salluste ne nous apprend rien là-dessus ; il n’explique pas ou insuffisamment, les raisons de la révolte de Yughurthen. Bien sûr Salluste fait allusion aux propos de Yughurthen quand celui-ci suggère d’abroger toutes les ordonnances et tous les décrets adoptés dans les cinq dernières années (du règne de Misibsen), période au cours de laquelle le roi, accablé par l’âge, n’avait pas toute sa raison ajoute Salluste (chapitre 11).

Il ne faut pas perdre de vue ceci : à la mort de Misibsen, l’Afrique du Nord était unifiée et indépendante depuis plus de quatre-vingt ans (si elle le fut auparavant, jamais elle ne l’a été comme cette fois-ci). Les Carthaginois ne dominent plus la Tunisie et le littoral africain ; quant aux Romains, implantés dans le vieux domaine carthaginois (une frange du nord de la Tunisie), ils n’avaient aucune prise sur le reste du pays ; ils semblaient même s’en désintéresser. Bien sûr de nombreux négociants et trafiquants latins sillonnaient les grandes villes. Donc un pays indépendant, une population qui n’était plus soumise aux guerres sauf à celles où elle contribuait en tant qu’alliée de Rome (encore cela concernait-il l’armée régulière et les volontaires qui désiraient y participer). Le peuple progressait et se renforçait dans tous les domaines ; les Gétules ne faisaient plus leurs incursions dévastatrices, ce qui suppose des équilibres économiques, politiques et régionaux entre sédentaires et semi-nomades, mais également peut-être une relative autosuffisance économique des différentes tribus.

Les villes nombreuses prospéraient et embellissaient. Enfin les deux royaumes : Maurétanie (l’équivalent de l’Algérie de l’ouest) - Numidie (telle que la laissa Massinissa : Algérie, Tunisie, Libye), souvent jaloux et en conflits, semblaient vivre en paix n’ayant plus de prétexte à s’affronter et à s’envahir mutuellement ; ce qui suppose qu’ils avaient atteint un degré de coexistence pacifique et de complémentarité. Bref, tout allait pour le mieux dans un royaume qui se consolidait progressivement dans la paix, la concorde et l’aisance...

Hélas, tout cela n’était pas du goût de tout le monde. Une seule tache noire à ce tableau idyllique : la présence romaine. Un chancre menaçait la maturité de ce beau fruit qui ne pourra malheureusement s’épanouir tant qu’il ne sera pas mis un frein à l’avidité barbare et criminelle des Romains. En effet l’impérialisme romain qui, grâce à la passivité, et même à la lâcheté de Misibsen et de son entourage, va peu à peu gangrener la situation pour s’imposer dans tous les rouages et, d’intermédiaire obligé, il va non seulement détourner toutes les richesses à son unique profit mais également empêcher ou saboter toute velléité d’indépendance économique ou politique. Bref, l’impérialisme romain fera tout pour empêcher la résurgence d’une nouvelle Carthage.

Conscient mais cependant incapable, par nature ou par débilité mentale, Misibsen n’entreprendra rien pour enrayer cet engrenage morbide. Au contraire, vers la fin de son règne, il laissera faire : ses enfants, son entourage, ses conseillers, son administration. Tout le monde est contaminé par le virus de la corruption romaine. Les négociants et autres trafiquants italiens s’en donnaient à cœur joie. Misibsen votera même des lois qui renforceront la mainmise du capitalisme romain et du pourrissement de son royaume.

C’est compte tenu de tout cela que l’action de Yughurthen se comprend et acquiert toute sa signification. Convaincu des véritables desseins de Rome et non moins persuadé de l’inanité de ses cousins ; convaincu également que son oncle a non seulement gâté l’héritage mais complètement dévié de la voie tracée par Massinissa ; c’est donc en patriote et nationaliste farouche que Yughurthen va entreprendre de contrecarrer l’influence romaine et poursuivre l’œuvre inachevée de son grand-père dont l’image et l’exemple l’obsèdent. Aussi, pour réaliser son objectif, il ne pouvait se contenter d’un ‘triumvirat’, ni se satisfaire d’un gouvernorat. Pour cela, il lui fallait avoir les coudées franches pour instaurer un pouvoir central fort, débarrasser des corrompus, traîtres et autres parasites à la solde de l’ennemi. Et, à défaut de chasser les Romains, voulait-il tout au moins limiter leur présence et leur puissance à la seule ancienne Carthage. Quant à l’usurpation dont on l’accusa, Yughurthen avait un précédent célèbre : Misibsen n’avait-il pas éliminé ses frères, dont le propre père de Yughurthen, pour accaparer le pouvoir à lui tout seul ?

Dès lors les choses vont aller très vite. En -117, Hiemsal paie de sa vie son insolence à l’égard de Yughurthen. Adherbal effrayé par la mort de son frère (chapitres 11-12) se réfugie à Rome (chapitre 14) où Yughurthen, grâce à son or, trouve des défenseurs de sa cause au sein du Sénat romain. Celui-ci partagé entre les nobles achetés par Yughurthen, opposés à une guerre qui pouvait se révéler difficile et coûteuse et les plébéiens qui, par haine de la noblesse, poussaient à la guerre et, enfin les chevaliers qui hésitaient entre les deux partis (chapitres 15-16).

