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Interview du Webmestre sur France3
 Le rêve arabe de Napoléon III
Auteur: MarlboroMaN 
Date:   2003-08-21 13:28:00

Le rêve arabe de Napoléon III
par Daniel Rivet,

Cet article est paru dans le n°140 de la revue L'Histoire de janvier 1991.

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Le 17 septembre 1860, Napoléon III met le pied sur le sol algérien. Il a un grand projet en tête : un royaume arabe, qui s'étendrait d'Alger à Bagdad, sous la protection de la France. Un royaume où règnerait l'égalité entre indigènes et Européens. Napoléon III n'était ni un illusionniste ni un rêveur chimérique égaré en terre d'Afrique, mais plutôt un homme en avance sur son temps.

Le 17 septembre 1860 au matin, Napoléon III est le premier chef d'Etat français à débarquer à Alger, sur cette terre d'Afrique où la France, depuis 1830, progresse à coups d'expériences contrastées.

Si bref soit-il, ce premier contact avec l'Algérie produit sur lui une impression profonde. Non pas tellement le défilé de l'armée d'Afrique ou le bain de foule coloniale, mais la superbe fantasia orchestrée par Yûsuf, un aventurier drapée en mamelouk, et la réception arabe qui suit - occasion pour le souverain d'entrevoir les tréfonds de la société indigène. C'est pourquoi, après l'hommage rituel "aux hardis colons venus implanter en Algérie le drapeau de la France", il s'attarde sur la mission civilisatrice de celle-ci : "Notre premier devoir, dit-il, est de nous occuper du bonheur des trois millions d'Arabes, que le sort des armes a fait passer sous notre domination." Le renversement de perspective est saisissant : les colonisés passent au premier plan ; les indigènes se métamorphosent en Arabes.

Dès lors, l'Empereur fait entrer dans son domaine réservé cette Algérie qu'il avait d'abord considérée comme un "boulet attaché aux pieds de la France" puis comme une simple diversion pour l'Armée. Coup de coeur d'un Européen cédant au mirage de l'Orient ? Coup de tête d'un intellectuel chimérique en quête d'un grand dessein pour réhausser son règne ? Volonté d'une association avec les Algériens, mûrie par un homme inspiré et obstiné ?

Au seuil des années 1860, l'ancienne Régence ottomane est un lieu à la mode où se retrouvent gens huppés et intellectuels : l'Algérie entretient le goût des Français pour l'exotisme. La haute société s'arrache Bou Maza, l'insurgé du Dahra (1845), retenu en captivité dorée à Paris. Seuls quelques artistes échappent à cet Orient de convention : le peintre Théodore Chassériau, le peintre et écrivain Eugène Fromentin.

L'Algérie est aussi un terrain d'essai pour les questions sociales et industrielles qui préoccupent les contemporains - une version coloniale de l'Icarie (1) dont rêvent les socialistes utopiques. Après l'échec de l'équipée saint-simonienne en Egypte (1833), Prosper Enfantin, principal propagateur de la doctrine saint-simonienne (ses disciples l'appelaient "le Père"), reporte sur l'Algérie ses projets de mise en valeur futuriste.

En 1847, quelques fouriéristes fondent une éphémère colonie à Saint-Denis-du-Sig, près d'Oran. Echouent enfin, après juin 1848, sur le territoire algérien, ouvriers et idéologues, républicains réfractaires au coup d'Etat du 2 décembre 1851 (les "transportés"), enfants trouvés et orphelins nécessiteux.
Des aristocrates légitimistes dépités par la révolution de 1830 viennent y chercher fortune. Des journaliers espagnols, maltais, italiens sont hommes de peine. Une plèbe rurale issue des montagnes pauvres de Provence végète dans les 211 villages lotis par l'Etat colonial. En ville, les 6000 "transportés" ne sont plus qu'environ 200 après l'amnistie de 1859, mais ils ont contribué à modeler durablement l'état d'esprit de la société coloniale en lui insufflant une psychologie de laissés pour compte, sinon de réprouvés.

Quant à l'initiative capitaliste métropolitaine, qui iirigue quelques grandes concessions et les premières entreprises minières (Mokta el Hadid depuis 1857), elle ne produit pas de dividendes importants. Ainsi, à la fin des années 1860, la Société générale algérienne, créée en 1865, sur l'instance de l'Empereur, par l'ingénieur Paulin Talabot, directeur du PLM (ligne de chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée), dotée d'un capital de 100 millions de francs, n'équilibre ses comptes qu'en réalisant des opérations boursières et immobilières en Egypte.

L'Algérie n'est peuplée, en 1858, que de 189 000 Européens. Entre Français d'origine et Européens d'autres nationalités s'engage une course à la croissance longtemps indécise. En 1852, le nombre des étrangers (65 000) avoisine celui des Français (66 000). En 1872, ceux-ci (129 600) l'emportent sur ceux-là (115 000), mais seulement grâce à la naturalisation en bloc de 35 000 Juifs algériens. Du moins la colonie n'est-elle plus ce territoire insalubre qui épouvantait le journaliste catholique Louis Veuillot. A partir de 1856, au sein de la communauté européenne, les naissances l'emportent durablement sur les décès.

