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Le Blog
Interview du Webmestre sur France3
 La poésie féminine chantée
Auteur: Hacéne 
Date:   2001-07-24 17:51:08

La poésie féminine chantée: Textes et originalité

Toute culture orale ou écrite est en rapport direct avec son groupe de référence. Homme et femme ensemble, gèrent, sollicitent et préservent leur culture.

La culture, quelle que soit sa nature est la conséquence directe d'une certaine conception du monde de l'homme et de la femme et de leurs places dans le monde. Avec la femme, la relation est doublement observée : il y a d'abord la représentation de la femme dans la culture voire dans la littérature, partie prenante de la culture. Ensuite, la représentation de la culture par la femme.

Il est intéressant, pour comprendre ces deux types de relations qu'entretiennent mutuellement la femme et la culture, de parler d'une rencontre de voix, d'une expression orale, d'un pouvoir de dire à priori traditionnel et vivant qui semble propre aux femmes sous toutes les latitudes, donc d'une poésie féminine chantée. Que peut-on dire de cette production féminine ? Qu'en est-il de ses textes qui ne sont pas fixés ni transmis à l'aide de lettres ou autres signes écrits ? Est-ce qu'on a affaire à des productions comparables à ce que l'on entend par littérature dans les cultures écrites ? Quelle est donc l'originalité de cette parole féminine chantée ?

Nous savons tous que la poésie et la chanson occupent une place importante dans la vie sociale des populations berbérophones notamment en Kabylie car elles appréhendent le monde qui est constitué par un ensemble de représentations communes au groupe social, qui reflètent le système symbolique transmis à tous. Quand on vient à suivre le personnage de la femme, sa représentation dans une littérature orale, on distingue deux types d'images attribuées à cette femme : Un premier type qui la montre dans ce qui est dit d'elle par les autres, par l'homme par exemple. Et le type qui la montre dans ce qu'elle dit d'elle-même ou des hommes. Il y a, en fait, une relation entre la femme et la littérature orale, relation de représentativité ou de ce que la femme est au sein d'une société donnée. Plus souvent des textes de la littérature orale, même écrite, montrent l'envers de la femme (comme l'homme la voit ou comme elle croit devoir se présenter). A l'aide de figures de styles ornant tous un discours voire même un code littéraire, à l'aide de métaphores, une certaine face, un certain trait féminin se voit tracé et ainsi une floraison d'images variées viennent modeler et fabriquent un personnage féminin qui est conforme à une certaine conception sociale. Néanmoins au coté de cette première face, de cette première image symbolique ancrée, omniprésente que l'on se fait de la femme, il y a aussi l'autre face et c'est ce que cette femme est en droit de réclamer dans ses textes qu'elle chante ou qu'elle compose elle-même. Là, je voudrais d'abord préciser ce que je veux dire par textes et originalité. Il y a un seul et unique texte, qui est l'œuvre féminine chantée sur laquelle mon choix est porté : la chanson publique médiatisée dont je ne ferais pas l'historique. Donc, un texte qui se multiplie en différents petits textes c'est à dire en différents poèmes chantés. J'ai fais exprès de dire textes au pluriel pour montrer les différents thèmes surtout discours, que véhicule la parole féminine. Pour ce qui est de l'originalité, je parlerais de la singularité de l'œuvre féminine orale et de ce qu'elle apporte de nouveau dans la mesure où les textes chantés, ne sont pas des textes figés mais ils évoluent dans le temps et que leurs interprètes donc, les chanteuses, transmettent et créent à la fois. Elles ne peuvent pas être seulement prises pour des créatrices mais ne peuvent néanmoins être tenues pour de simples agents de transmission. Et que c'est là un témoignage qui pourrait servir d'appoint à l'écrit.

