Auteur: Michel_Mohand
Date: 2003-08-17 20:20:13
Berbères dans le Maghreb d'aujourd'hui et de demain.
L'autonomie : une voie lucide et réaliste pour la Kabylie
Par Salem CHAKER Professeur de berbère à l'Inalco - Paris)
1. Le poids démographique des berbérophones : des minorités
"encombrantes"
En premier lieu, on insistera fortement sur l'importance du paramètre démographique : en Afrique du Nord, du moins en Algérie et au Maroc,les berbérophones sont certes minoritaires, mais ils constituent des minorités conséquentes puisqu'on peut les évaluer à 20-25% de la population algérienne et à 35-40% de la population marocaine. Ces données démographiques contiennent déjà un élément de compréhension essentiel de la tension qui a toujours régné autour de la question berbère en Afrique du Nord : les berbérophones ne sont pas des minorités insignifiantes que l'Etat central pourrait facilement "oublier", gérer et intégrer. Ce sont des masses démographiques considérables, concentrées sur des régions généralement bien individualisées et qui, de ce fait même posent structurellement un problème aux Etat concernés. En clair, une remise
en cause des Etats-nations actuels est une potentialité objectivement inscrite dans la démographie.
Du point de vue de la stricte observation du réel social, le "danger berbère", le risque de "séparatisme berbère", régulièrement brandi par les courants idéologiques dominants au Maghreb, n'est pas seulement un mythe. On peut même considérer que si les Berbères constituaient un ensemble géographique compact, même transfrontalier (comme les Kurdes
par exemple), et non un chapelet discontinu de régions berbérophones, il est assez probable que l'histoire récente du Maghreb aurait été fort différente et qu'il existerait déjà un Etat berbère en Afrique du Nord.
2. Un environnement idéologique globalement hostile
La configuration qu'a prise la revendication berbère, notamment en Kabylie, depuis une trentaine d'année ne peut se comprendre qu'en référence à un contexte idéologique et politique fondamentalement hostile à l'identité berbère. Hostilité structurelle qui a induit une affirmation réactive, d'abord des élites, puis de la population dans son ensemble,focalisée principalement, mais non exclusivement, sur la langue. Car,
la revendication berbère est et reste d'abord linguistique et culturelle : en Kabylie par exemple, depuis 1980, le slogan " Berbère, langue nationale et officielle " réunit tous les acteurs de la revendication.
L'hostilité à la berbérité est en fait partagée par tous les courants idéologiques dominants, tous fortement représentés dans les appareils idéologiques (d'Etat ou non) maghrébins.
- D'abord l'arabo-islamisme, dont il convient de rappeler qu'il est consubstantiel des Etats maghrébins, puisque dès les tout débuts des projets nationalistes, tant algérien que marocain, les Etats-nations orojetés sont expressément définis comme arabes et musulmans. Et les différentes constitutions et textes d'orientation fondamentaux depuis les indépendances n'ont jamais varié sur ce point : " les Maghrébins sont arabes et musulmans ". Cette définition de l'identité nationale fait partie de ce qui est considéré par les courants idéologiques dominants et par les Etats comme des " options fondatrices et irréversibles ". C'est ce qui a induit dans les deux pays principaux concernés, l'Algérie et le Maroc, avec d'importantes nuances dans les applications, les politiques dites " d'arabisation ", visant à la fois l'éradication du français,
langue de l'ancienne puissance coloniale, et du berbère, réalité en contradiction évidente avec l'affirmation de l'arabité essentielle de la nation.
- Ensuite le centralisme jacobin, bien entendu directement
hérité de l'expérience politique de la France. On n'oubliera pas que les élites nord-africaines, politiques et autres, sont majoritairement de formation française et que la constitution des champs politiques maghrébins a été profondément influencée par l'expérience historique de la France.
Même les élites arabophones, formées au Moyen-Orient, partagent en fait le même stock de références, notamment en matière de conception de l'Etat, à travers le nationalisme arabe dont on sait que l'inspiration principale a été le modèle français (" une nation, un territoire, une langue, unes et indivisibles "). En Algérie, cette conception a été puissamment renforcée par une influence durable des modèles de fonctionnement politique staliniens, dans le Mouvement national déjà, puis dans
l'Algérie indépendante du Parti unique (FLN). Jacobinisme et autoritarisme politique ne pouvaient évidemment développer qu'une approche répressive vis-à-vis de la diversité linguistique et culturelle.
