Auteur: Webmestre
Date: 2007-03-24 09:11:04
tiré de La Nouvelle République du 24/03/2007
Reconstitution de pans d’histoire
Le musulman traditionnel ou superstitieux d’antan, habitué au culte des saints, donnerait une signification autre que celle qu’a voulu donner l’auteur à son roman historique. Il s’agit, en fait, de saints du début de la chrétienneté en Afrique du Nord, du temps de l’Empire romain. Saint dans le contexte de l’Eglise est un titre donné à un religieux élevé au titre d’évêque. Ce fut le cas de saint Augustin, saint Cyprien, saint Dout.
Ahmed Akkache, contrairement à ce que l’on pourrait penser, est un ancien historien de qui nous avons lu des ouvrages intéressants sur l’histoire de l’Empire romain, telle a été peut-être sa spécialité, un domaine de recherche qu’il s’est choisi et auquel il s’est consacré. Nous avons lu de lui, dans les années soixante-dix, Takfarinas, personnage berbère qui a combattu les Romains.
«La révolte des saints», un roman historique
Il a été composé sous la forme d’un roman avec ses moments, ses personnages, ses intrigues, ses évènements historiques. Pour lui, c’est plus agréable à lire et cela devrait bien passionner le lecteur qui a perdu l’habitude de lire des livres d’histoire. «Par ce procédé, on a le sentiment de revivre ces moments forts, de côtoyer les personnages, de les voir en action. Ce livre est intéressant à plus d’un titre, l’auteur ayant porté ce projet durant des dizaines d’années», nous dit Med Bouhamidi, auteur de la préface.
On ne peut pas imaginer la somme de connaissances qu’il a fallu investir pour la mise en forme de cet ouvrage qui vient à point nommé pour dissiper les erreurs perpétrées dans notre histoire à propos de ces saints qu’on a longtemps vénérés, adulés, faute de ne les avoir pas connus suffisamment comme support du colonialisme qui a réduit les populations autochtones à l’état d’esclaves. Mais là, il doit parler des saints rangés du côté des opprimés.
Akkache nous fait découvrir pourquoi l’Eglise s’est évertuée à présenter saint Augustin comme l’icône d’une berbérité féconde. Le système colonial français en a fait une source d’inspiration pour mieux asseoir sa domination. Les siècles décrits sont le fruit d’un travail d’investigation qui s’appuie sur de nombreuses sources contradictoires.
La vérité rétablie nous apprend que l’Empire romain a imposé un principe : propre à toutes les colonisations : diviser pour régner, user d’une expropriation à outrance, introduire la corruption, créer des clans. Les émeutes et les insurrections des populations, à l’époque, ont montré que les autochtones étaient capables de s’unir pour créer un Etat indépendant. On a alors assisté à l’apparition d’une pré-nation algérienne, la Numidie antique. Même l’Eglise africaine sous les évêques : Tertullien, Cyprien Donat, avaient manifesté une volonté de demeurer autonomes par rapport à Rome.
Soulèvement des circoncellions pour la défense des opprimés
C’est le nom que leur a choisi le chef romain avec la complicité des saints ralliés à la cause des occupants étrangers. Les circoncellions, correspondant à des travailleurs de la terre opprimés par le système totalitaire, ou ouvriers vivant misérablement de leur maigre salaire, se sont révoltés pour mauvais traitements et injustice contre les chefs romains qui, eux, menaient une vie de seigneurs dans des châteaux où des esclaves femmes du pays les servent sous la menace. Marcus Tibérius, qui en fut l’un d’eux, n’hésitait pas à prendre sa lanière pour distribuer des coups à tous ceux qui étaient à ses côtés pour répondre à ses sautes d’humeur et caprices. Mais une fois, mal lui en avait pris, les colonisés conduits par les saints révoltés, avaient décidé de se venger et de venger leurs frères et sœurs qui avaient été humiliés et fouettés. Marcus Tibérius, qui avait été pour la population le pire des tortionnaires, avait subi le sort de ses victimes. Les révoltés avaient accompli l’exploit de le déshabiller pour lui donner les coups les plus cuisants qui devaient le faire passer de vie à trépas.
L’appellation «circoncellions», choisie par les Romains avec la complicité de saint Augustin, donne en français le sens de : bandes de pillards, barbares, loqueteux, hordes fanatiques, utilisés couramment pour désigner ceux qui ont toujours refusé de leur obéir ou qui ont combattu le système colonial. Ces rebelles de l’Antiquité se faisaient appeler «saints» au sens religieux d’aujourd’hui ou de combattants de la liberté et de l’égalité.