Il est d'abord important de dire que la poésie kabyle participe de tous les temps et de toutes les circonstances. Toutes les occasions donnent lieu à des paroles dites ou à des chants. Toutefois, avec l'instabilité du temps, le genre oral change. Il n'est pas constant dans on déroulement, dans ses thèmes. A chaque temps correspond un genre de chanson ou de poésie ayant une certaine fonction sociale et une certaine conception. Avant, la transmission orale (ou la poésie) constituait un langage traditionnel. Sa finalité résidait dans la diffusion du savoir traditionnel. La société kabyle avait d'abord besoin de la chanson rien que pour la fonction sociale qui est de communiquer la tradition des anciens sous formes de poèmes ou de rythmes. Hommes et femmes livraient d'une part un savoir, une pensée en l'occurrence l'image idéale de soi que forme le groupe. Dans des situations sacralisées, de joie ou de peine, on retrouvait un adebbal, un ameddah ou un axewni. Des hommes étaient donc des professionnels de la parole orale, d'une musique sans parole, d'un izli ou d'un ahiha et transmettaient leur sensibilité profonde mais dans une prudence totale, loin de s'attirer comme dirait l'expression, les foudres du ciel et de la communauté. Les femmes quant à elles puisaient dans le terroir de la tradition orale. Elles excellaient dans ces chants anonymes ayant des fonctions biens déterminées. Elles excellaient dans des chants accompagnants tous leurs gestes quotidiens, par exemple les chants des berceuses (ccna uzuzen), les chants pour battre le beurre (ccna usendu) etc. dans ces chants sacrés se cachaient tradition, histoire et sagesse féminine. Leurs voix gouvernaient certes le chant de la tradition orale, mais ne leur confèrent à elles en tant que femmes ni sens, ni signification. Elles étaient là à improviser un verbe et un rythme pour le seul but d'animation des fêtes et d'euphories momentanées de joie de tout un chacun sans pour autant être importantes et être gratifiées par le peuple de glorieuses nominations. Elles demeurent aux yeux de tous "tulawin" pluriel du mot "tameîîut". Or, il a fallu que l'anonymat du chant soit brisé par l'exaltation de la parole et c'est donc l'apparition de la chanson féminine. Bien sûr un autre sens, une autre vie.

La recherche de la vie meilleure a tracé aux femmes le chemin de la chanson. Celle-ci qui les sollicite, vient vers elles. D'abord et avant tout, la femme trouve en la chanson l'aumône qu'elle vient demander en ville et elle en fait un gagne pain. Ainsi avec les pionnières de la chanson publique telles que Cherifa, Hnifa, Bahia FARAH et bien d'autres, le chant féminin rural anonyme et spontané a connu un autre territoire d'expression. En femme courageuse, en ignorant le nouveau milieu, la femme gérera la manifestation artistique publique. Son chant, deviendra désormais un espace d'exil où la condition féminine trouve refuge. Mais elle n'échappe pas pour autant aux multiples agressions de l'espace urbain qui lui réserve de surprises. Ainsi, elle n'est pas seulement éjectée de l'intimité rurale mais aussi suivie par la vertu du nnif en ville et par conséquent, elle paye des prix exorbitants à savoir celui d'un écartement, d'une marginalisation tragique et d'un bannissement éternel. En perdant parents, vie d'enfance, la femme s'intègre dans une sédentarité précaire et s'engage dans un individualisme qui n'avait d'existence que par le groupe. Un individualisme qui se transfuserait dans un "je", dans une sensibilité féminine dépossédée de tout. A sa vie tourmentée, elle ne voyait qu'un remède : "le mot" qu'elle emprunte à son patrimoine culturel. Elle découvre son premier point de chute qui est la ville, la mascotte d'une vie meilleure et le refuge d'un tas de promesses mais emmène avec elle une peur interminable des siens et dissimule sa vraie personnalité dans de faux prénoms, dans des pseudonymes.

Confrontée à un brusque dépaysement et à l'anathème des mal pensants du patelin natal, la femmeœuvre pour une chanson radiophonique à traversé"l'acewwiq"; sorte de litanies mélancoliques ou joyeuses traditionnelles rappelant ainsi les "urars" villageois et ainsi pour ne pas être reconnue. Grâce à cet acewwiq, à cette philosophie collective dont un chacun tire leçons, elle se rapproche de la ruralité, des paysages villageois qui demeurent dans son cœur et son esprit. Étape par étape, la femme excelle dans la chanson publique, goûte la saveur du verbe et prend conscience de celui-ci, de ce qu'il peut lui apporter.

Pour reconnaître l'importance du chant féminin, il faut d'abord examiner les déterminations de l'usage que fait la chanteuse de son texte. Analyser aussi les différents discours que véhicule le texte féminin et la succession des situations que la femme expose et traduit à travers le mot. Pour commencer, pour saisir l'ensemble de la production et sa spécificité, il faut surtout voir qu'est-ce que les différentes générations d'artistes femmes chantent ? Comment se succèdent-elles et surtout comment le "je" de chacune d'elles est attribué dans les textes et bien sûr quelles sont ses occurrences thématiques ?

