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Interview du Webmestre sur France3
 ur atsru
Auteur: thamilla 
Date:   2001-08-24 22:42:16

LETTRE A DA L'MULUD

par Tahar Djaout

Comme il va etre dur de devoir desormais parler de toi au passe!
Quelques heures apres ta mort, que ta famille et tes amis ignoraient
encore, un universitaire qui venait d'assister a ce colloque d'Oujda d'ou
tu revenais toi aussi m'entretenait de toi.
Il me disait, entre autres, que tu avais passe sept heures a la frontiere;
trois heures et demie du cote algerien et autant du cote marocain.
En depit de ce que tu as donne a la culture maghrebine, tu demeurais un
citoyen comme les autres, un homme qui n'a jamais demande de privileges qui
a, au contraire, refuse tous ceux qui lui ont ete proposes.
Depuis le prix litteraire qui a couronne ton premier roman et que tu as
refuse d'aller recevoir, tu t'es mefie de toutes les recompenses parce que
tu savais qu'elles demandaient des contreparties.

Tu n'etais pas de ces ecrivains qui voyagent dans les delegations
officielles, dans les bagages des ministres ou des presidents, et qui
poussent parfois le cynisme jusqu'a ecrire, une fois rentres, des articles
contre les intellectuels aux ordres des pouvoirs !

Tes rapports avec le pouvoir (tous les pouvoirs) ont ete tres clairs; une
distance souveraine. Tu etais, au lendemain de l'independance, president de
la premiere Union d'ecrivains algeriens.
Mais le jour ou l'on etait venu t'informer que l'Union allait passer sous
l'autorite du Parti, tu avais remis le tablier avec cette courtoisie
seigneuriale qui t'est coutumiere. Tu n'acceptais aucune contrainte, aucun
boulet a ton pied, aucune laisse a ton cou. Tu etais par excellence, UN
HOMME LIBRE. Et c'est ce que AMAZIGH veut dire. Cette liberte t'a coute
cher.

De toute facon, tu en savais le prix et tu l'a toujours accepte. Tu as ete
peut-etre le plus persecute des intellectuels algeriens, toi l'un des fils
les plus valeureux que cette nation ait jamais engendres. Le soir ou la
television avait annonce laconiquement et brutalement ta mort, je ne pus
m'empecher, en depit de l'indicible emotion, de remarquer que c'etait la
deuxieme fois qu'elle parlait de toi; la premiere fois pour t'insulter
lorsque, en 1980, une campagne honteusement diffamatoire a ete declenchee
contre toi et la deuxieme fois, neuf ans plus tard, pour nous annoncer ta
disparition.
La television de ton pays n'avait aucun document a nous montrer sur toi;
elle ne t'avait jamais filme, elle ne t'avait jamais donne la parole, elle
qui a perrenise en des kilometres de pellicule tant d'intellectuels
approximatifs, tant de manieurs de plume aux ordres du pouvoir.


Mais je vais clore la le chapitre navrant et long des brimades. Ce serait
faire affront a ta generosite et a ta noblesse d'ame que de m'attarder a
l'enumeration des injustices, des diffamations qui glissaient sur toi comme
de simples egratignures, qui te faisaient peut-etre mal a l'interieur mais
ne transparaissaient pas.
Tes preoccupations etaient ailleurs, tu avais autre chose a faire. Et puis,
tu respectais trop les autres, meme lorsqu'ils te faisaient du mal. Sans
avoir jamais pretendu donner de lecon, ta vie, ton comportement, ton
courage et ton integrite constituaient en eux memes un exemple et une
lecon. C'est pourquoi, toi l'homme modeste et brillant qui ne se montre
gene et pris de court que lorsqu'il s'agit de lui-meme, tu as toujours ete
au coeur de ce qui fait ce pays.

Et les 200 000 personnes venues de toute l'Algerie escalader ces "chemins
qui montent" pour t'accompagner a ton ultime demeure au coeur du Djurdjura
temoignent en quelque sorte de cela.
Toi l'homme pacifique et coutois, toi qui ne claques les portes que
lorsqu'un pouvoir ou une chapelle quelconque tente de t'embrigader, tu as
aide, non par des declarations fracassantes, mais par ta lucidite, par ton
travail intellectuel minutieux et soutenu, au lent cheminement de la
tolerance et de la liberte.

