Auteur: Hacéne
Date: 2001-06-29 19:50:37
"Halte à l'impunité des généraux"
Depuis bientôt dix ans, pour préserver leurs privilèges, les généraux d'Alger ont plongé leur peuple dans un chaos sanglant par le terrorisme d'Etat et la manipulation de la violence islamiste, en s'abritant derrière un dispositif sophistiqué de désinformation à l'échelle internationale. Aujourd'hui, leur folie et leur irresponsabilité éclatent au grand jour. Confrontés à une série de révélations dévastatrices, ils ont choisi la fuite en avant et la provocation, enclenchant en Kabylie, en avril dernier, une spirale de révolte et de répression qui s'étend désormais à presque tout le pays. Après quelques semaines d'émeutes, des parachutistes des forces spéciales antiterroristes (parfois déguisés en gendarmes!) ont été envoyés dans ces régions, où les violences se multiplient. Le 14 juin, lors de l'une des manifestations monstres à Alger, le pouvoir a utilisé notamment de jeunes délinquants pour tenter de briser la révolte de la jeunesse. Des dizaines de manifestants arrêtés ce jour-là par les forces de sécurité sont aujourd'hui «disparus», comme des milliers d'opposants depuis le début de la «seconde guerre d'Algérie». Et depuis, les gendarmes ont été lâchés dans les rues des villes de Kabylie, cassant et tabassant à tout-va, aux cris de «Nous sommes tous des assassins.» L'un d'eux a même affirmé aux jeunes révoltés: «On fait ce qu'on veut. La loi est la nôtre et le restera. Maintenant, on va faire comme vous: détruire tout ce qu'on n'aime pas.» (Libération, 19 juin 2001).
C'est sans doute une première: un Etat qui pousse les membres de ses forces de sécurité à devenir des émeutiers... Curieusement, c'est dans la presse privée algérienne qu'on en trouve le récit le plus cru, alors qu'elle est contrôlée et instrumentalisée depuis des années par les clans de «décideurs» militaires.
Citons, parmi des dizaines d'autres, deux articles du quotidien la Tribune du 19 juin: «Dans son enfermement politique et idéologique, mû par les privilèges de rente, le pouvoir joue à présent la carte de la casse pour ôter au mouvement toute légitimité à l'expression politique de revendications sociales et démocratiques justes. [...] De provocation en manipulation, d'intox en désinformation, en passant par la répression, le pouvoir a atteint des limites insoupçonnées dans l'abjection pour faire durer et perpétuer le fait accompli.»
Ou encore, évoquant l'hypothèse d'un «limogeage» de Abdelaziz Bouteflika: «Les partisans du statu quo peuvent créer une illusion de changement qui permettra de repousser, pour un temps encore, la réelle démocratisation de l'Etat. Pour crédibiliser la manœuvre, on pourrait favoriser [...] l'émergence, ou le retour, d'un personnel politique resté suffisamment en retrait du système et surtout lavé de tout soupçon.»
Tout est dit. Cette soudaine lucidité est un signe. Comme l'est le spectaculaire revirement de politiciens ou journalistes qui, depuis des années, étaient d'éminents représentants d'une classe politico-médiatique en trompe l'œil pendant que, dans l'ombre, toute opposition réelle est systématiquement cassée et que les forces spéciales de l'armée éliminent les opposants islamistes avec une incroyable sauvagerie.
Aujourd'hui, ceux qui approuvaient, par conviction ou par intérêt, la pratique généralisée de la torture, les exécutions extrajudiciaires, les bombardements au napalm, tentent de se désolidariser des généraux assassins, leurs maîtres, qui ont conduit cette «politique». Ils ont compris que le point de non-retour était dépassé et chacun essaie avant tout de sauver ses meubles.
Certains semblent tenter de soutenir un scénario «à la roumaine» (1989) ou «à la serbe» (2000): surfant sur la révolte populaire, l'un des clans du pouvoir éliminerait les autres pour se débarrasser des colonels et des généraux les plus compromis et proclamer une amnistie générale. Une manière de garder la mainmise sur l'argent de la corruption: les cinq à dix milliards de francs générés chaque année par les dessous de table du commerce extérieur. Qu'il réussisse ou non, la base de ce calcul sordide reste le mépris total d'un peuple qui a fait sien ce terrible slogan: «Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts.» L'effusion de sang ne cessera pas tant que les généraux algériens et leurs complices seront assurés de l'impunité.
Dans cette perspective, la responsabilité de la communauté internationale est écrasante. Bien que tardif, l'avertissement des dirigeants de l'Union européenne au sommet de Göteborg, le 18 juin, est à cet égard bienvenu. Il appelle «tous les responsables algériens à un sursaut et à une initiative de grande ampleur pour surmonter cette crise par le dialogue entre tous les Algériens». Ce premier pas ne peut toutefois suffire. La communauté internationale en général, et la France en particulier, ont les moyens d'aller au-delà pour encourager la transition démocratique réclamée par les Algériens. L'un des moyens les plus efficaces serait de s'attaquer au patrimoine constitué illégalement à l'étranger par les «décideurs» militaires, généraux à la retraite ou en exercice. Les principaux sont connus, qu'il s'agisse de Khaled Nezzar, Larbi Belkheir, Mohamed Lamari, Mohamed «Tewfik» Médiène, Mohamed Touati, Smaïn Lamari, Fodhil Chérif, ou de hauts gradés de la Sécurité militaire et des forces spéciales responsables directs des exactions les plus atroces, tels les colonels Tartag ou Athamnia.
Les services de renseignements français n'ignorent rien des propriétés de ces hommes en France: chaînes de restaurants, hôtels, immeubles, boîtes de nuit... L'Etat français dispose donc de tous les outils juridiques (répression des infractions fiscales et du blanchiment) pour diligenter des enquêtes. Une manière de signifier aux généraux algériens qu'ils ne sont plus intouchables et ne peuvent plus compter sur la complicité tissée depuis quatre décennies grâce aux réseaux de la «Françalgérie». Nous sommes nombreux à espérer un tel sursaut moral de la part de ceux que nous avons élus.
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