Rome, ayant d’autres préoccupations aux frontières de l’empire, sans grande implantation militaire en Afrique, opta pour une solution diplomatique. En -116, le Sénat chargea une commission de dix membres de se rendre en Afrique et de procéder au partage du royaume entre les deux princes. A Yughurthen fut attribuée la partie Ouest du royaume et à Adherbal la partie Est avec Cirta pour capitale. De la sorte, les Romains, fidèles à leur doctrine, après avoir essayé d’imposer un triumvirat, divisent le pays en deux : éloignant un voisin belliqueux vers des contrées «sous-développées», dépourvues de grands centres urbains, d’industries, de ports, etc., et se donnant pour voisin immédiat de leur province d’Afrique un roitelet soumis à leur bonne volonté. Cela malgré les affirmations contraires de Salluste (chapitre 16).

Nullement dupe, Yughurthen respecta cependant cet accord. Plus par nécessité qu’autre chose : le temps pour lui de s’organiser, de rassembler les moyens et les forces nécessaires. Et trois ans plus tard, en -113, sous divers prétextes, il décida d’annexer le territoire de son voisin (chapitre 20). Battu aux environs de Cirta, Adherbal se réfugie dans cette ville et envoie des émissaires solliciter l’aide romaine. Nouvelle pression diplomatique de Rome. Une délégation est dépêchée en Afrique en octobre -113 sans aucun résultat (chapitres 21-22). De Cirta, où Yughurthen l’a bloqué, Adherbal fait parvenir au Sénat une longue et humiliante supplique où il implore le Sénat romain d’intervenir (chapitre 23-24). Une nouvelle Délégation s’embarque pour l’Afrique (printemps -112), et convoque à Utique Yughurthen qui ne s’y rend pas (chapitre 25). Au cours de l’été -112, Cirta se rend à Yughurthen après un long siège. Adherbal est mis à mort ainsi que les Italiens qui assuraient sa défense et pris les armes à la main.

Ce fut donc davantage le massacre des négociants italiens que l’exécution d’Adherbal, qui détermina Rome à intervenir par les armes (chapitre 26) mais aussi la crainte de voir ce chef redoutable devenir seul maître en Afrique et mettre ainsi en péril sa toute récente (trente quatre ans) et fragile présence à Carthage. Les Romains comprirent que par delà Adherbal, c’était leur propre présence en Afrique qui était menacée par Yughurthen. En outre, l’ordre équestre, auquel appartenaient les négociants tués à Cirta, déploie tant d’ardeur à réclamer le châtiment de Yughurthen. Alors, face à cette levée de boucliers, la noblesse dut céder au courant belliciste (fin -112). Pourtant à ce stade de l’escalade, Yughurthen voulut éviter l’affrontement avec Rome : il n’en avait ni les moyens ni l’intention. Mais ses ambassadeurs dépêchés à Rome sont éconduits.

Le consul L. Calpurnius Bestia le cupide part pour l’Afrique accompagné du prince du Sénat Scaurus le véreux (printemps -111). Il entre immédiatement en campagne et remporte quelques succès faciles. Yughurthen évite l’affrontement et pense qu’il est plus sage et plus profitable de soudoyer Bestia et surtout Scaurus. grâce à quoi, il parvient à acheter une paix à si bon compte (chapitre 29). Bestia retourne à Rome pour présider les comices électoraux (automne -111). Mais quel scandale à Rome ! Le tribun de la plèbe, C. Memmius attaque avec violence ces ‘vendus’ (chapitres 30-31). Le Sénat refuse de ratifier la paix. Yughurthen est sommé de se rendre à Rome pour que l’affaire soit tirée au clair (chapitre 32).

Voici donc Yughurthen à Rome. Que risque-t-il ? Le préteur Cassius qui est allé le chercher en Afrique ne lui a-t-il pas donné l’assurance, au nom de l’Etat et en son nom propre, qu’il ne serait ni inquiété ni arrêté (chapitre 32). Devant le Sénat C. Memmius lui demande de se justifier. Alors qu’un autre tribun, C. Bebius, acheté par Yughurthen, lui intime l’ordre de se taire ! Et tout se serait bien arrangé, si le nouveau consul Sp. Albinus n’avait pas été si friand de gloire militaire. Dans l’espoir qu’il s’ensuivra une guerre et qu’il en recueillera l’immense prestige de battre Yughurthen, il encourage un prince numide, Massiwa, réfugié à Rome depuis longtemps, à revendiquer le royaume numide. Le piège réussit pleinement puisque Salluste affirme que Yughurthen aurait fait assassiner ce prétendant par son lieutenant Bumilcar mais l’un des membres du ‘commando’ se fait prendre et a le temps de parler. C’est à nouveau le scandale. Yughurthen est sommé de quitter l’Italie et Sp. Albinus aura sa guerre (chapitre 35). D’autres historiens affirment que cet assassinat fut un coup monté par les bellicistes pour obliger le Sénat à accepter une seconde intervention armée en Afrique.

A peine débarqué en Afrique (-110), le consul Sp. Albinus voudrait avoir remporté la victoire de manière à être de retour à Rome pour les élections. La victoire tardant à venir et les élections approchant à grands pas, Sp. Albinus passe le commandement à son frère Aulus et regagne l’Italie où il dirigera sa guerre favorite... les élections ! Quant à Aulus, le plus stupide des généraux romains, fier d’assurer le commandement par intérim, espère également se couvrir de gloire en l’absence de son frère. Aussi, en plein hiver (l’insensé), il met le siège devant Suthul (chapitre 37). Mais Yughurthen a très vite mesuré la présomption du personnage : il ménage des concours dans l’entourage d’Aulus, feint d’avoir peur et de rechercher la négociation puis, l’ayant attiré dans le désert, au bon moment il fond sur lui. Tout est perdu, même l’honneur. C’est la première grande victoire de janvier -109. L’armée romaine vaincue, passée sous le joug, doit évacuer le pays sous dizaine (chapitre 38).