L'Armée, dont l'effectif oscille entre 57 000 et 74 000 hommes, administre la majorité des indigènes, ainsi qu'une mince cohorte d'Européens (6% d'entre eux en 1858) dans sa zone réservée, qui réduit le territoire civil au littoral, où les colons sont rois. Elle dispose pour ce faire, depuis 1844, d'un service spécial, les Bureaux arabes. Ils sont quarante en 1850, quarante-neuf en 1870, et découpent d'énormes circonscriptions. Celles-ci sont contrôlées par cent cinquante à deux cents officiers, secondés par des médecins, des khodja (secrétaires algériens) et des chaouch (plantons), et épaulés par des pelotons de spahis à cheval et de supplétifs à pied.

Leur mission est d'abord de renseignement : "Avoir, pour ainsi dire, la main sur le pouls des tribus" (note du ministère de la Guerre, 1857). Elle consiste, de plus en plus, à administrer les ociétés locales par l'intermédiaire de leurs chefs, dont le prestige s'effrite au contact prolongé de l'étranger. Les officiers exercent ainsi le "métier, plus que mixte, de soldats, de percepteur d'impôts et de juge de paix" (général Cousin de Montauban). Bon nombre d'entre eux sont imprégnées d'idées progressistes et assimilent l'assujettissement à une mission civilisatrice. Faire passer les tribus de la tente à la maison en dur, du douar (cercle de tentes) au village, de la propriété collective à la propriété individuelle, du conseil informel (djema'a) à la commune, ce n'est pas seulement surveiller et punir, c'est aussi introduire le progrès, donc émanciper les indigènes.

L'Algérie devient alors l'enjeu d'une rivalité entre militaires et civils. Les officiers veulent initier les indigènes à la civilisation moderne, par l'intermédiaire de l'école, de l'école et de la caserne. Leur objectif à terme, c'est la "fusion des races" : "Nous avons des citoyens français qui sont Juifs, protestants, catholiques ; pourquoi n'ajouterions-nous pas à cette liste des musulmans ?" suggères le capitaine Richard, du Bureau arabe d'Orléansville. Mais bon nombre de colons ne conçoivent pas d'autre sort pour les indigènes que le refoulement vers le Sud. "Les Français ne veulent pas partager ces prérogatives avec des races dont l'intérêt est notre anéantissement", proclame ainsi le quotidien L'Akhbar du 19 mai 1870. Selon le maréchal Randon, l'Armée doit, d'une part, apaiser "le mécontentement sauvage" des indigènes, d'autre part, endiguer l'"ambition démesurée et dangereuse" des colons (2).

Car les Arabes, dans leur immense majoité, "ont la conviction qu'un peu plus tôt ou un peu plus tard, [les Français] quitteront leur pays". "Notre présence est chez eux une catastrophe qui leur a été infligée par @!#$ en punition de leurs péchés. Le Tout-Puissant satisfait, il pardonnera, et les chrétiens seront, à leur tour, vaincus et humiliés", explique le général Daumas, fondateur des Bureaux arabes. Les indigènes adoptent une attitude passive ombrageuse, qu'Eugène Fromentin a magistralement décrite : "Ce que ces proscrits volontaires détestent en nous [...] c'est notre voisinage, c'est-à-dire nous-mêmes ; ce sont nos allures, nos coutumes, notre caractère, notre génie. Ils redoutent jusqu'à nos bienfaits. Ne pouvant nous exterminer, ils nous subissent ; ne pouvant nous fuir, ils nous évitent. Leur principe, leur maxime, leur méthode est de se taire, de disparaître le plus possible et de se faire oublier. (3)"

Or, depuis 1848, l'Algérie c'est la France. La IIème République s'est lancée dans une expérience d'assimiliation administrative, en créant trois départements, et politique, en faisant élire trois députés par les colons à l'Assemblée législative - expérience biaisée par le maintien de la zone militaire. De 1852 à 1858, l'Armée redevient toute-puissante sous le gouvernement de Randon. Mais en 1858 une deuxième tentative d'assimiliation fait de l'Algérie un véritable duplicata de la métropole. Presque tous les services administratifs sont transférés à Paris et concentrés en un ministère de l'Algérie et des Colonies confié à un ministre-résidant qui ne mettra jamais les pieds sur le territoire de son ressort : le prince Jérôme, un cousin mal pensant et protégé de l'Empereur.

Après son escale à Alger en septembre 1860, Napoléon III supprime ce ministère et rétablit le dispositif en vigueur au temps de Randon ("le régime du sabre", selon la métaphore polémique des colons). En somme, l'Algérie est toujours dans l'attente d'un statut organique fixant la répartition des pouvoirs entre civils et militaires, et la répartition des compétences entre Paris et Alger. La Constitution de 1852 avait stipulé que le Sénat y pourvoirait. En 1860, on attend toujours le senatus-consulte mettant fin à cette confusion des institutions.

La visite du souverain a donc lieu à un moment crucial, alors que l'équilibre entre l'Algérie des militaires et celle des colons n'est pas encore rompu et que la disproportion entre Algériens et Européens ne paraît pas irréversible.

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MarlboroMaN 2003-08-21 13:28:00 

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