Auteur: thamilla
Date: 2001-08-24 22:53:08
Les ancêtres redoublent de férocité.
« Le poète est au cœur du monde » dit Höderlin .Pour être au cœur du monde, encore faut-il qu’il soit au
cœur du peuple qui est le sien .Il faut que celui-ci se reconnaisse en lui. Ce lien ombilical, rien ne l’illustre
mieux que le soulèvement de Tizi Ouzou ; lorsque le wali décida d’interdire ,en avril1980,une conférence de
Mouloud Mammeri sur la « poésie ancienne des Kabyles » . A l’appel des étudiants, la population de la
ville, puis des régions avoisinantes, sans parler d ‘ Alger où les Kabyles sont très nombreux, se leva pour
défendre, à travers les poètes anciens ,la langue des ancêtres. L ‘ un de ces défenseurs les plus ardents
fut Ait Menguellet :
Reconnais ce qui est tien
Prends garde de ne jamais l’oublier.
Langue kabyle
Celui qui t’aime
Te sacrifie sa vie.
Il te vénère
Et pour toi garde la tête haute
C’est grâce à tes fils
Que l ‘ Algérie est debout.
Pourquoi cette véhémence ! C’est que tamazight notre langue nationale depuis des millénaires, est à
peine tolérée, pour ne pas dire proscrite dans l’Algérie indépendante !
L’interdiction de cette conférence a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La population a
ressenti cette mesure comme une provocation, une de plus, car de nombreuses manifestations et activités
culturelles avaient déjà été annulées dans la même wilaya . C’est ainsi que la troupe de l ‘Action
culturelle des travailleurs, dont je suis le responsable, n’a pu se produire devant les ouvriers du complexe
textile de Dra Ben Khedda,ni au CEM de Tadmait. Notre pièce de théâtre intitulée La Guerre de Deux mille
Ans réalisée à l’occasion du XXè anniversaire de la révolution n’a pu avoir lieu à Tizi Ouzou alors que la
même pièce était bien accueillie par le public à Alger et d’autres régions d’Algérie.
On pourrait citer d’autres exemples comme l’interdiction aux parents de donner des prénoms berbères à
leurs enfants. On parle d’une liste de prénoms prohibés, mais cette liste n’a
jamais été rendue publique. Comment se fait - il qu’un membre de notre troupe à Alger n’ait pas pu
appeler son fils Amazigh ! l’employé de l ‘ Etat Civil lui a répondu que ce prénom ne pouvait être enregistré.
Pourtant, nos manuels scolaires parlent de nos ancêtres Imazighen, le pluriel d’Amazigh.
S’il fallait suivre cette logique, il faudrait aussi exclure Hannibal, Massinissa et Jugurtha ! On voit
l’absurdité d’une censure bureaucratique qui opère dans l’ombre et fait d’autant plus mal qu’elle atteint le
citoyen dans au plus profond de lui même, en occultant ses origines.
Avant l’indépendance, quand un enseignant français interdisait l’emploi de Tamazight ou de l’arabe à
l’école, il était dans son rôle car il oeuvrait pour l’Algérie française.
Aujourd’hui, quand un enseignant algérien et parfois un coopérant arabe prétend nous interdire la langue de
nos ancêtres, est-il encore dans son rôle ! C’est la négation de l’indépendance car l’indépendance signifie
liberté d’expression, et l’expression commence par la langue maternelle c’est-à-dire Tamazight pour
beaucoup d’Algériens qui ne parlent pas l’arabe ou ne le parlent que par obligation, comme nous étions
obligés d’apprendre la langue française.
Les fossoyeurs de l’unité nous parlent d’unité, le voleur crie au voleur. L’unité de la nation ne peut se
faire que sur une base positive, une base historique. On ne peut falsifier impunément l’histoire . L’unité de
la nation doit se faire par l’enseignement de Tamazight, non par son ignorance. Beaucoup d’Algériens sont
encore aliénés. Ce n’est pas de leur faute. Mais le pouvoir a les moyens d ‘enseigner cette langue et de
lui offrir en priorité la télévision, puisqu’on l’ouvre bien plusieurs fois par semaine à la langue anglaise...
On croirait aujourd’hui, en Algérie et dans le monde que les Algériens parlent l’arabe.
Moi-même, je le croyais, jusqu’au jour où je me suis perdu en Kabylie .Pour retrouver mon chemin, je
me suis adressé à un paysan sur la route . Je lui ai parlé en arabe. Il m’a répondu en Tamazight.
Impossible de se comprendre. Ce dialogue de sourds m’a donné à réfléchir. Je me suis demandé si le
paysan kabyle aurait dû parler arabe, ou au contraire, j’aurais dû parler Tamazight - la première langue du
pays depuis les temps pré-historiques-.
Les envahisseurs étrangers n’ont cessé de la refouler .Il y a eu les siècles de domination
romaine, arabo-islamique, turque, et enfin française. Tous ces envahisseurs ont voulu imposer leur langue
au détriment de Tamazight.
Aujourd’hui, par les armes, nous avons mis fin au mythe ravageur de l’Algérie française, mais pour
tomber sous le pouvoir d ‘ un mythe encore plus ravageur : celui de l’Algérie arabo-musulmane ,par la
grâce de dirigeants incultes.
L’Algérie française a duré cent trente ans. L’arabo-islamisme dure depuis treize siècles !
L’aliénation la plus profonde, ce n’est plus de croire français, mais de se croire arabe. Or il n’y a pas de
race arabe, ni de nation arabe. Il y a une langue sacrée, la langue du Coran dont les dirigeants se servent
pour masquer au peuple sa propre identité ! C’est ainsi qu’ils se justifient en disant qu’il est important de
s’adresser au « monde arabe » dans une langue protocolaire et archaique même si le peuple n’y comprend
rien ; ils avouent ainsi qu’ils préfèrent s’adresser à une élite hypothétique, au
Caire ou à Baghdad, plutôt que d’avoir recours aux langues populaires, car il existe aussi brimé comme
Tamazight, un arabe algérien que le peuple comprend. Mais ces messieurs n’en veulent pas, pour la bonne
raison qu’ils veulent écarter les masses populaires du débat politique. Voilà pourquoi nos bulletins
d’information à la TV et à la radio sont en arabe littéraire, et voilà comment un gouvernement s’isole de
lui-même en croyant isoler un peuple qui lui échappe. Et comme l’ignorance engendre le mépris, beaucoup
d’Algériens qui se croient arabes - comme certains s’étaient crus français - renient leurs origines au point
que le plus grand poète leur devient étranger :
J’ai rêvé que j’étais dans mon pays
Au réveil, je me trouvé en exil
Nous, les enfants de l’Algérie
Aucun coup ne nous épargné
Nos terres sont devenues prisons
On ferme sur nous les portes
Quand nous appelons
Ils disent, s’ils répondent,
Puisque nous sommes là, taisez-vous !
Incontestablement, Ait Menguellet est aujourd’hui notre plus grand poète. Lorsqu’il chante, que ce
soit en Algérie ou dans l’émigration, c’est lui qui rassemble le plus large public ; des foules frémissantes,
des foules qui font peur aux forces de répression, ce qui lui a valu les provocations policières, les
brimades, la prison. IL va droit au cœur, il touche , il bouleverse, il fustige les indifférents :
Dors, dors, on a le temps, tu n’as pas la parole.
Quand un peuple se lève pour défendre sa langue, on peut vraiment parler de révolution culturelle.
Kateb Yacine
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