- Enfin, surtout en Algérie, les conditions historiques - une
colonisation française négatrice et ouvertement assimilationniste - a induit un nationalisme réactif exacerbé, en particulier pour tout ce qui touche aux questions d'identité. C'est ainsi que dès les années 1930, toute référence à la berbérité a été assimilée à une remise en cause de l'unité
nationale, à une manipulation du colonialisme français, et depuis l'indépendance, à une collusion avec des intérêts étrangers diabolisés (surtout français, mais aussi israéliens, américains…). Il y a de manière lourde, un complexe identitaire maghrébin qui s'est constitué dans le regard de la France coloniale.
C'est cet ensemble de facteurs qui expliquent la prégnance en Afrique du Nord du spectre de la "sécession berbère", cette suspicion permanente "d'atteinte à l'unité de la Nation" face à la revendication de reconnaissance de la langue berbère : toute mise en avant du paramètre berbère apparaît comme une remise en cause des fondements définitoires de la Nation et de l'Etat et ne peut donc exister qu'en liaison avec les "ennemis extérieurs " du pays.
3. La Kabylie : une région "en pointe" : Les facteurs d'une émergence identitaire Dans la présentation de la réédition de mon ouvrage Berbères aujourd'hui (1998), j'écrivais : " … il est prudent de parler désormais d'un problème kabyle, propre à l'Algérie, même si aux plans historique et civilisationnel, voire éthique, le problème berbère est celui de tout le Maghreb. ".
Car effectivement, un regard objectif sur les données sociopolitiques contemporaines amène à admettre que la "question berbère" ne se pose pas dans les mêmes termes dans toutes les régions berbérophones. La Kabylie est la seule région où il existe un mouvement revendicatif berbère puissant et pérenne, ayant un ancrage populaire indiscutable, ainsi que l'ont montré les très nombreuses manifestations et protestations depuis
1980. Ailleurs, tant en Algérie qu'au Maroc, il existe bien un
mouvement associatif, parfois dense et revendicatif, (dans les domaines chleuh et rifain, notamment), mais pas, du moins jusqu'à présent, de revendication populaire significative.
Depuis ce que l'on a appelé le "Printemps berbère" (1980), la Kabylie est dans une relation de tension ouverte quasi-permanente avec l'État central algérien. Manifestations, grèves, grèves scolaires, affrontements et émeutes, arrestations ponctuent de manière cyclique les relations entre les autorités et la région. Depuis 1980, il ne s'est guère passé deux années consécutives sans que la région n'ait connu d'importants
mouvements de protestation : imposantes manifestations pour la
reconnaissance du berbère en 1991, grève scolaire quasi totale
pendant plus de six mois en 1994-1995 pour l'enseignement de tamazight, affrontements violents en juin-juillet 1998 après l'assassinat, dans des conditions troubles, du chanteur Matoub Lounes… Les derniers événements du "Printemps noir" 2001, qui ont fait plus d'une centaine de morts, et installé une
situation de violence durable dans la région, constituent un
paroxysme qui confirme bien une thèse que je développe depuis de nombreuses années : même si les élites kabyles, politiques, intellectuelles et culturelles, ont du mal à en prendre conscience et à l'admettre, il existe une rupture profonde et globale, aux causes multiples, entre la Kabylie et l'État central algérien.
Pourquoi cette spécificité kabyle ? La question peut d'autant moins être esquivée, que les données anthropologiques fondamentales et les expériences historiques sur la longue durée des diverses régions berbères sont très comparables. Les facteurs explicatifs semblent tous découler de l'histoire récente.
La Kabylie est la seule région qui a connu une acculturation
occidentale (française) profonde, par le biais d'une scolarisation ancienne et significative et par le biais de l'émigration. Cette acculturation touche en profondeur le tissu social, y compris rural et féminin. La France, les valeurs républicaines sont des références très présentes, même
chez les analphabètes kabyles. Et ce n'est pas un hasard si les deux partis politiques algériens (FFS et RCD), clairement républicains et laïcs, sont des partis à ancrage sociologique kabyle. Les conséquences directes de cette histoire particulière sont nombreuses et concourent toutes à renforcer la spécificité de la région :
- La Kabylie est la seule région berbère possédant des élites
modernes (francophones) nombreuses et de formation ancienne - dès le début du XXe siècle. Sur ce plan, le contraste avec les Aurès ou les régions berbérophones marocaines est saisissant.
