Auteur: Ullial
Date: 2002-01-08 11:34:41
Article de liberation du 08 janvier 2002
Qui, des civils ou des militaires, décide en Algérie et ce pays est-il un Etat de droit? C'est paradoxalement une commission d'enquête officielle, car désignée par le président Abdelaziz Bouteflika, qui vient de fournir à ces deux questions fondamentales une réponse rejoignant celle de l'opposition la plus résolue. Son verdict est sans appel.
«La liberté que certains agents de l'Etat, à tous les échelons, continuent à prendre avec la loi, montre [...] que (son) respect n'est pas encore entré dans la culture des responsables», affirme la commission Issad, du nom du juriste chargé d'enquêter sur les émeutes du printemps dernier en Kabylie dont la répression fit une centaine de morts et près de 2 000 blessés. Et le document de préciser: «Les pouvoirs de décision, de contrôle et de sanction ne sont pas, ou sont insuffisamment, exercés. Ils sont la condition impérative de l'existence d'un Etat et l'application effective de la loi constitue la condition d'un Etat de droit.»
Déjà, en juillet dernier, le rapport d'enquête préliminaire sur ces événements provoqués par l'assassinat d'un jeune homme dans une gendarmerie avait donné la mesure des violences exercées contre la population par les forces de sécurité. En dépit de nombreuses zones d'ombre, le document avait désigné la gendarmerie comme «seule responsable» des émeutes. Et la commission Issad avait promis qu'elle reprendrait ses investigations «lorsque la peur aura disparu et que les langues [se seront] déliées».
Lumière crue. Cinq mois plus tard, le rapport final, divulgué par le quotidien algérien Le Jeune Indépendant et le site Internet Algerian-Interface, n'est pas plus précis dans la désignation des responsables d'une situation qui a plongé la Kabylie dans une situation proche du chaos. «Les troubles continuent, parfois s'étendent, et rien ne laisse prévoir l'apaisement dans un délai raisonnable d'une situation politique encore bloquée [...]», remarque d'ail leurs le document final en précisant que «les témoins qui avaient déclaré leur intention de déposer ne se sont plus manifestés».
Pour autant, ce rapport a le mérite de jeter une lumière crue sur le fonctionnement de l'Etat algérien. Il se base sur le dispositif juridique mis en place avec l'état d'urgence en 1992 pour montrer l'accroissement du pouvoir des militaires qui président aux destinées du pays depuis son indépendance -, ainsi que l'effacement du pouvoir civil depuis l'annulation en 1992 des élections législatives remportées par le FIS.
En effet, alors que le décret du 9 février 1992 instaurant l'état d'urgence «maintient ses prérogatives à l'autorité civile», un arrêté introduit, dès le lendemain, «une double compétence» entre «l'autorité civile et l'autorité militaire pour le rétablissement de l'ordre». La «seconde lecture a prévalu», remarque le rapport, d'autant qu'un arrêté «jamais publié» du 25 juillet 1993 donne aux «commandants des régions militaires et au commandant des forces terrestres pour la wilaya d'Alger» la prérogative d'apprécier les menaces à l'ordre public et de prendre les mesures pour les contrer. Tout cela, conclut le rapport, «permet de constater un glissement subtil de l'état d'urgence vers ce qui s'apparente à l'état de siège. Les pouvoirs donnés aux commandants des régions militaires sont des pouvoirs propres, ce qui est caractéristique de l'état de siège».
Frictions. Comment empêcher que la divulgation, apparemment prématurée, de ce rapport crée des frictions supplémentaires au sommet de l'Etat algérien et surtout qu'elle n'apporte de l'eau au moulin des détracteurs du pouvoir militaire et de ceux qui réclament la levée de l'état d'urgence? Ce triple souci amène Mohand Issad à relativiser le pouvoir des généraux. Doutant qu'il y ait eu «une volonté délibérée de l'armée de dépouiller le pouvoir civil de ses attributions», ce juriste affirme croire plutôt que «plusieurs petits textes ont permis dans les années 1992-1993 un enchevêtrement qui nous a conduits, parfois, sans le savoir, à la situation actuelle»...
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