Aussitôt la nouvelle de la défaite humiliante parvenue à Rome, c’est la consternation. Peuple et chevaliers se déchaînent contre la noblesse corrompue et incapable (chapitre 39). Une commission est désignée pour examiner la conduite des chefs vendus ou incapables. Scaurus -décidément très habile- en fait partie. La convention imposée par Yughurthen et souscrite par Aulus est cassée par le Sénat (chapitres 40-42). Puis les élections de janvier -109 portent au consulat Q. Caecilius Métellus de la fraction indépendante de la noblesse. Au milieu de l’enthousiasme général, le nouveau consul embarque pour l’Afrique au printemps de la même année.

A mauvais chef, mauvaises troupes. Les soldats d’Aulus, mal commandés, livrés à eux-mêmes, ont pris de mauvaises habitudes : tout est à l’abandon, le camp n’est qu’un immense champ de latrines ! (chapitre 44). Le premier devoir de Métellus est de reprendre en main cette armée et de restaurer une discipline de fer. Cette métamorphose de l’armée romaine inquiète Yughurthen : il offre sa reddition à Métellus. Celui-ci usant des mêmes méthodes que son adversaire, corrompt les émissaires de Yughurthen et leur fait promettre de lui livrer leur maître, mort ou vif. Puis il entre en Numidie sans rencontrer de résistance, au milieu d’une population pacifique dont le zèle lui paraît suspect.

Après avoir installé une garnison à Vaga -Béja en Tunisie- (chapitre 47), Métellus se dirige vers l’Ouest, arrive près du fleuve Muthul. Il envoie en avant son lieutenant Rutilius pour préparer le camp au bord du fleuve. Yughurthen, dissimulé sur une colline perpendiculaire à la ligne des hauteurs suivies par Métellus, attend les Romains au passage au moment où ceux-ci, descendant vers le fleuve, déboucheront dans la plaine (chapitre 48-49). Pris de flanc, Métellus résiste, puis, par une contre-attaque, s’empare d’une colline. Une attaque de Bumilcar avec ses éléphants contre Rutilius n’a pas plus de succès (chapitres 51-52). Rutilius inquiet du retard de Métellus, part à sa rencontre. Les deux armées se rejoignent après avoir failli s’entr’égorger. Mais cette victoire obtenue de justesse n’a pas anéanti Yughurthen. A Rome cependant on célébra la victoire sur le Muthul qui pourtant n’a rien résolue, puisque Yughurthen, renonçant aux batailles rangées, épuise les Romains par la guérilla (chapitre 55).

Ce changement dans l’art de combattre chez Yughurthen se rencontre également chez Tacfarinas qui, dès le premier échec d’un engagement frontal en bataille rangée, préférera revenir à la tactique traditionnelle du harcèlement bref et brutal avec dégagement rapide. L’un comme l’autre pourtant, après avoir formé, entraîné et équipé une armée à la romaine, tenteront de combattre comme les Romains. Chaque tentative s’est soldée par un échec et très vite ils reviennent à la tactique de la guérilla qui consiste à harceler l’ennemi en de brefs et fougueux assauts à l’improviste et à se dégager promptement. Faut-il rappeler que cette tactique n’est pas spécifique aux Imazighen mais propre aux peuples pauvres (Espagnols, Gaulois, etc.) et faibles en ressources tant humaines que matérielles et qui n’ont jamais réellement entretenu ni formé des armées régulières et permanentes. Il est vrai qu’en ce domaine les Romains dépassaient tous les autres peuples de l’époque.

Malgré ses efforts et le précieux concours de son lieutenant Marius, Métellus n’a pas réussi à s’emparer de Zama (chapitre 56-60). Sur les conseils de Bumilcar, acheté par Métellus (chapitre 61), Yughurthen songe à abandonner la lutte, puis se ravise quand il découvre que Métellus en veut à sa vie personnellement. De nouveau Yughurthen est contraint de reconstituer son équipement, son armement et ses troupes (chapitres 62-66). Dès ce moment-là les doutes s’insinuent dans son esprit, on le voit de plus en plus passer d’un état d’abattement à une fébrilité débordante. Ce comportement cyclothymique se rencontre fréquemment chez les chefs nord-africains.

Salluste abandonne ici son récit et nous ramène en arrière. C’est en effet à la fin de l’année -109, le 13 décembre, que les habitants de Vaga, acquis à Yughurthen, profitant de la fête des Céréres dont le culte, lié à la fécondité et à la fertilité, est très populaire en Afrique du Nord, et célébré partout en Afrique par les Numides. A l’occasion de cette fête donc, les habitants de Vaga (Beja en Tunisie) invitent les soldats romains laissés en garnison par Métellus pour les assassiner à l’exception de leur chef Turpillius (chapitres 66-68). La réaction de Metellus ne tarda guère la population de Vaga est décimée, Turpillius lui-même est mis à mort. (chapitre 69).

Au cours de l’été -108, Bumilcar, acheté par les Romains, tenta d’assassiner Yughurthen, son complot échoua et le traître fut exécuté (chapitres 70 -72). Salluste abandonne ici son récit et nous conduit à Rome, à l’automne -108, Marius est élu consul et nommé commandant en chef de l’armée d’Afrique (chapitre 73).

