Auteur: Hacéne
Date: 2001-07-24 16:26:55
JUDÉO-BERBÈRE
Haïm Zafrani
in Encyclopédie de l'Islam
Les Juifs berbérophones des pays chleuh et tamazight avaient, avec leurs dialectes vivants et un folklore qui n'a rien à envier à celui de leurs voisins musulmans, une littérature orale traditionnelle et religieuse dont il ne subsiste malheureusement que les quelques vestiges que l'auteur du présent article a recueillis à une date récente. Dans la vallée de l'Atlas, dans le Sous et aux confins sahariens (comme aussi, semble-t-il, dans certaines contrées algériennes et tunisiennes), ils constituaient naguère de petites communautés groupées dans des mellahs et établies là depuis des siècles sinon un ou deux millénaires. Aujourd'hui, on n'en trouve guère de trace ; depuis l'indépendance du Maroc, ils ont immigré en bloc en Israël.
Laissons de côté le problème de l'origine de ces communautés et l'hypothèse très controversée de la « judaïsation des Berbères » (H. Z. Hirschberg, Histoire des Juifs d’Afrique du Nord, Jérusalem 1965, 2 tomes en hébreu, et compte rendu dans Journal of African History, VIII/3, 1966), il nous importe de savoir que le berbère a été, jusqu’à ces dernières années, l’une des langues vernaculaires des communautés juives vivant dans la montagne marocaine et le Sud du pays. La plupart d’entre elles étaient bilingues (berbéro-arabophones) ; d’autres semblent avoir été exclusivement berbérophones, comme à Tifnut ; de cette dernière catégorie, nous connaissons quelques individus isolés, immigrés en Israël et repérés à Ashkelon. (Sur la distribution géographique des communautés juives du Maroc, notamment dans l’Atlas et le Sud marocain, et sur les migrations internes de leurs populations, voir H. Zafrani, Vie intellectuelle juive du Maroc, Pensée juridique et Droit appliqué dans leurs rapports avec les structures socio-économiques et la vie religieuse…, thèse de doctorat, dactylographiée, 210-21 ; sur les Juifs du Dadès et les autres communautés berbérophones, voir ibid., 171 sqq. et, du même auteur, Pédagogie juive en Terre d’Islam, Paris, 1969, 33-8). Dans la vallée du Todgha (Tinghir), dans la région de Tiznit (Wijjan, Asaka), de Ouarzazate (Imini), à Ufran de l’Anti-Atlas, à Illigh et ailleurs, non seulement le berbère était un parler juif de communication dans le milieu familial, social et économique et dans les contacts avec les autres groupes ethniques et confessionnels, mais il constituait aussi, à côté de l’hébreu, la langue de culture et de l’enseignement traditionnel qui l’utilisait pour l’explication et la traduction des textes sacrés comme le judéo-arabe ou le vieux castillan dans les communautés de langue arabe ou d’origine hispanique ; certaines prières, les bénédictions de la Torah entre autres, étaient dites uniquement en berbère, dont le rôle est attesté dans la liturgie pascale, ainsi que nous allons le voir. Une documentation écrite et sonore sur le folklore et la vie intellectuelle de ces communautés berbérophones a été réunie : quelques textes bibliques dans leur version hébraïque et berbère, cantiques liturgiques et chants de fêtes qui marquent les grands moments de l’existence juive (circoncision, bar-mitsva, mariage, etc.) et notamment la Haggada de Pesah, la pièce la plus importante et la plus précieuse de notre collection et qui présente à nos yeux un intérêt capital pour la connaissance des traditions linguistiques et culturelles d’un monde trop peu exploré quand il en était encore temps, appartenant à une diaspora longtemps ignorée et désormais irrévocablement disparue. (Une liste de ces documents a été publiée dans H. Zafrani, Compte rendu d’enquête, dans Journal asiatique, CCLII/1 (1964) ; nous en avons recueilli d’autres ultérieurement, en Israël même).
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