Qui peut oublier les debuts de l'annee 80 ? Des hommes qui nient une partie
de la culture de ce peuple (tout le monde heureusement a oublie leurs noms,
car ce ne sont pas des noms que l'histoire retient) t'interdisent de
prononcer une conference sur la poesie kabyle.
De partout, de Bejaia, de Bouira, de Tizi-Ouzou, la Kabylie se leve pour
defendre ses poetes. Et c'est toute l'Algerie qui, peu a peu, annee apres
annee, rejettera les baillons, les exclusions, les intolerences, la
mediocrite et qui un jour d'octobre descendra dans la rue pour l'affirmer
en versant une fois encore son sang. Toi, l'humaniste sceptique et
independant qui n'a jamais assene de verite, qui n'a jamais juge personne,
tu etais, presque malgre toi, en amont d'une prise de conscience.


Et voici que nous devons desormais nous passer de ta presence chaleureuse
et brillante, de ta superbe intelligence, de ta bonne humeur a toute
epreuve, de ton endurance physique (on peut difficilement t'imaginer
malade, par exemple) qui te faisait faire des centaines de kilometres par
jour pour aller donner benevolement une conference et remonter tout de
suite apres dans ta voiture. Tu es mort au volant de ta 205 (une voiture de
jeune) comme le jeune homme fougueux que tu as toujours ete. Sois rassure,
Da Lmulud, la derniere image que je garderai de toi ce n'est pas celle,
emouvante, du mort accidente que j'ai vu mais celle de ce jeudi 16 fevrier
ou nous nous etions retrouves avec d'autres amis a Ighil-Bwamas pour
discuter du tournage d'un film.
Tu etais elegant et alerte comme toujours, en tennis. Tu etais le premier
au rendez-vous. Tu nous plaisantais sur notre retard, disant que tu croyais
te tromper de jour. Tu etais aussi le premier a repartir, toujours
disponible et toujours presse.
Tu avais beaucoup de choses a faire, a donner a cette culture que tu as
servie genereusement, sans rien demander en retour, supportant au contraire
avec dignite les brimades que ton travail t'attirait. Tu etais impatient en
ce jeudi 16 fevrier comme si tu savais deja que le temps pressait. Je te
vois monter dans ta 205 et demarrer bruyamment sur la route difficile
tandis que nous etions encore a bavarder.
C'etait la derniere fois que je devais te voir vivant.


La jeunesse assoiffee de culture et de liberte t'a toujours reconnu comme
l'une de ses figures symboliques, quelques intellectuels et artistes t'ont
toujours temoigne amitie, respect ou admiration dans les moments les plus
difficiles.
Mais ces derniers mois, c'est tout le monde intellectuel et mediatique
algerien qui a commence a comprendre ton importance et qui a recherche ton
poit de vue. C'est vrai que certains medias, qui avaient peur de "se
compromettre", te sont demeures fermes jusqu'a ta mort.

Mais que de projets auxquels des gens voulaient t'associer ! que de
journaux t'ont interviewe ! Et toi, porte et comme enivre par cette brise
de liberte, tu te demenais, tu prenais ta voiture, sillonais les routes et
te rendais partout ou l'on te sollicitait.
Oran, Ain-El-Hammam (ou tu devais rendre hommage a Si Mohand ou Mhand et ou
l'on t'avait offert un burnous), Bejaia. Et enfin Oujda. Au mois de
janvier, a Bejaia, ta conference sur la culture berbere a draine tellement
de monde qu'aucun edifice ne pouvait le contenir. Et c'est dans le stade de
la ville que des milliers de gens t'ont ecoute et ont discute de leur
culture. Quelle belle revanche sur l'interdiction de ta conference en 1980
! Quel trajet parcouru depuis cette date sur le chemin de l'expression
libre !


Je te revois a cette epoque ou nous preparions l'entretien qui allait
paraitre aux editions Laphomic. Je me rappelle la vivacite de ton
intelligence, ton sens de la repartie, ta pudeur et ta gene lorsque nous
sortions du domaine de l'esthetique ou des idees et que je te demandais de
parler de toi-meme (ton combat nationaliste, par exemple, ton militantisme
au MTLD, ce que tu as soffert durant la guerre, tu ne les evoquais jamais
meme lorsqu'on te contestait ton passe ou qu'on t'en fabriquait un autre).
Je me rappelle surtout ta jeunesse indefectible.
Je nous revois prenant des glaces dans l'un de ces innombrables salons de
the qui encombrent la rue Ben M'hidi ou dans le cafe "Le Veronese" a Paris.



Tu seras toujours pres de nous, eternel jeune homme des Ath Yenni et
d'Algerie....

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 ur atsru  nouveau
thamilla 2001-08-24 22:42:16 

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