- La Kabylie est la seule région berbère où la culture politique de type moderne est d'implantation ancienne et large, principalement à travers l'expérience de l'émigration ouvrière massive vers la France depuis près d'un siècle, et à travers l'expérience du Mouvement national algérien.
- La Kabylie est la seule région berbérophone où l'@!#$ (sous toutes ses formes), ne joue plus un rôle déterminant dans les champs sociopolitiques et culturels. Depuis longtemps, les valeurs, le système de références qui sous-tend les dynamiques sociales, politiques et culturelles ne sont plus de nature religieuse. Bien entendu, il ne serait pas sérieux de parler de société "laïque" ou de disparition de l'@!#$ en Kabylie, mais l'autonomisation de la société par rapport à la @!#$, qui
était déjà une donnée dans la société précoloniale, a été
formidablement renforcée par l'acculturation occidentale.
Mais la rupture a sans doute aussi des causes sociales spécifiques plus immédiates. Sur le plan social, l'échec de l'État algérien a, en Kabylie, une dimension particulière qu'il convient de souligner et qui amène à considérer que la région est dans un véritable cul-de-sac, situation que les autorités ont laissé se mettre en place et s'aggraver après 1962. Pendant tout le XXe siècle, la surpopulation structurelle de la région a pu trouver un exutoire dans une émigration massive vers les
grandes villes d'Algérie et vers la France, où les Kabyles ont
longtemps constitué la forte majorité de l'immigration algérienne. La fin de la colonisation française a aussi été une véritable bouffée d'oxygène pour la Kabylie car son surcroît démographique a pu se déverser sur Alger et sa région ; sa population adulte masculine, souvent scolarisée, a pendant
une quinzaine d'années, facilement pu y trouver travail et logement. Ces "soupapes de sécurité" n'existent plus : l'émigration de masse vers la France est arrêtée depuis 1974 et Alger est une mégalopole surpeuplée où sévissent chômage et crise aiguë du logement. Les nouvelles générations kabyles ne trouveront plus le salut ailleurs. C'est sans doute ce qui permet de comprendre la radicalisation des protestations
en Kabylie depuis 2001, avec le mouvement dit des 'archs (Cf. § 5).
4. Evolutions récentes : décrispation ou stratégies de neutralisation
Les dernières années ont été marquées par un assouplissement sensible des positions des Etats centraux vis-à-vis de la "question berbère", tant en Algérie qu'au Maroc. Progressivement, même si les textes fondamentaux et la politique linguistique concrète demeurent globalement inchangés, on est passé depuis 1990 d'une hostilité déclarée à une tolérance
"à la marge". Les moments les plus remarquables de cette décrispation sont : la création en 1990 et 1991 des Départements de Langue et Culture Amazighes au sein des universités de Tizi-Ouzou et Béjaïa en Kabylie ; le discours royal du 20 août 1994, par lequel Hassan-II se déclarait favorable " à
l'enseignement des dialectes berbères " ; la création en mai 1995 du Haut Commissariat à l'Amazighité auprès de la Présidence de la République algérienne et l'ouverture de cours facultatifs de berbère dans l'enseignement moyen (collèges) et secondaire (lycées) dans certains établissements, surtout en Kabylie ; en fin 2001, la création au Maroc de l'Institut Royal pour la Culture Amazigh et, en mai 2002, la modification constitutionnelle qui reconnaît au berbère le statut de " langue
nationale " en Algérie (l'arabe restant " langue officielle et nationale ").
Mais, parallèlement, la politique d'arabisation a régulièrement été réaffirmée en Algérie (loi de généralisation de la langue arabe entrée en vigueur le 5 juillet 1998), entraînant une réaction immédiate violente en Kabylie. Et, surtout, en Algérie comme au Maroc, les mesures prises en faveur du berbère restent très marginales et sans effets réels sur les politiques linguistiques et culturelles et sur les dynamiques
sociolinguistiques lourdes ; on semble bien loin d'une quelconque perspective de "compromis historique" entre les Etats algérien et marocain et la berbérité.
