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Le Blog
Interview du Webmestre sur France3
 Re: Autonomie par S.Chaker ( 3)
Auteur: Azrem 
Date:   2001-10-15 21:52:18



Autonomie en Kabylie : briser un tabou
III. Comment la construire
Pour la question épineuse qu'est l'éventualité d'une autonomie en Kabylie dans le contexte politique actuel, Salem Chaker, linguiste, estime qu'« il ne fait pas de doute qu'il existe un peuple kabyle avec son identité collective, sa culture, sa langue et son territoire. Il est temps d'imposer cette évidence ». Il nous explique dans cette troisième partie comment peut être appliquée cette autonomie sur le terrain.
Par Salem Chaker (*)

La démocratie n'est pas une entité préconstruite, une panacée universelle qui, automatiquement, résoudrait les contradictions que connaît une société et qui, mécaniquement, imposerait sa loi à partir d'en haut et règlerait, comme par magie, les problèmes et contradictions d'une société. C'est seulement un dispositif de fonctionnement de la société, permettant la résolution pacifique des contradictions, qui existent et préexistent et doivent être expressément formulées, portées et organisées. Pour ne prendre que des exemples proches, souvenons-nous que la France démocratique de la
IIIe République a mis en place et maintenu le système colonial en Algérie ; que la France démocratique, « patrie des droits de l'Homme », a mené une politique séculaire d'éradication de ses langues régionales et leur refuse toujours toute forme de reconnaissance juridique
En fait, ces critiques « démocrates » relèvent généralement d'une culture politique centraliste et/ou stalinienne qui n'imagine pas que la société puisse primer sur l'Etat ; des milieux convaincus qu'eux au pouvoir, la démocratie et le bonheur s'imposeront tout naturellement. On sait les dérives auxquelles, partout, ces approches ont mené ; fondamentalement, ces positions sont très proches parentes de celles du FLN d'hier et d'aujourd'hui : « l'indépendance d'abord, le reste suivra » ; « assurer d'abord le développement du pays, le reste viendra après » ; maintenant, on voudrait nous faire avaler : « La démocratie d'abord, la question linguistique, la question de l'identité après » Tout n'est pas dans tout et tous les combats pour le droit ­p; pour les droits des minorités, des femmes, des travailleurs ­p; sont légitimes et doivent pouvoir s'exprimer et recevoir leur réponse ici et maintenant. Les vrais bâtisseurs de la démocratie sont ceux qui formulent et explicitent les contradictions et non ceux qui les nient, les minimisent ou les mettent sous le boisseau et leur proposent d'attendre « les lendemains qui chantent ».
Sur un terrain voisin, la question de l'articulation entre autonomie de la Kabylie et système politique global ne doit être ni éludée ni utilisée comme argument pour bloquer la réflexion et le débat sur l'avenir de la Kabylie elle-même. Je considère, pour ma part, qu'il n'appartient pas aux Kabyles seuls de définir, ni même de proposer un système politique global pour l'Algérie ; c'est leur réflexion, leur lutte pour l'autonomie de leur région qui contribuera à construire une configuration nouvelle de l'Algérie, en faisant prendre conscience au reste de l'Algérie que d'autres formes d'organisation et de gestion peuvent se concevoir, pour l'ensemble du pays. Bien que cela puisse être une solution envisageable, il ne paraît pas réaliste de proposer, en l'état du débat, un système fédéraliste généralisé pour l'Algérie : aucune autre région n'a manifesté avec autant de force et de constance sa spécificité, aucune autre région ne connaît une mobilisation aussi durable et aussi large pour son droit à l'existence. Et, au niveau objectif, aucune autre région ne semble réunir autant de paramètres historiques, sociologiques, politiques, culturels fondant une identité collective forte. Il n'est donc pas certain que la solution d'autonomie défendue pour la Kabylie puisse être mécaniquement étendue à l'ensemble du territoire ; mais il paraît évident, même si les formes ne sont pas nécessairement les mêmes partout, que toute l'Algérie gagnera à une très large décentralisation, à un renforcement de la légitimité du local.

