Auteur: Hacéne
Date: 2001-08-03 15:44:18
UN UNIVERSITAIRE BERBERE EN FRANCE CA VOUS CONVIENT ?
Seule la régionalisation permettrait de prendre en compte, enfin, la pluralité des modes de vie, des réalités linguistiques et culturelles de l'Algérie.
Reconnaître la diversité algérienne
Par HACÈNE HIRÈCHE
Hacène Hirèche, chargé de cours de langue tamazight (berbère), département des langues minorisées, université Paris-VIII.
Le mercredi 12 août 1998
n 1962, revenant d'Egypte, pays qui a tout mis en œuvre pour faire de lui l'unique représentant de la révolution algérienne, Ben Bella s'est écrié: «Nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes.» Au-delà de la formule incantatoire, c'était sa façon d'annoncer l'ancrage géopolitique et géoculturel d'une Algérie émergente mais dont le rayonnement international était alors grand.
Il faut rappeler que depuis le congrès de la Soummam de 1956, conduit sous la houlette d'Abane Ramdame, Nasser, dirigeant égyptien, craignait de voir s'effilocher l'influence de l'Egypte sur l'Algérie. Ben Bella, propulsé président de la toute jeune République algérienne, s'empressa alors de renouveler sa loyauté à son protecteur, au point que la réalité et les aspirations de son propre peuple lui paraissaient secondaires.
Une époque révolue
Le slogan ainsi lancé au lendemain de l'indépendance faisant de l'Algérie «une province de la nation arabe», s'il pouvait passer dans les années 60, quand les politiques hégémonistes avaient le vent en poupe de par le monde, pose, de façon criante aujourd'hui, un sérieux problème. D'abord, quels que soient les paramètres retenus pour cerner l'identité algérienne, la réalité dévoile un visage dont la caractéristique première est la pluralité. Ensuite, l'époque des certitudes, des alignements géostratégiques, des doctrines nationalistes, etc., est aujourd'hui révolue, tous les systèmes hégémoniques ayant vu leurs bases s'effondrer.
L'Algérie, frappée de plein fouet par une crise multiforme, assiste à l'entrée en scène de sa société, qui bouscule totalement les représentations que s'en font ses dirigeants. Cette irruption de la société sur le devant de la scène politique n'est pas seulement un phénomène nouveau. Elle montre surtout que l'imaginaire de l'identité algérienne, fabriqué à coups de propagande politique, médiatique et scolaire, est tout simplement factice et inapte à traduire les réalités du pays.
Rompre avec la vision politique en vigueur depuis l'indépendance doit être maintenant l'urgence nationale. Les bouleversements multiples inhérents aux modifications rapides de l'environnement économique, politique et culturel, à l'échelle de la planète, requièrent des capacités d'écoute, d'adaptabilité et d'ouverture. L'avenir appartiendra aux pays qui auront opté pour la transparence et développé leurs aptitudes aux changements en centrant leurs efforts non sur le rejet mais sur la mobilisation la plus large de leurs potentialités.
La pluralité des modes de vie, des réalités linguistiques et culturelles, et, par conséquent, la diversité des besoins sont à prendre au sérieux pour concilier les tendances autonomisantes avec les grands ensembles qu'annonce l'arrivée du troisième millénaire. Les sociétés capables d'innovations politiques, de créativité culturelle, de promotion du multilinguisme, dotées d'une capacité d'ouverture et respectant les différences réussiront mieux dans les prochaines décennies que celles dont les dirigeants continuent de s'accrocher à des constantes nationales devenues des slogans creux.
C'est la loi de la diversité qui permettra de construire demain les Etats-Unis d'Afrique du Nord et non l'hégémonie, l'hétérophobie et l'ethnocentrisme. Mais pour s'inscrire dans une telle optique, il faut, en ce qui concerne les Algériens, se défaire de l'emprise néfaste du modèle colonial français dont la France elle-même ne veut plus: maintien d'un Etat à tentacules bureaucratiques, organigrammes hiérarchisés démesurément, administration centralisée et corrompue, école asociale, etc. L'ensemble des institutions mais aussi les entreprises et n'importe quelle unité sociale ont toutes les raisons, dans ce modèle, d'entrer en contradiction avec la société qu'elles sont supposées servir. Tout se passe, depuis l'indépendance, comme si c'était à la société de s'adapter aux structures de l'Etat et non à celles-ci de s'adapter à la société!