Finalement, ce qui a précipité l’Empire romain dans sa chute, c’est beaucoup plus les révoltés d’Afrique qui ont lutté pour recouvrer leur dignité que l’invasion des Vandales en 430. Ce que les historiens occidentaux ont occulté pour des raisons géopolitiques et de ralliement à l’impérialisme romain qui va devenir un modèle à imiter. Augustin parle de troupes d’hommes perdus troublant sous divers prétextes le repos des innocents. Jamais les Romains ne se sont comportés en civilisés comme les historiens le prétendent. Des esclaves berbères ont été donnés en pâture aux animaux, ils ont été crucifiés, martyrisés, sans compter l’injustice dans laquelle ils sont restés confinés. Jugurtha lui-même a été condamné à la mort lente au fond d’un puits. La seule issue qui restait à la population, c’était le soulèvement général.
La Numidie, un Etat
en pleine expansion puis
en décadence
Nous sommes au IIIe siècle d’avant l’ère chrétienne. Géographiquement, la Numidie correspondait à l’Algérie d’aujourd’hui, nous dit Akkache. Sa population qui parlait berbère à l’intérieur du pays et punique dans les grands centres urbains, était bien organisée en nation forte, surtout sous l’autorité de Massinissa dont le règne dura près de cinquante ans.
Durant les trois guerres puniques, ce pays fut la cible de l’envahisseur qui cherchait à conquérir toute l’Afrique du Nord, même s’il avait du mal à venir à bout des Carthaginois. Et comme tout colonisateur averti, les Romains utilisèrent une stratégie infaillible : diviser pour régner, exploiter les particularismes tribaux et la corruption.
Mais malgré les réalisations de Massinissa (mort en 148 av. J. C.) qui avaient donné à chacun le sentiment d’appartenir à un même peuple, la Numidie se fragilisa sous l’avancée des envahisseurs.
Près de quarante ans après, Jugurtha, qui reprit le flambeau de la résistance à la manière de son oncle Massinissa, fut trompé et trahi par ses proches. Le processus de division et de corruption au sein du peuple était lancé. Les Romains distribuaient de l’or ainsi que des propriétés agricoles à certains, nommaient d’autres comme préfets, chefs de tribus, princes ; ils développaient l’aristocratie tribale et ce, pour avoir un maximum de collaborateurs et d’appuis sûrs au sein du peuple.
Après la mort de Jugurtha en 104 avant J. C., il ne restait au pays démembré que le Nord-Est constantinois et la partie ouest peuplée de nomades, confiée, sous le nom de Maurétanie, à Juba II, plus romain que les Romains, à la manière de saint Augustin qui a soutenu la cause des occupants étrangers. Plus tard, on assista à une tentative de remembrement de la Numidie sous le commandement de Takfarinas (mort en 24 de l’ère chrétienne), mais vainement. La fertilité de la terre africaine valait tous les sacrifices humains et matériels. Aussi, la population dut être obligée de fuir vers les montagnes, lieux de refuge sûrs.
Puis, après que l’espace a été libéré, les Romains venus chercher fortune et biens de consommation, créèrent des latifundia, immenses propriétés foncières attribuées à de hauts dignitaires du sérail, proches de l’empereur. Pour augmenter les récoltes de blé, de raison de vin, d’huile, tous les autochtones furent dépossédés de leurs terres, à l’exception de ceux qui s’étaient installés dans les massifs montagneux : Djurdjura, Aurès, Ouarsenis où se constitua une rébellion identique à celle du Sahara où des dissidents, dont le nombre augmentait sans cesse, se préparaient à la révolte et à la récupération des terres usurpées.
L’occupation romaine nous a apporté la preuve que l’histoire est un éternel recommencement. Le général Bugeaud, qui avait dirigé le corps expéditionnaire français, disait à ses colons qui venaient de tous les pays d’Europe, d’occuper toutes les meilleures terres, en mettant dehors leurs propriétaires légitimes.
Cela dura des siècles, mais les Romains ne tardèrent pas à faire face à une véritable insurrection qui devait continuer jusqu’à la chute de leur empire.
Crise et chute
de l’Empire romain
L’opulence et le gaspillage furent tels que la situation économique donna des signes de récession, voire de crise aux conséquences graves. L’Afrique avait été exploitée à outrance. La terre et ceux qu’elle a vus naître, devenus des esclaves au service d’un empire, avaient donné le meilleur d’eux-mêmes pour procurer à l’Italie de l’époque des produits agricoles comme l’huile, les amandes, les raisins secs, et des produits miniers : plomb, argent, fer, cuivre, marbre.
Petits propriétaires terriens, travailleurs de la terre affublés du titre de colons, écrasés par les impôts, obligés de donner toutes leurs récoltes sous la tyrannie des occupants, fuyaient l’humiliation en jurant de prendre part à l’insurrection aux côtés des montagnards qui, eux, pratiquaient une agriculture et un élevage vivriers, des activités artisanales qui les mettaient à l’abri du besoin.
D’après Ahmed Akkache, «c’est en 253, en plein cœur du massif du Djurdjura, que retentirent les premiers échos de l’appel aux armes.