En particulier, et c'est là un élément remarquablement commun dans l'approche officielle de la question dans les deux pays, est explicitement exclue toute forme de reconnaissance de droits linguistiques et culturels des populations berbérophones, que l'on refuse de considérer comme des minorités ethnolinguistiques, susceptibles de bénéficier de la
protection des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits des groupes linguistiques et culturels minoritaires ; le discours officiel, tant algérien que marocain, est clair sur ce plan : " la langue et la culture berbères ne sont pas la propriété d'une région (ou de régions) particulière(s), mais un élément du patrimoine culturel commun et indivis de la nation " .
Cette approche "patrimonialiste" - dont les sources idéologiques et juridiques sont typiquement françaises ! -, doit être analysée (et est perçue par les militants berbères) comme une tentative de dépossession et de neutralisation d'une revendication dont on craint les effets déstabilisateurs sur les fondements et les formes mêmes des Etats-nations
maghrébins.
5. L'avenir : une autonomisation sans doute inéluctable
malgré l'hésitation des élites Contrairement aux projections faites dans les années 1960 par la quasi-totalité des spécialistes occidentaux de sciences sociales, les
indépendances algériennes et marocaines n'ont pas fait disparaître le paramètre berbère du champ politique, bien au contraire. La dilution dans le creuset arabe, annoncées par tous, ne s'est pas opérée et plusieurs régions berbérophones se posent déjà comme des acteurs politiques collectifs, et des potentialités d'évolutions similaires existent presque partout, en Algérie comme au Maroc.
Les politiques linguistique et culturelle agressives, mais aussi
l'échec flagrant des politiques de développement avec ses
implications sociales lourdes, constituent les deux principaux ferment de l'émergence berbère, actuelle et à venir. Et, comme il est exclu que ces données et tendances fondamentales soient inversées dans les prochaines années, dans aucun des deux pays, il y a fort à parier que l'affirmation identitaire évoluera inéluctablement vers une émergence politique, en termes de
projets berbères spécifiques.
C'est, de fait, ce qui vient de se produire en Kabylie au cours des dernières années : la revendication linguistique berbère y a pris une forme ouvertement autonomiste. Cela a été déjà explicitement le discours des jeunes manifestants kabyles de juin 1998, après l'assassinat du chanteur Matoub Lounes et les derniers évènements de désobéissance civile massive (à partir d'avril 2001) y ont favorisé l'émergence d'un mouvement
politique favorable à une large autonomie de la Kabylie (le "
Mouvement pour l'Autonomie de la Kabylie ") qui pourrait bien constituer l'avant-garde d'une dynamique politique plus globale. Il est à souligner que pour la première fois depuis 1871, émerge en Kabylie un projet politique spécifique, qui tente de définir l'avenir de la région indépendamment du cadre et des perspectives nationales algériennes.
Pour ma part, j'ai pour affirmé dès le début des années 1990 (voir bibliographie) qu l'autonomisation des luttes kabyles probablement inéluctable et que l'autonomie de la Kabylie était sans doute la seule solution politique qui pourrait permettre à cette région de survivre dans son identité berbère, c'est-à-dire d'échapper aux deux risques majeurs qui la guette : la disparition douce par dilution et assimilation progressive
dans le creuset arabo-islamique national ou l'affrontement
inter-ethnique ouvert, pouvant conduire à une répression violente de grande envergure, voire au génocide.
Ma position ne relevait pas d'un quelconque penchant pour le
radicalisme ou la surenchère politique : elle n'était que la
conclusion lucide de l'observation et de l'analyse des luttes et des dynamiques socioculturelles que connaît la région depuis près d'un siècle. Tout indique, les discours collectifs comme les actions, que les Kabyles se perçoivent globalement, depuis des décennies, comme une entité spécifique,définie
par un territoire, une langue, une tradition culturelle, des
référents historiques… qui leurs sont propres et dont ils demandent la reconnaissance dans le droit et dans les faits.