Très affecté par la trahison de son lieutenant, Yughurthen est attaqué par Métellus ; battu, mis en fuite (chapitre 74), il s’enfonce dans le désert et parvient à Thala (chapitre 75), Métellus s’élance à sa poursuite, non sans avoir minutieusement préparé son opération. La ville de Thala sera prise d’assaut après quarante jours d’une résistance héroïque (chapitre 76). Mais Yughurthen s’est déjà échappé et le vainqueur est déçu dans son espoir de pillage des trésors de Yughurthen. Toujours l’appât des trésors ! Cela ne rappelle-t-il pas d’autres trésors ? Ceux que la Régence d’Alger était censée contenir et qu’escomptaient les armées de Charles X en 1830 !

Au moment de la prise de Thala, la ville de Leptis, ayant rompu sa vassalité envers Yughurthen, est devenue l’alliée des Romains depuis trois ans (chapitre 37), demande à Métellus de lui envoyer une garnison (chapitre 77). C’est l’occasion pour Salluste de nous relater, sans esprit critique, la légende de la ville et de sa région (chapitre 78), ainsi que l’événement tragique au cours duquel fut fixée la frontière entre Cyrène et Carthage. Cette digression rappelle celle des chapitre 17-19 où Salluste tente, en s’aidant des écrits du roi Juba, de donner une description historico-géographique de l’Afrique...

Yughurthen s’est ressaisi après la chute de Thala. Il recrute des troupes chez les Gétules et décide son beau-père, Bukhus, roi de Maurétanie, à s’unir à lui pour combattre l’ennemi commun (chapitre 80). Les deux armées opèrent leur jonction (chapitre 81) et marchent sur Cirta, dont Métellus s’est emparé. Fin de l’année -108 début -107, Métellus apprend qu’il est remplacé par son rival, Marius. Son émotion et son dépit sont tels qu’ils lui arrachent des larmes (chapitre 82). Dans l’attente de son successeur, il se désintéresse de la guerre et conduit mollement les négociations qu’il avait engagé avec le roi Bukhus pour l’amener à rompre son alliance avec Yughurthen. (chapitre 83).

Les sénateurs espéraient que Marius rencontrerait des difficultés pour recruter des soldats (chapitre 84). Espoir déçu. Le peuple répond à l’appel du nouveau consul qui sait parler (flatter) à la foule. En s’acharnant contre la noblesse incapable, cupide, prétentieuse, Marius, en même temps qu’il assouvit une vengeance personnelle, prête sa voix à bien des rancœurs et des colères refoulées du peuple. Autrefois, les prolétaires étaient exclus de l’armée, Marius les y admet et s’acquiert ainsi leur dévouement total. Avec enthousiasme, tout le monde embarque au printemps -107. Métellus le superbe, ulcéré, ne voulant pas le voir, délègue son lieutenant Rutilius pour la passation des pouvoirs (chapitre 86).

Marius, pour aguerrir ses nouvelles recrues, s’empare sans beaucoup de peine, d’un certain nombre de places de moindre importance. Il crée de la sorte un esprit de corps, de camaraderie de combat mais donne aussi à ses troupes le goût de la rapine et du butin : l’une des motivations de l’engagement chez les prolétaires. Bukhus et Yughurthen se réservant le soin d’attaquer plus tard un adversaire rendu confiant par des succès faciles. Si elles satisfont les soldats, Marius en bon démagogue, leur permet butin et pillage, sait que ces « razzia » ne sont pas décisives. Dans le camp numide, la fidélité de Bukhus envers Yughurthen n’est pas non plus à toute épreuve (chapitres 87-88).

Marius décide donc de frapper un grand coup. Il veut rééditer l’exploit de Métellus sur Thala mais en plus « spectaculaire » : il attaquera donc Capsa (l’actuelle Gafsa). Ville réputée considérable, au milieu d’immenses déserts (chapitre 89). La prise de cette ville lui vaudra plus de gloire que n’en a rapporté à Metellus la prise de Thala. Partant de Cirta et laissant son lieutenant Manlius à Larès, en grand secret il se dirige vers le sud. Grâce à une ruse, la population de Capsa, croyant avoir affaire à des troupes de Yughurthen, sort de la ville, sans armes et doit se rendre sans combattre. Ce qui rend d’autant plus inexcusable l’odieuse décision de Marius de faire tuer tous les hommes à partir de quinze ans. D’ailleurs même Salluste est très embarrassé pour justifier un tel crime que même les lois de la guerre réprouvent (chapitre 91). La prise de Capsa, suivie par celles d’autres villes de moindre importance n’a pas les conséquences qu’en espérait Marius. Yughurthen se retranche de plus en plus vers l’ouest et Marius s’essouffle à le suivre.

En -106, Marius arrive aux limites de la Numidie et de la Maurétanie, non loin du fleuve Muluccha (Moulouya), en face d’un fortin bâtit sur un rocher à pic au milieu d’une immense plaine (chapitre 92). Comme ce fortin est supposé contenir les trésors de Yughurthen (toujours et encore le fameux trésor), Marius décide de s’en emparer. Il faillit échouer quand, le hasard fit découvrir à un fantassin une faille qui mène au fortin, cela permit aux troupes romaines d’y accéder et de prendre à revers les défenseurs. « L’épisode du fortin de la Muluccha, qu’on peut comparer à la capture de la smala, jeta les Maures dans le parti de Jugurtha comme elle a poussé Abd el Kader à chercher refuge au Maroc, et le sultan à l’appuyer de ses armées» (J. Carcopino, histoire romaine, T. II, p. 319).