Il ne s’agissait plus, cette fois, d’insurrections périphériques, d’actions de harcèlement de groupes nomades venant se briser sur les défenses du limes, mais d’un soulèvement de masse à l’intérieur même des territoires colonisés. La crise économique avait fait mûrir brusquement les conditions de la lutte armée».
Même si la religion chrétienne avait fini par s’implanter à partir du IIIe siècle de l’occupation, après être rentrée par les cités maritimes en relation avec l’Orient : Carthage, Hippone, Césarée, le feu couvait.
La religion chrétienne fut au début un mouvement de pauvres qui croyaient trouver l’image spirituelle de leurs aspirations. On se mettait à croire en un avenir meilleur, la religion a été un facteur de rapprochement entre les hommes.
Nous sommes à une phase décisive liée au sort du roi Nubel installé sur une colline du Djurdjura avec ses six garçons : Sammac, Firmus, Gildon, Maczezel, Dius, Mazugan, qui se sont livrés à des combats fratricides par ambition, jalousie, intrigues, dit l’auteur. Tous, y compris leur père, sont morts de mort violente. Mis à part le père et Sammac, qui s’étaient fait les alliers de Rome, Firmus, le deuxième fils, se déclara adversaire farouche décidé à reconstituer la Numidie de Massinissa. Il avait son quartier général à Thenia.
Firmus entraîna dans sa lutte les régions de l’est, reste de l’ancienne Numidie avec Constantine, celles de l’ouest et du sud correspondant à la Maurétanie. Très vite, il reprit à l’ennemi une bonne partie du territoire, les Romains avaient alors fort à faire avec Carthage et la menace vandale.
Ainsi, d’un côté, les Romains attirés par la corruption, de l’autre, Firmus luttait pour libérer les esclaves, reprendre la Mitidja, Icosium, Cherchell, Tipaza.
Le remembrement de la Numidie de Massinissa allait bon train. Rome dépêcha alors des renforts sous le commandement du général Théodore qui devait compter sur les mercenaires, les étrangers, les corrompus. C’est pourquoi, le général conseilla à son empereur de reprendre sa stratégie : distribuer de l’or, nommer à des postes élevés les personnalités influentes pour diviser et maîtriser la population. On suggéra même l’idée d’acheter les enfants de Nubel devenus un danger, en contrepartie d’une forte récompense.
Summac, devenu collaborateur des Romains, fut tué par Firmus et la révolte devait continuer jusqu’à la chute de l’empire. Le général débarqua à Djidjel. Et mis à part le massacre qu’il avait commis à Chlef, rien de bon n’avait été fait. Firmus succomba en 376 pour n’avoir pas su tirer profit de ses victoires en s’autoproclamant roi, en déclarant le pays indépendant, en installant un système politique et agraire pour la redistribution des terres usurpées. Son frère Gildon se laissa nommer gouverneur général par les Romains, mais ne tarda pas à entrer en dissidence contre eux. Il rompit avec Rome, arrêta les livraisons de blé vers l’Italie, se rallia à Byzance, vers 396, en se faisant aider par l’évêque donatiste Optat de Timgad pour casser le système des latifundia, saper les fondements de l’Empire romain. Mais l’aventure, menée brillamment, s’arrêta là, Gildon fut tué par son propre frère Maczezel, qui l’avait couvert d’honneur et de privilèges. Optat subit également le même sort. Le frère ennemi fut reçu en triomphateur à Rome.
On s’achemine vers la chute de l’Empire romain avec l’attaque des cathédrales, basiliques. L’Eglise donatiste et l’Eglise romaine ne se sont jamais supportées. Augustin lui-même se réfugie à Souk Ahras, sa ville natale. Il fut l’objet de plusieurs embuscades pour ses liens d’amitié profonde avec Rome.
Briseurs de chaînes, saints, circoncellions, rebelles, révoltés, sont toujours là pour que triomphent les idéaux de liberté et de justice. D’origine rurale, ils ont toujours tiré leur subsistance de la terre bénie. Mais sous le poids des impôts et de la tyrannie, leur vie a été un enfer durant des siècles. En 455, les Vandales de Genseric, installés à Carthage vers 430, traversent la Méditerranée pour attaquer Rome qui voit son empire s’écrouler.
L’auteur parle de Révolte des saints dans la perspective de lutte des classes. Les révoltés d’origines sociales diverses : paysans, esclaves, évêques, se retournent contre les exploiteurs venus d’un autre continent pour tirer profit des fruits et de la terre des ancêtres et du labeur des esclaves. Frondes, couteaux, lances, épées, glaives sont utilisés sans relâche pour venir à bout d’un usurpateur qui s’est nourri et a bâti une civilisation sur le dos d’un peuple.
Mais La révolte des saints devrait s’appeler «Roman historique», étant donné le travail de reconstitution qu’a dû faire l’auteur dans le respect de la chronologie.
Boumediene A.
La révolte des saints, Ahmed Akkache, Casbah Editions, 2006, 157 pages
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