Auteur: Boumédiene
Date: 2001-05-14 11:54:07
A mes compatriotes berbères…
(*) SID-LAKHDAR Boumédiene
A chaque réminiscence de la douleur de mes compatriotes berbères j’éprouve le souhait et le devoir de leur témoigner mon entière solidarité. Dans ces moments, j’ai envie de leur répéter inlassablement, si mon engagement militant ne le prouvait déjà, que leur douleur est la mienne. J’ai envie de leur dire, avec l’humilité et la pudeur que les évènements exigent, que je les aime avec la même intensité que toute partie de mon identité.
Lorsque l’occasion m’en a été fournie dans ces nombreuses années de militantisme, j’ai toujours débuté mes paroles en rappelant que je suis algérien et donc également citoyen de Kabylie, de droit et de cœur. J’ai cette naturelle impression que je suis parmi les miens lorsque je m’adresse à eux. Ma position serait identique quels que soient le lieu et la communauté, de surcroît lorsque cette dernière a le sentiment de subir une humiliation..
Il est intolérable pour tout démocrate de voir cautionner le crime perpétré contre le droit à vivre son identité. Nul n’est né sur cette terre d’Algérie pour imposer aux autres son point de vue sur ce qu’est et doit être la culture et la langue dominantes. Nul ne peut annihiler le droit à quiconque de parler et de s’épanouir avec la langue transmise par ses parents, de perpétuer des pratiques, d’honorer des conventions et de tout simplement vivre sa vie comme on le ressent et comme on l’a héritée.
La nation est une communauté de destins, pas un goulag où le plus fort imposerait au plus faible sa conception des choses. Car s’il fallait imposer des critères stupides comme celui de l’antériorité ou celui de l’histoire pour imposer une culture dominante, certains n’y trouveraient justement pas leur compte.
Mais au moment où j’écris ces mots, comme à chaque fois que je l’ai fait dans le passé, j’ai en même temps conscience que les discours de fraternité ne suffisent plus à nos compatriotes bafoués dans ce qu’ils ressentent au plus profond d’eux-mêmes. Ils ont raison car le discours doit être suivi d’actes concrets et les évènements récurrents de Kabylie, de plus en plus sanglants, en démontrent l’urgence. La langue et la culture berbère doivent non seulement être reconnus dans les textes, ce qui est le pas le plus facile, mais aussi et surtout dans les cœurs, ce qui serait plus probant. Car, contrairement aux espoirs de certains, une simple inscription dans la constitution, sans autre rapprochement dans les esprits et les cœurs, ne serait que la transposition dans le texte d’un rapport de force qui s’exprime bien dangereusement dans la réalité quotidienne.
Mais que faire lorsqu’on a la seule représentativité de soi-même ? Hurler son indignation devant la bêtise n’a pas suffit. Militer aux plus hautes responsabilités, quelles soient politiques ou associatives, n’a pas plus donné de résultats. Prendre sa plume pour témoigner de son soutien n’en aura probablement guère beaucoup plus comme à chaque fois, mais le devoir et la morale l’exigent.
Dès le début, lorsqu’il s’est agit de prendre position pour la reconnaissance de l’identité pleine et entière de mes compatriotes, je n’ai pas hésité un seul instant. Mais combien de déceptions a-t-il fallu surmonter pour finalement n’avoir, seul dans son coin, que la force de l’indignation.
Que faire et que dire lorsque des compatriotes berbères se précipitent dans les bras du pouvoir pour le soutenir et le légitimer ? La colère intérieure est grande lorsqu’en même temps il faut s’imposer la rigoureuse règle de ne jamais rappeler à une communauté qui souffre les errements de certains. La faute commise par ces derniers est une faute qui est subie par tous les algériens et ne peut être imputée à la Kabylie. Mais comme la tentation est grande pour les tenants d’une culture arabo-musulmane unifiée de rappeler cette triste vérité, je ne peux entièrement l’éloigner de ma pensée.
Je constate aujourd’hui encore que cette minorité se présente comme un recours pour la défense des droits des berbérophones, oubliant bien rapidement qu’elle fut jusqu’aux derniers instants partie prenante du pouvoir. Et comme je crains que la manœuvre risque de réussir de nouveau, l’indignation est encore plus forte que la peine. Prions que la tentation de mettre de l’huile sur le feu et de prôner un extrémisme violant ne se manifestent jamais dans l’esprit tourmenté de ceux qui souhaiteraient faire oublier de coupables errements. Un cas de figure bien souvent rencontré dans l’histoire de l’humanité.
Que faire et que dire encore lorsqu’on a vu ses anciens camarades, que des considérations internes (et non politiques) ont éloignés de vous, participer et patauger lamentablement dans des institutions qui n’avaient comme but que celui de légitimer un pouvoir. Les bras vous en tombent. Heureusement, la conviction est si sincère qu’elle permet de dépasser les bêtises qui se sont accumulées.
Nos compatriotes berbères ont besoin que s’exprime envers eux un appel du cœur et des actes concrets. Je n’ai pour ma part à leur dire qu’une seule chose, « je vous aime ». Car, à l’instar d’une mère, une nation ne peut laisser souffrir l’un de ses enfants sans lui rappeler sa profonde affection. Et jusqu’à preuve du contraire, cette nation, c’est nous.
(*) Enseignant.
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