Auteur: ayeneth
Date: 2001-08-26 19:07:00
C'est à Robert Lacoste que le président du Conseil confie la succession difficile de Catroux. Un petit
homme trapu et truculent, originaire de la Dordogne et formé par le syndicalisme. Son père a été
fusillé par les Allemands il a lui même des titres sérieux de Résistance. Il a été le ministre de la
Production Industrielle du gouvernement Ramadier, en 1947.
Il déclare tout de go aux notables européens ju'il n'a aucune envie de se battre sur deux ronts et qu'il
leur enjoint de se ranger derrière lui. Cette attitude un peu abrupte plait finale ment assez aux
pieds-noirs. Ses intempérances verbales les ravissent. Mais la méfiance de fond à l'égard de ce que
trame Paris donnera aux relations entre le ministre résident et les
Européens un profil en dents de scie. Pourtant, le gouvernement entend porter le nombre des soldats
en Algérie de 250000 à 400 000 avec des rappels de disponibles. Cela permet de réoccuper les
Nemencha, à la frontière algéro-tunisienne, la Kabylie, au coeur de l'Algérie. Cela redonne quelque
crédit à Robert Lacoste. Mais les disponibles ne sont pas toujours bien aguerris. Le 18 mai, une
patrouille se fait piéger près de Palestro : 19 morts. Autre événement : un matin d'avril, un aspirant,
Henri-François Maillot, accomplissant son service militaire à Miliana avait été chargé
de convoyer à l'arsenal d'Alger un camion contenant 135 mitraillettes et des pistolets pour révision. Le
chauffeur est un deuxième classe. En arrivant à proximité de la ville, l'aspirant, prétextant qu'il a des
parents à voir, ordonne au chauffeur de s'engager à droite dans une traverse. Et brusquement, le
conducteur ébahi voit l'aspirant sortir un pistolet et lui enjoindre de stopper. A peine a-t-il freiné que
l'officier lui applique au visage un tampon d'éther. Ses hommes sortent du couvert. Une camionnette
vient se ranger à l'arrière du camion. Le transbordement des armes commence. L'aspirant Maillot n'y
participe pas. Il disparaît à bord d'une voiture légère pour reparaître quelques semaines plus tard au
maquis rouge des Beni Boudouane, dans l'ouarscnis. Maillot est le fils d'un communiste connu d'Alger.
L'événement est un tournant. Il signifie que le parti communiste algérien tente par tous les moyens de
forcer l'entrée du F.L.N. Or la position constante de Ben Bella et des dirigeants F.L.N, ne variera
jamais. Les membres des anciennes formations politiques ne
peuvent entrer au Front qu'à titre individuel. La méfiance est peut-être encore plus grande à l'égard du
P.C.A, que vis-à-vis des autres mouvements. Depuis le début de la rébellion, le parti communiste ne
cesse de demander son admission au F.L.N. Il ne l'obtiendra jamais en tant que bloc.
Deux chefs de willaya F.L.N. tombent au cours de cette année-là. Mostefa Ben Boulaïd, l'un des
neuf chefs "historiques ", qui commande la willaya des Aurès, s'était fait arrêter en février 1955 à la
frontière tuniso-libyenne
alors qu'il allait tenir conférence avec Ben Bella au Caire. Mais il a réussi à s'enfuir en novembre de
la prison de Constantine, et il tente de reprendre en main sa willaya qui a éclaté entre ses anciens
lieutenants rivaux. Il n'en aura pas
le temps. Sur un poste militaire français, à quelques kilomètres du P.C, d'où il essaie de renouer les fils
entre ses anciens subordonnés, a lieu un parachutage d'armes et de munitions. Par hasard, un
container tombe à proximité du P.C. de Ben Boulaïd. Ses hommes lui apportent le colis. C'est un
appareil radio transmission-réception. Ben Boulaïd veut l'essayer,
tourne un bouton. Une explosion le déchiquète. C'est évidemment une opération du IIe Choc, unité
d'interventions spéciales. En septembre, c'est le tour de Zighout Youssef, chef de la willaya du
Nord-Constantinois. Une patrouille de 13 hommes conduite par un caporal-chef du 4e régiment
d'infanterie coloniale revient d'un village de la montagne, où
elle a ramassé de nuit, sur renseignement, les trois têtes de la cellule F.L.N. En redescendant vers le
poste de Sidi-Mesrich, le chef de patrouille ordonne que l'on prenne par les lauriers-roses au creux de
l'oued. Il s'agit uniquement de ne pas réemprunter le cheminement des crêtes utilisé à l'aller. Il ignore
complètement que, dans un gourbi tapi dans les feuillages, le chef de la willaya a tenu une conférence
cette nuit-là. On se fusille pendant deux heures dans les lauriers-roses. Quand tout est fini, il reste neuf
morts sur le terrain, dont le cadavre de Zighout Youssef. Il est exposé
sur le péristyle de la mairie de Sidi-Mesrich avant d'être identifié. C'était le quatrième chef de willaya
mis hors de combat. En avril, Robert Lacoste, dans son bureau du
Gouvernement général qui donne sur le Forum, est surpris d'avoir devant lui un revenant : Ferhat Abbas.