L'assise territoriale
Le charcutage territorial de la Kabyle est une vieille tradition et, en la matière, l'Algérie indépendante n'a fait que reprendre, en l'accentuant, la pratique de la France coloniale. La France qui avait, à l'évidence, la possibilité de créer en Kabylie, dès le XIXe siècle, une entité administrative et territoriale linguistiquement homogène ne l'a pas fait ni même envisagé. Au contraire, on a préféré couper artificiellement la Kabylie en deux ­p; Grande Kabylie, rattachée à Alger et Petite Kabylie intégrée dans le département de Constantine ­p; et écarteler ainsi une région dont l'insurrection de 1871 avait bien montré l'unité politique, humaine et culturelle. L'Algérie indépendante, quant à elle, découpe et redécoupe avec constance les zones berbérophones, particulièrement la Kabylie, actuellement fragmentée entre six wilayas artificielles. L'objectif restant toujours le même : empêcher l'émergence ou la consolidation d'entités géoculturelles berbères et diluer la berbérophonie dans des unités territoriales non
homogènes.
Il s'agira donc de réunir un ensemble géographique et humain uni par la langue, la culture, des réseaux de solidarités et une mémoire commune ­p; la Kabylie : tamurt n Leqbayel ­p;, que toutes les manipulations administratives n'ont pas réussi à briser et à diluer et qui vit quoti-diennement dans la conscience de ses habitants et dans sa
culture.
Une région autonome kabyle devra regrouper l'ensemble des communes berbérophones (= à majorité berbérophone) des actuelles wilayas de Béjaïa, Tizi Ouzou, Bouira, Bordj Bou Arréridj, Sétif et Boumerdès, en gros le territoire de l'ancienne wilaya III de la guerre de Libération. Dans les zones limitrophes bilingues, les populations locales devront pouvoir déterminer librement leur rattachement par voie de référendums locaux ; un redécoupage du territoire des actuelles communes pourra également être envisagé lorsque la répartition des langues à l'intérieur d'une commune est clairement géographique.