L’arrivée du questeur Sylla -il était resté à Rome pour recruter des cavaliers (chapitre 95)- aida puissamment Marius à sortir d’une situation somme toute bloquée malgré les victoires remportées. Aristocrate cultivé mais amolli, Sylla s’adapte cependant très vite à la dure vie des camps. Donc opportunément rejoint par Sylla, fin de l’été -106, Marius regagne l’Est de la Numidie et se rapproche de la province romaine d’Afrique.

Bukhus et Yughurthen, qui ont resserré leur alliance sur la promesse faite par ce dernier à Bukhus de lui céder un tiers de la Numidie, attaquent les Romains à la nuit tombante et les taillent en pièces (chapitre 97), sans pour autant les vaincre. La nuit mit fin au combat et les Numides, au lieu de réparer leurs forces pour donner le coup de grâce le lendemain, grisés par leur succès, passèrent la nuit à chanter et à danser (chapitre 98). Vers le point du jour, en silence et par surprise, les Romains foncent sur les Numides endormis, causent beaucoup de pertes et réussissent à se dégager (chapitre 99). Cet épisode, avec beaucoup de ressemblances, rappelle celui qui causa la perte de Tacfarinas où, après une victoire sur les Romains, il passe la nuit à festoyer avec ses troupes et, au petit matin, ils sont surpris endormis et défaits à Auzia (vers Sour el Ghozlane).

Cependant Marius est rattrapé aux environs de Cirta, Bukhus et Yughurthen lancent une deuxième attaque contre les Romains. Ils sont repoussés (chapitre 101). Découragé par ce double échec, Bukhus va lâcher son gendre ‘malchanceux’. Il en informe Marius qui, sur sa demande, lui envoie des négociateurs : Manlius et Sylla. Bucchus donne suite à son projet de traiter avec Rome. Une trêve lui est accordée (premiers mois de -105), en attendant le retour des ambassadeurs envoyés à Rome (chapitres 102-103). C’est Sylla, ayant les faveurs de Bukhus, qui reçoit la mission de faire exécuter la volonté du Sénat (été -105). Il se dirige vers la résidence de Bukhus. Après bien des péripéties et de grandes frayeurs, Sylla rencontre Bucchus.

Bukhus avait deux conseillers : un délégué permanent de Yughurthen, Aspar, et un prince Numide, Dabar, tout acquis aux intérêts de Rome (chapitre 108). En plein accord avec Sylla, Bukhus prononce, en présence d’Aspar, un discours qui fait croire qu’il se joue des Romains (chapitre 109), mais, en coulisse, il souscrira à toutes les conditions de Rome. C’est Bukhus ou la duplicité...

Yughurthen, confiant dans l’accord passé avec Bukhus, tombe dans le piège tendu par Sylla et Bucchus grâce à l’intermédiaire de l’innocent Aspar. Yughurthen croit que Bucchus lui livrera Sylla, et que pour récupérer ce prisonnier de marque, Rome consentira tous les sacrifices (chapitre 112). Aussi, sans armes et tout confiant, arrive-t-il comme convenu à la conférence. Le roi est livré enchaîné à Sylla (septembre -105).
La guerre s’achève avec la capture de Yughurthen. Marius n’a plus qu’à cueillir les fruits de la victoire (1er janvier -104). Peu après, Yughurthen mourut de faim selon les uns, étranglé selon d’autres, dans la prison romaine de Tullianum le 7 janvier -104. Et Bukhus, pour prix de sa trahison, reçut une partie de la Numidie occidentale.

Bien sûr Yughurthen est mort, il y a plus de 2 000 ans ! Mais dans le cœur des siens, il demeure vivant. Aujourd’hui des milliers de jeunes portent son nom. Mais qui oserait s’appeler Adherbal ou Bukhus (prononcez Boukhouch) ? L’un est synonyme de guenille (un moins que rien) et l’autre est assimilé à l’insecte nuisible.


BREF APERÇU HISTORIQUE

Avant de revenir à l’histoire proprement dite de Yughurthen, nous allons, dans ce bref chapitre et l’article consacré à Massinissa, étudier brièvement l’histoire de la Tamazgha : de la préhistoire à la mort de Massinissa. Ceci contribuera de la sorte à ce que nous cernions mieux le sujet qui nous préoccupe. Dans ce survol historique, nous évoquerons surtout l’émergence du sentiment national et sa concrétisation par la constitution d’un royaume autochtone. Grâce à l’œuvre d’un homme aussi énergique qu’ambitieux, autant audacieux que visionnaire : Massinissa, lequel saura insuffler sa vision historique, s’inspirant constamment du sentiment national et indépendant très fort chez les Imazighen, il proclamera : «L’Afrique aux Africains».


I - Les Africains dépourvus d’Histoire et exclus de l’histoire.

On a longtemps considéré les Africains comme étant incapables de développer une histoire de quelque envergure que ce soit. Et tout ce qui pouvait représenter les signes positifs de l’histoire, les historiens l’attribuaient à une influence étrangère, en particulier de l’Asie. Partageant ce préjugé, Hegel va jusqu’à diviser le monde en peuples historiques et en peuples non historiques. D’après lui, on ne décèle aucune évolution historique réelle en Afrique ; la partie nord étant rattachée au destin de l’Europe, échappe quelque peu à cette «malédiction». Quant aux Phéniciens, ils ne sont que des Asiatiques égarés en Afrique ; alors que l’Egypte serait étrangère à l’esprit africain. En cela Hegel reprend l’opinion antique qui classait l’Egypte en Asie.