Depuis près d'un an, on sait qu'il est au service du F.L.N. Il dit :
- Je viens vous demander un passeport pour aller au Caire.
Un froid.
- Je vais là-bas essayer de faire triompher une position modérée.
Lacoste réfléchit. Il n'a aucun moyen d'empêcher cet homme de gagner l'Egypte ( par
les chemins creux ). D'autre part, il est évident que, par nature, Abbas est un modéré. Fera-t-il vraiment
triompher cette tendance, c'est fort discutable. Mais quel est le risque?
Il signe les passeports, car la demande concerne aussi l'alter ego d'Abbas, le docteur Ahmed Francis,
Kiouane, et une personnalité religieuse musulmane, Tewfik El-Madani. Un autre personnage clandestin à
Alger, Abane Ramdane, commissaire politique national du F.L.N., n'ignore rien non plus de ces
départs. C'est lui qui manipule les hommes politiques algériens. Il est Kabyle, comme Krim Belkacem
qui, avec la Kabylie et l'Algérois, domine pour l'instant la rébellion intérieure. Il ne se prive pas
d'adresser à la délégation extérieure au Caire, où les Arabes sont en majorité, des lettres sans
ménagement. Ben Bella et ses seconds y sont accusés de ne rien faire pour alimenter
les willayas en armes. C'est Abane qui a envoyé Abbas au Caire pour y être l'oeil de l'intérieur,
et plus encore pour mettre le désordre dans la délégation extérieure.
Il a déjà pour projet de réunir en Algérie un Congrès des Combattants pour entériner une
plate-forme politique sur laquelle la délégation extérieure aura beaucoup de peine à revenir. Il
y a tout un art de convoquer tout le monde dans ces cas-là. Les cheminements sont difficiles.
Ben Bella et ses seconds attendent à San Remo en vain des moyens que seul l'intérieur est capable de
fournir. Mostefa Ben Boulaïd étant mort, c'est son frère Omar, personnage secondaire, qui a été invité au titre des Aurès. Encore s'est-il trouvé, en cours de chemin, arrêté par
un messager lui annonçant une opération militaire française de grande envergure qui l'a empêché de rallier. L'Oranie n'est représentée que de manière discutable. Ben M'Hidi Larbi a commandé la willaya pendant trois mois à peine, et encore d'Oujda en territoire marocain. Il l'a laissée à son second Boussouf pour aller discuter au Caire. Ben Bella l'a renvoyé à l'intérieur pour apaiser les querelles avec les Kabyles. C'est lui qui va finalement parler au nom de l'Oranie. Lorsque le congrès se réunit fin août dans une maison forestière abandonnée à mi-pente de la vallée de la Soummam, il y a 300 combattants. Le
Caire n'est pas là, ne sont effectivement représentées que trois willayas sur cinq (Ben
M'Hidi n'exerçant plus son commandement) : l'Algérois, la Kabylie, le Nord-Constantinois,
celui-ci par Zighout Youssef, encore en vie pour moins d'un mois. Avec l'Algérois et la
Kabylie, les Kabyles sont maîtres du jeu. Ils n'en abusent pas. On adopte les statuts du
F.L.N. : un texte manuscrit où certains ont cru depuis reconnaître l'écriture du professeur Mandouze, de la Faculté d'Alger. En tout cas, celle d'un sorbonnard. On crée aussi un véritable exécutif de la rébellion, le C.C.E. (Comité de coordination et d'exécution). Il doit siéger obligatoirement à l'intérieur, ce qui exclut tout membre de la délégation extérieure. L'équilibre entre Kabyles et Arabes y est établi, Abane et Krim d'un côté, Zighout et Ben M'Hidi de l'autre. Le cinquième n'a pas d'importance. Il est en prison. C'est le syndicaliste Aïssat Idir. Quand Zighout sera tué un mois plus tard, il sera remplacé par SaadDalhab, un ancien secrétaire de Messali.
C'était juste avant l'embuscade. Aucun ne reviendra.
D'autre part, se crée une sorte de Parlement de 34 membres, dépositaire en principe de tous les
pouvoirs. Difficiles à réunir d'ailleurs. Krim est nommé chef d'état-major, mais les chefs de
willaya ne s'en offusquent pas. A peine les comptes rendus du congrès sont-ils arrivés au Caire,
en octobre, que Ben Bella et Khider les mettent dans leur valise et s'envolent pour Rabat. Le roi
Mohammed V et le président Bourguiba sont inquiets depuis des mois de cette guerre qui se
prolonge au Maghreb et déborde de plus en plus sur leurs territoires. Ils ont décidé de proposer
leurs bons offices. Le roi du Maroc reçoit la délégation extérieure à Rabat et entend gagner
avec elle Tunis.
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