Les prérogatives de la région
Si l'Etat ne sert à rien, il faut s'en passer pour tout ce qui peut efficacement être assumé au niveau régional. Sachant la vieille tradition d'organisation et de solidarité communautaires kabyles ­p; dont les événements récents viennent de montrer la vivacité ­p;, le champ de ce qui doit relever d'une décision régionale ou locale est extrêmement large : la totalité du secteur de l'éducation et de la culture, l'essentiel des fonctions socio-économiques et même la sécurité quotidienne. Ne devraient relever des prérogatives exclusives de l'Etat que les questions de sécurité extérieure, les affaires étrangères et relations diplomatiques et la politique monétaire.
Au plan de la culture, de la langue et de l'éducation, la région doit bénéficier d'une autonomie totale. Parce que le droit à la langue et à la culture sont des droits imprescriptibles, reconnus par de nombreux instruments juridiques internationaux, parce que la politique d'arabisation est un crime en ce qu'elle tend à détruire une langue, une culture, une mémoire collective. Elle est aussi une entreprise de destruction méthodique des élites kabyles par intégration à l'idéologie et à la culture arabo-islamiques.
La langue berbère doit être reconnue comme langue propre de la Kabylie car cette reconnaissance régionale est la seule susceptible d'assurer la pérennité de la langue sur la longue durée, mais elle ne signifie pas qu'il faille renoncer à l'objectif national : tamazight doit aussi être reconnue, dans la Constitution algérienne, comme l'une des langues nationales et officielles de l'Algérie, avec le droit pour tout citoyen d'utiliser la langue berbère, dans toutes les circonstances de la vie publique, de recevoir une éducation dans cette langue, y compris hors des régions berbérophones.
Au plan économique et social, le fiasco est tel que l'on perçoit mal ce que les Kabyles pourraient attendre de l'action d'un Etat central qui a été incapable en quarante ans d'assurer un minimum de développement économique à la région. Et chacun sait que la Kabylie survit uniquement par l'apport de son émigration interne et externe, par l'investissement privé local, et non par la générosité de l'Etat central, et que, globalement, la région contribue plus au budget de l'Etat qu'elle ne reçoit de lui. Quant à la manne des hydrocarbures, les bons esprits effarouchés par le mot autonomie pourraient s'écrier : « Mais la Kabylie n'en aurait plus sa part ! » Croient-ils vraiment un instant que la région en ait bénéficié au cours des dernières décennies ? Et puis, dans un système démocratique, qu'est-ce qui interdirait à la région, même autonome, de recevoir sa part de ces richesses nationales, au prorata de sa population ? Pour pouvoir mener sa politique économique et sociale, la région aura sa fiscalité propre ; la fiscalité nationale, dont la perception sera assurée par la région, fera l'objet d'accords de répartition Etat/région, selon le principe d'un retour équitable à la région, en fonction de sa population.
Pour ce qui est de la sécurité et de la justice, pourquoi s'en remettre à l'Etat central lorsque la jeunesse kabyle tombe sous les balles de ceux qui sont censés protéger la population, quand les gendarmes et les services de sécurité se comportent et sont perçus comme des troupes d'occupation, quand l'appareil judiciaire algérien a perdu, depuis longtemps, toute indépendance ? En la matière, tout est à reconstruire, sur des bases plus proches des citoyens et sous leur strict contrôle. Tout ce qui relève de la sécurité et de la justice quotidiennes doit relever de la région.
L'organisation territoriale et administrative de la région sera établie par l'Assemblée régionale et non par l'Etat. Les entités territoriales et administratives constitutives de la région (communes et niveaux supérieurs) seront définies de manière à respecter les réalités démogra-phiques, historiques et géographiquer et correspondre, chaque fois que possible, aux entités fonctionnelles traditionnelles : villages, tribus, confédérations de tribus.
Dans tous les domaines, l'action de la région et de ses institutions sera guidée par deux principes :
1. l'exercice le plus permanent et le plus direct de la légitimité et du contrôle po-pulaires ;
2. la fidélité à la mémoire et à la culture du peuple kabyle.
Bien entendu, l'existence d'institutions assurant l'exercice de l'autonomie régionale n'est pas exclusif d'une représentation de la Kabylie au Parlement national. Cette représentation se fera proportionnellement au poids démographique de la région dans la population nationale globale.

Des prérogatives partagées
Une articulation entre l'Etat et la région sera mise en place pour tous les domaines d'intérêt national où l'action de l'Etat peut impliquer la région : grands travaux, aménagement du territoire, fiscalité nationale Dans toutes ces matières, la région sera l'interlocuteur obligatoire de l'Etat et aucune décision de celui-ci pouvant impliquer la région ne pourra être mise en uvre sur le territoire de la région sans l'aval des institutions régionales, notamment de l'Assemblée régionale. En conséquence, en dehors des questions de sécurité extérieure, des conventions et traités internationaux, de la politique monétaire, l'Assemblée régionale pourra, en toutes matières, adapter les lois
nationales.
L'exécutif régional sera le relais obligatoire et l'interlocuteur de l'Etat pour la mise en uvre des décisions de l'Etat, dans les matières relevant des prérogatives exclusives ou partagées de ce dernier, sur le territoire de la région.
Prôner l'autonomie de la Kabylie, c'est construire l'avenir de la région sur la réappropriation la plus large de sa mémoire, de sa culture et de son autonomie d'action dans tout ce qui relève de son espace immédiat. Construire l'autonomie de la Kabylie sera aussi consolider l'Algérie, plurielle et démocratique. (Fin)
S. C.
(*) Linguiste

(La première partie de la contribution est parue le jeudi 11 octobre et la deuxième le dimanche 14 octobre 2001.)

Pour réagir : info@lematin-dz.com

 Sujet Auteur  Date
 Autonomie par S.Chaker  nouveau
Azrem 2001-10-14 21:07:50 
 Re: Autonomie par S.Chaker ( 3)  nouveau
Azrem 2001-10-15 21:52:18 
 Re: Autonomie par S.Chaker ( 3)  nouveau
sh 2001-10-16 09:58:12 

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