Ces conceptions hégéliennes ont largement marqué toute recherche sur l’Afrique. Celle-ci ne serait qu’un réceptacle passif accueillant le trop plein asiatique en vagues successives par l’isthme de Suez, par le détroit de Bab el Mandeb ou alors c’est le trop plein européen par le détroit de Gibraltar, par la péninsule italienne et même par la... Crète ! Ainsi, selon cette théorie, chaque vague plus évoluée que la première, bouscule devant elle les vagues précédentes et les assimile.

Ce n’est qu’au début du XXè siècle, avec la découverte de l’australopithèque dans la province du Cap, laquelle sera suivie par la découverte de l’Atlanthrope en Afrique du Nord et ainsi de suite, de découverte en découverte (Kenya, Tanzanie, Ethiopie -la fameuse Rift Valley avec Lucie et bien d’autres-), la théorie de vagues migratoires en provenance d’Asie ou d’Europe fut battue en brèche et définitivement abandonnée.

Au contraire, l’Afrique se révéla non pas comme un « passif réceptacle » mais plutôt comme le continent où se trouve réunie, dans un continuum, toute l’évolution humaine. Aujourd’hui tout le monde s’accorde à reconnaître en l’Afrique le berceau de l’humanité et le pôle de dissémination des hommes et des techniques à travers le monde et cela dès l’époque la plus reculée de l’histoire humaine.

C’est à partir de l’Afrique que l’Homme s’est disséminé, par ce qui est le Sahara aujourd’hui : à l’Est, qui donnera l’Egypte des pharaons et par l’isthme de Suez et Bab el Mandeb pour aboutir en Asie et à l’Ouest par l’Afrique du Nord qui donnera naissance au peuple amazigh et par le détroit de Gibraltar pour aboutir en Europe ; ces populations européennes et asiatiques se rencontreront plus tard en pleine Europe Centrale d’où naîtront des affrontements et des mouvements giratoires et migratoires avec brassages de populations, de langues et de cultures pour aboutir à la «fameuse civilisation indo-européenne».

Ce n’est que bien plus tard, à des époques relativement «récentes», comme mues par une vague réminiscence, mais aussi poussées par des nécessites économico-climatiques (glaciation, sécheresse, désertification), que des migrations inverses, venant d’Europe et d’Asie, se produiront. En somme c’est le retour à la «mère patrie» Afrique. Bien entendu, entre les premiers émigrés issus de l’Afrique qui peuplèrent la terre et donnèrent naissance à l’Humanité, et ces nouveaux «immigrants», il n’y a plus aucune «ressemblance»... Car, entre temps il s’est écoulé des dizaines de milliers d’années !

Cet espace-temps aura permis de creuser un écart considérable entre les « Africains » qui n’avaient pas quitté l’Afrique et cette nouvelle « humanité », presque mutante (elle aura découvert et développée l’agriculture, l’écriture, l’habillement, les armes, la domestication de bêtes -surtout de transport : cheval-chameau-, la navigation, etc.). Donc cette nouvelle humanité déploiera toute sa puissance et son génie de l’Asie à l’Afrique du Nord en passant par l’Europe. C’est vrai qu’en ce sens l’Afrique reste en deçà de ce processus. Elle paraît coupée du reste du monde ou tout au moins indifférente à ce qui s’y passe ; semblant suivre son propre cheminement, à sa propre vitesse : ne développant ni écriture, ni grande industrie, etc., sauf dans les franges en contact avec l’extérieur où quelques échanges se font.. souvent à sens unique d’ailleurs !

En cela Hegel n’avait pas tout à fait tort. Les Africains ne laisseront aucune « histoire » ; ils n’éprouveront nullement le besoin de le faire. Et même en avaient-ils le désir de laisser des traces pour le futur, ils en étaient incapables par défaut d’écritures ou de tout autres outils : car la tradition orale, malgré sa force suggestive, émotive et psychologique, s’érode et se perd avec le temps ; devenant de la sorte, à défaut de faits concrets (une mémoire défaillante), une vague légende qui tient du conte et du mythe et pour finalement disparaître totalement. Ils ne pouvaient pas même posséder une chronique, n’ayant ni date ni repère pour une quelconque chronologie. Les événements sont classés selon les aventures du roi, les phénomènes climatiques ou astrologiques (épidémies, famines, cataclysmes, etc.) : on ne pouvait pas même connaître l’âge exact d’un souverain ni la durée d’une dynastie...

S’agissant de l’Afrique du Nord, sans remonter à des millions d’années mais juste quelques milliers d’années en arrière, retenons ceci :

a) il y plus de 15 000 ans on y pratiquait déjà la récolte et la préparation des grains et des graminées ; ce qui préfigurait l’agriculture et la sédentarisation.

b) Vers 8 000 / 9 000 ans av. J.C. des débris de céramiques attestent l’usage d’ustensiles et la fabrication de la poterie.

c) Dès le IIè millénaire av. J.C. des symboles qui rappellent les tifinagh (alphabet amazigh) sont relevés sur les peintures rupestres disséminées à travers tout le pays. De même la domestication du cheval et l’usage de chariots attelés et quadrige...

II - Origine des Imazighen.