La véritable inconnue réside en fait, en Kabylie comme ailleurs, dans la façon dont les dynamiques en cours seront relayées par les acteurs politiques et les élites berbères qui, majoritairement pour l'instant, restent en retrait sur ce terrain, parce qu'encore très profondément intégrés aux projets d'Etat-nation algérien ou marocain. Au niveau de la majorité des acteurs politiques berbères, même kabyles, il est certain
que l'horizon reste balisé par la perspective nationale, qui
constitue le creuset idéologique dans lequel ces élites ont été formées. Mais là encore, il est à peu près certain qu'il s'agit d'une fiction fragile, largement entretenue par des intérêts particuliers (voire individuels), qui s'effondrera inéluctablement et sans doute rapidement. Tous les indices
objectifs confirment en effet que :
- les organisations et chefs politiques kabyles n'ont aucun ancrage en dehors des zones et populations berbères,
- la bases sociale et militante des partis politiques kabyles est clairement berbériste, de même qu'une grande partie de l'encadrement de ces partis,
- les partis politiques nationaux algériens (toutes tendances
confondues) ne parviennent pas depuis plus d'une décennie à
s'implanter en Kabylie. Comme je l'écrivais dès 1990, les forces politiques kabyles s'appuient sur une aspiration sociologiquement très présente en Kabylie pour se constituer organiquement et s'imposer sur l'échiquier politique
national, avec des stratégies plus ou moins indépendantes de l'aspiration populaire qui les porte. Il y a donc un hiatus idéologique et stratégique entre les partis "kabyles" et leur base. En des termes plus polémiques, on dira qu'il y a de la part des hommes politiques berbères une instrumentalisation opportuniste de leur base sociale. Mais ce hiatus entre la base sociale kabyle et les appareils politiques ne pourra durer bien longtemps : il a déjà induit un discrédit profond des partis politiques kabyles, qui depuis le printemps 2001, ont été
marginalisés par les mouvement des 'arch. A l'évidence, les partis politiques kabyles suivent leur société et ne la guident plus. Certes, le mouvement des 'archs (comités de villages et de tribus) qui a pris la direction de la contestation en Kabylie depuis deux années, s'interdit tout discours de type ethnique ou autonomiste, mais il développe parallèlement, sciemment et de manière constante, une stratégie de rupture et d'opposition frontale avec l'Etat central : autrement dit, si le programme (" la plate-forme d'El-Kseur ") n'est pas autonomiste, on a bien affaire à une option politique de rupture. Et la gestion de
cette crise par l'Etat central, qui alterne répression sanglante, répression et tentatives d'infiltration et de manipulation, ne pourra que renforcer la conscience kabyle que, décidément, la région n'a rien à attendre du pouvoir central et qu'il est grand temps qu'elle prenne son destin en main. Déjà, très explicitement, la gendarmerie nationale est perçue et présentée comme une force d'occupation étrangère dont on
exige le retrait … Même si les 'archs et leurs porte-parole ne l'assument pas, il est évident que le mouvement de protestation depuis deux ans a puissamment renforcé le particularisme kabyle parce que la réalité objective, au-delà des discours convenus, est que la région assume seule une opposition frontale au pouvoir, sur la base de revendications qui lui sont (et resteront) propres.
En fait, ces lézardes nettement perceptibles dans le tissu national algérien, manifestent simplement la fragilité des constructions nationales en Afrique du Nord, leur caractère à la fois très récent et réactif (résistance à la négation coloniale) ; et aussi le fait qu'elles ont été/sont portées par des élites politiques et intellectuelles minoritaires, qui ont intégré l'idéologie et les cadres de l'Etat-nation moderne
d'origine française, mais dont la représentativité sociale est
d'autant plus problématique que l'échec de ce modèle est désormais avéré dans tout le Maghreb, aux niveaux social, économique, culturel et même, dans le cas de l'Algérie, de la sécurité immédiate et du droit à la vie.
La "question berbère", et en particulier sa "version kabyle", seront donc très certainement dans les années à venir des lieux
d'instabilité et d'évolutions importantes en Afrique du Nord.
Mais il ne peut faire de doute que si les Berbères veulent exister et survivre, en Kabylie comme ailleurs, ils ne pourront le faire qu'en s'affirmant comme des groupes humains spécifiques, des minorités ethno-culturelles, dont les droits doivent être reconnus et garantis, dans le cadre d'une conception radicalement nouvelle de l'Etat, qui doit
accepter à la fois leur existence et leur souveraineté, c'est-à-dire leur droit de décider librement de leur destin.
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