Continuer d'invoquer l'unité nationale pour camoufler le démembrement et le délabrement de la société ne marche plus. Les slogans, s'ils peuvent un moment répondre à des considérations idéologiques et aux discours de circonstance, ne sont pas nécessairement opérants pour résoudre ni même enterrer les problèmes des Algériens.
L'Algérie est un pays immense et ses vrais problèmes sont restés en suspens depuis 1962, ce qui la rend vulnérable et largement dépendante de l'extérieur. Avec près de 2,5 millions de km2, ses 30 millions d'habitants aujourd'hui (100 millions en 2030), des zones géographiques et climatiques disparates, une histoire et une économie diversifiées, des espaces à densités de population contrastées, l'Algérie est à l'évidence marquée du sceau de la diversité, que personne ne peut feindre d'ignorer.
Si l'on admet que l'Algérie est un grand pays formé de sédiments socio-historiques multiples, chacun apportant sa part de richesses, on ne peut pas s'entêter à ignorer la diversité des besoins que cette stratification a générés. Or on ne peut gérer selon des schémas identiques, analyser avec les mêmes paramètres, administrer les mêmes remèdes quand les besoins et les problèmes présentent une nature différente.
Disons-le clairement: prétendre gérer de la même façon le Nord et le Sud, l'Est et l'Ouest, la ville et la campagne, la montagne et la plaine... est absurde! Aucun dirigeant digne de ce nom n'y croit. Une politique intelligente de régionalisation est donc indispensable pour ramener les problèmes à la dimension humaine. Sans la nommer pour cause de tabou, cette idée est, du reste, admise depuis le statut particulier accordé au gouvernorat du grand Alger, dont la naissance a été justifiée par la spécificité de cette région centrale.
La régionalisation, qui peut se traduire par une forte décentralisation, une autonomie, ou par le fédéralisme, est depuis longtemps une réalité dans les pays qui réussissent ou qui ont déjà réussi: l'Espagne, le Canada, l'Italie, l'Allemagne mais aussi le Mexique, l'Inde, etc. Les modèles français et soviétique, que l'Algérie a copiés, ont montré leurs limites et ne répondent plus aux réalités d'aujourd'hui. A force d'occulter la diversité ou de ne l'accepter qu'à l'état virtuel, de lui mettre une chape de plomb et de bloquer la démocratie locale, on finit par provoquer l'implosion. Le Liban, la Yougoslavie, l'URSS et, dans une moindre mesure, le cas de la Corse, voire de la Savoie, sont tous des exemples à méditer.
Nous réconcilier avec nous-mêmes et avec la France
Il n'est pas possible de continuer à vivre sous un modèle hégémonique pendant que le pays transpire la diversité par tous les pores de sa peau. Articuler la différence (économique, culturelle, linguistique...) avec la démocratie est possible et reste la solution de sagesse pour assurer la cohésion nationale. Cela implique que l'Etat, ses institutions mais aussi les partis politiques cessent de traiter les langues et les cultures algériennes d'une façon inégalitaire sous prétexte que l'une ou l'autre serait menaçante. Ni l'arabe, ni le berbère, ni le français ne représentent un danger. La coofficialité des deux premières langues et une place privilégiée pour la troisième sont à même d'assurer leur cohabitation et d'apaiser les esprits échauffés par la promulgation d'une loi discriminatoire, comme elles peuvent réconcilier enfin la société avec la classe politique et contribuer à désamorcer la crise en instaurant la confiance.
L'appréhension lucide des réalités multiples de l'Algérie nous impose à tous de nous ouvrir les uns aux autres et de nous ouvrir également à nos partenaires. Il faut le faire particulièrement avec la France, parce que, si les accords d'Evian ont scellé la paix entre les deux peuples, rien n'est venu réconcilier les deux pays. Le rapprochement entre la France et l'Allemagne est un exemple à suivre. Il faut le faire tant que se trouvent respectivement à Alger et à Paris un ancien moudjahid et un gaulliste.
Si le présent de l'Algérie est ébranlé, c'est parce qu'il est à la fois tiraillé par le futur et par le passé, tous deux brouillés par des années de surdité et d'aveuglement. La réponse à nos problèmes consiste, tout simplement, à devenir sans complexes ce que nous sommes déjà, c'est-à-dire, finalement, à nous assumer en toute pluralité.
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