On pense généralement que les Imazighen se sont imposés en Afrique du Nord grâce à leur armement en fer. Mais on ne connaît pas avec certitude l’époque de leur implantation. Les Grecs la situent aux mythes helléniques, les récits de l’Iliade et de l’Odyssée y font allusion. Les Romains, à la suite de Polybe, de Procope et du roi Juba font venir les Imazighen des troupes perses vaincues par Alexandre et éparpillées à travers la Méditerranée. Quant aux généalogistes arabes, tous ne donnent pas la même origine aux Imazighen. Les uns en font les fils de Cham, les autres de Ham et certains de Sem... Ibn Khaldoun considère toutes ces hypothèses erronées et loin de la vérité. Selon lui «la réalité est celle-ci, écrit-il, « Les Berbères sont les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noé. Leur aïeul se nommait Mazigh...». Et il ajoute : «Toute l’Afrique septentrionale jusqu’au pays des Noirs était habitée par la race amazigh, et cela depuis une époque dont on ne connaît ni les événements antérieurs ni le commencement.»

Cette opinion est partagée par E.-F. Gautier qui écrit : «Nous ne savons qui ils sont ni d’où ils sont venus à supposer qu’ils soient venus d’ailleurs». Tentant de concilier les thèses grecques et khaldounienne, le Dr Bertholon pense que les Imazighen sont une race indo-européenne identique à celle qui a peuplé le bassin méditerranéen. chassés d’Asie Mineure (Pont Euxin), ils se seraient fixé dans le Caucase et sur les rives occidentales de la Méditerranée. Cette théorie ne se basant que sur des récits plus ou moins légendaires n’a aucun fondement. Pas plus d’ailleurs que l’idée d’une invasion de Perses, de Mèdes et d’Arméniens en Afrique à la suite de la dispersion des armées perses. Cette même idée reprise par Juba et citée par Salluste et qu’il rapporte on ne s’appuyant que sur la tradition grecque...

Les Maxitani, Les Macises, les Massyles, etc., ne seraient qu’une déformation phonétique du même nom : Mazigh. En effet tous les auteurs s’accordent au moins sur un point : le terme Amazigh. Quant au nom « berbère», qui n’est pas emprunté à leur langue, il leur fut appliqué par les Arabes qui les désignèrent sous le vocable de « Beraber », eux-mêmes l’ayant empruntés aux Romains «Barbari» qui signifie tout simplement Barbares. C’est-à-dire que l’on est toujours le barbare de quelqu’un ! Quant aux Grecs, ils les appelaient « Libyens » d’une tribu de la Cyrénaïque : les Lébus et Numides à l’Est. Ce qui fait écrire cette boutade à Gabriel Camps : « Tour à tour ont été évoqué l’Orient pris globalement (Mèdes et Perses), la Syrie et le pays de Canaan, l’Inde et l’Arabie du Sud, la Thrace, la Mer Egée et l’Asie Mineure, mais aussi l’Europe du Nord, la péninsule ibérique, les îles et la péninsule italiennes.. Il est sûrement plus difficile de rechercher les pays d’où ne viennent pas les berbères ! » Et de conclure plus loin : « Et si les Berbères ne venaient de nulle part ? » Voulant dire par-là qu’ils seraient simplement de purs autochtones, issus de cette contrée qu’ils ont toujours habitée.

Ces Libyens, selon V. Picquet, avaient dès le XIVè siècle av. J.C. une civilisation et une industrie. Ils avaient déjà des rois héréditaires et avaient conclu des alliances, notamment avec les Tyrrhéniens. Quant aux Egyptiens, parlant des peuples qui envahirent leur pays, ils citent les Libyens commandés par leurs rois tels que Marmaïu et son fils Deïa, ou Kappur et son fils Mashshar. On sait que vers -3 300, la première dynastie Thinite eut fort à faire pour empêcher les Libyens d’envahir l’Egypte. Et, qu’au temps de la XIXè dynastie, sous le règne de Mineptah, les pharaons eurent à repousser une attaque des Libyens auxquels s’étaient joints les Peuples de la Mer. G. Camps cite cette inscription : «Nous sommes en 1227 av. J.C., en l’an V du règne de Mineptah. Pharaon a ordonné dans tout le royaume des prières et des sacrifices exceptionnels aux dieux qui protègent la Terre de Ptah, à Ptah lui-même et surtout à Amon-Râ et aux déesses toutes bonnes, Isis la grande magicienne et la bienveillante Nephthys» et il ajoute : «Jamais le danger ne fut si grand pour la Terre aimée de Râ. Les Barbares du Nord, ceux qui viennent des Îles et des terres baignées par la très Verte, les Barbares de l’Ouest, ceux qui habitent le désert où se répand le souffle maléfique de Typhon, ce sont pour la première fois coalisés et, sous le commandement du maudit d’Amon, Meryey, fils de Ded, roi des Lébous (Libyens), ils pénétrèrent dans le domaine d’Horus. Les navires des uns remontant la branche canopique du Nil, les autres, aussi nombreux que les grains de sable du désert, se répandent dans le Delta en direction de Memphis.»

Selon G. Camps «Meryey et ses Lébous ne sont pas les premiers ayant fait l’objet d’une mention historique. Depuis des siècles, voire des millénaires, les Egyptiens étaient en relation, tantôt guerrières, tantôt pacifiques, avec leurs voisins de l’Ouest. Ces Lébous ou Libyens, Tehenu, Temehu, Mashwesh, sont subdivisés en de nombreuses tribus.»

Mais la ténacité amazigh finit par avoir raison de la résistance égyptienne. En -950, Sheshanq Ier s’empare du Delta et fonda la XXIIè dynastie . Dès lors le folklore nous dépeint «Pour la première fois, une société éprise de bataille, très différente de la société égyptienne. Le royaume de Napata qui, à la fin du VIIIè siècle, s’étendit de la première cataracte à l’Abyssinie, n’eut pas, comme on le crut longtemps, pour fondateurs les descendants des prophètes du @!#$ Amon. Les fouilles de Reisner ont prouvé que ce furent des Libyens qui, dans le pays de Koush, imposèrent leur autorité, comme les Libyens du Nord dans le Delta.» Et citant A. Moret, Ch.-A. Julien écrit plus loin : «Ces Lébous étaient peut-être originaires de l’Atlas, car leurs noms et ceux de leurs chefs rappellent exactement ceux des Numides de l’histoire classique»

Ainsi, peu à peu, malgré les controverses et les hypothèses plus farfelues les unes que les autres, une vérité se dégage: l’Afrique du Nord fut habitée de très longue date par un peuple homogène issu lui-même du terroir ou s’étant incorporé à une vieille population autochtone pour ne former qu’une entité. Peuple qui a su maintenir, nonobstant les vicissitudes de l’histoire, les diversités géographiques, climatiques ; malgré le temps et l’espace, une identité et une entité tant au niveau culturel qu’au niveau linguistique. En effet l’essentiel de ce qui constitue le fondement de ce peuple est demeuré intact jusqu’à nos jours. Cette constance irrite, étonne ou intrigue les historiens face à ce que certains appellent «l’énigme amazigh». Car bien des civilisations antiques, hautement «évolués», plus puissantes, florissantes même, ont tout simplement «disparues» ; mais pas les Imazighen.

Négligeant ces évidences, et parfois intentionnellement, certains historiens, niant cette unité du peuple amazigh, en viennent à affirmer que la population nord-africaine est constituée d’une «mosaïque de peuplades se superposant et s’influençant les unes et les autres sans lien ni unité aucune ». Ils vont jusqu’à découper les habitants en grands et en petits, en gros et en maigres, en blancs-blonds et en noirs-nègres ! Que n’ont-ils pas inventés avec leurs dolichocéphales et brachycéphales, avec des longilignes et des brévilignes, les caucasoïdes, les arménoïdes et les négroïdes... ! Comme ils les ont décomposés en Kabyles, Chaouis, Maures, Mozabites, Berbères, Arabes, en «Hommes bleus» ! etc., faisant de chaque appellation une entité autonome, différente et parfois irréductiblement opposée à l’autre. Et comme si cela ne les satisfaisait pas, ils y ajoutèrent des Turcs, des Juifs et des Français...

Bref, nous savons qu’il n’y a point de limite à la bêtise et au délire !


III - Colonies phéniciennes.

Dès le XVIè siècle av. J.C. des colonies phéniciennes vinrent s’établir sur la côte orientale de l’Afrique du Nord. Ces Phéniciens, issus d’un petit pays coincé entre la mer et la montagne (le Liban actuel), aux cités-royaumes autonomes, menacé souvent par de puissants voisins (Assyriens...). Leur pays ne pouvait donc les absorber tous. L’excédent de population fut contraint de se tourner vers la mer d’abord pour survivre et ensuite pour émigrer. C’est ainsi que les îles proches furent peuplées ou reliées au continent, puis ce fut le tour de Chypre, etc. Tour à tour les Phéniciens émigrèrent en Israël, en Egypte et autres îles méditerranéennes. Mais ce fut dans l’est de l’Afrique du Nord (l’actuelle Libye) qu’ils connurent le plus grand essor. Cependant, durant des siècles aucune de ces colonies en diaspora ne put s’affranchir de la tutelle d’une de leurs cités-mères : Tyr. Seule Carthage osera le faire, comme elle s’imposera par la suite aux autres colonies sœurs.

C’est vers la fin du IXè siècles av. J.C. (- 814) que pour la première fois une importante colonie phénicienne vint émigrer en Afrique du Nord. Contrairement aux tentatives précédentes, nous avons cette fois-ci affaire à un déplacement d’un «mini Etat» ; car il y avait là une princesse avec son conseil et sa cour, sa noblesse, ses bourgeois, son clergé et ses femmes et filles. Il s’agissait pour la première d’une véritable colonie de peuplement. dirigée par Elissa, ou Didon selon d’autres sources, une princesse de Tyr (Liban), fuyant la tyrannie de son frère, roi de Tyr qui fit exécuter son époux. Elle conclut une alliance avec la noblesse et surtout le clergé, dont elle rend la charge héréditaire ; en échange de quoi ce clergé se fera accompagner de quatre-vingt jeunes filles destinées à la prostitution sacrée. Elissa vint donc avec tout son peuple s’établir non loin de Tunes (l’actuel Tunis) et pas trop loin non plus d’une ancienne colonie phénicienne précédemment établie plus à l’ouest : Utique.

Selon l’historien latin Justin, Hiarbas (ou Iharban), l’aguellid local, roi des Maxitani, exigea, en échange du territoire consenti sur son royaume, un tribut que les Carthaginois honorèrent pendant trois siècles. Le même auteur affirme qu’Elissa préféra se donner la mort, en se jetant dans les flammes, plutôt que de devenir l’épouse d’Hiarbas.

Bien plus q

 Sujet Auteur  Date
 GUERRE DE "JUGURTHA"  nouveau
Ammar NEGADI 2002-01-28 18:52:37 
 Re: GUERRE DE "JUGURTHA"  nouveau
kahina 2002-02-09 15:36:12 
 Re: GUERRE DE "JUGURTHA" (suite)  nouveau
Ammar 2002-02-12 12:47:38 

 Répondre à ce message
 Votre Nom:
 Votre Email:
 Sujet:
 Copiez   trebiqas  en face:
    

© 1997-2016 Frebend Concept. Tous droits réservés. Envoyez vos commentaires et questions au Webmaster. 15 personnes connectées