Les premières femmes qui ont pénétré la chanson publique, ont su d'abord et avant tout vaincre le destin. Elles ont surtout cherché pour elles un refuge et pour leur condition de vie un espace d'expression. En se donnant à la chanson, ces femmes traduisaient leurs propres états d'âmes à savoir les igheblan ou les tourments, lhif ou la misère, lxiq ou le mal d'être et surtout l'abandon, le rejet et le désordre social. La femme elle-même est mise en évidence, sa condition est prise en charge dans la chanson. Son "émoi" est rendu dans un pronom personnel le "je". Celui-ci qui reflète à la fois l'expérience personnelle mais aussi la vie de la femme. Dans les premiers textes de Cherifa, ce "je" domine. Il est le propre même de l'œuvre autobiographique vers laquelle la chanteuse se destine. Dans son tout premier texte improvisé, Cherifa développe des thèmes forts intéressants. Elle évoque le thème du bannissement du village, le déracinement et la rupture qui en résultent. Sous forme d'acewwiq, elle entretient un dialogue à distance en laissant sa terre natale derrière et en la regrettant:

Bqa ala xir ay Aqbu

Tura ifuk zzhu

Win isethan ad yettef imi-is

Elle chante aussi l'individualisme qui en est conséquent, qui traduit un monde bouleversé dans sa morale et ses valeurs communautaires. Elle chante les amitiés et les anciennes solidarités disparues et elle dit :

Kfan lâhbab d wi nteddu

Ooan-agh nepru

Kul wa yelha d yiman-is

Dans ce texte, on trouve à la fois le pluriel impersonnel qui désigne la société mais aussi le "je" de la femme qui se confie dans la plainte. Il verse dans les confidences sincères témoignant comme dirait R. MOKHTARI; dans une succession de tercets de l'expérience de la femme évoquant ainsi des faits quotidiens ayant trait à sa condition. Implorant Dieu, le prophète et les saints, elle dit :

Zdat-k a llah a d-neêku

Ay ul-iw cfu

Kul wa t-d-yehder wass-is

Dduklent-iyi rebea tlufa

Afwad-iw yerha

A ssyadi aql-iyi am umehbus

Fkan-iyi lqahwa xfifa

Zzehr-iw yekfa

Deg-wfendjal ur nese' afus

A pneerem a ccuôafa

A Nnbi lmusîafa

Selk-agh di leâbd amenêus

De Cherifa à Hnifa un autre exemple de femme qui s'occupe, elle aussi, de sa vie et la chante. Dans des textes plus choquants pour la morale de son époque, elle brisa les tabous, elle passa outre les frontières de la tradition aliénante pour inscrire sa revanche contre le destin, contre sa société dans la symbolique des non-dits culturels. Ses textes s'appuient sur une expérience existentielle et concrète. Son "je" ne se limite pas à la plainte, à la dénonciation ou à l'interrogation, mais surtout se révolte, apparaît dans la chanson comme dans une expédition longue, émouvante et coûteuse. C'est un "je" résistant et libérateur. Elle donne de la réalité de la femme une idée exacte. Elle découvre les conditions précaires dans lesquelles celle-ci vit. La chanteuse raconte l'histoire de sa vie, l'inscrit dans un texte célèbre où elle dit :

Maççi d leghwna i tghennigh

D ayen iâeddan felli

Le "je" de cette chanteuse est encore plus réaliste, plus connaisseur de la vie dans d'autres textes et thèmes.

Au fur et à mesure que l'on s'introduit dans la chanson féminine, on trouve que même à des différences d'époques (à partir des années 50 jusqu'aux années 90), le "je" féminin apparaît. Chez l'ancienne ou la nouvelle génération des femmes-artistes, la femme a une opinion avantageuse d'elle-même qu'elle souhaite et essaie de donner aux autres. Avec les exemples de Nouara, Malika DOMRANE, de Djurdjura et de Massa BOUCHAFA, on peut dire qu'il y a une continuité. Pareille aux chanteuses pionnière la jeune chanteuse, conteste à elle-même le droit d'exposer ses idées, le droit de dire sa vie, de se confesser dans la parole. Elle intervient techniquement (avec sa voix, par le biais de la radio ou de la cassette) dans sa vie. Mais aussi conteste la société dans laquelle elle vit. Les "je" de ces femmes chanteuses sont aussi des "je" d'autodétermination que ce soit sur le plan féministe ou culturel identitaire. Avec elles, le problème de la femme revient, ayant peut-être d'autres sens, d'autres aspects surtout, se situe dans d'autres contextes : social, politique, économique. Ceux-là qui lui confèrent sa valeur, sa signification. Il y a donc là un nouveau visage de la chanson féminine, où le "je" ne témoigne pas seulement de la vie personnelle de la femme mais aussi la redessine et puise dans le cadre du futur désiré, dit dans le détail et la complexité quelquefois polyvalente du réel. Chez la jeune chanteuse, le "je" chanté marque à la fois la sensibilité féminine mais aussi et dans bien des cas la rébellion. Ceci est bien représenté par le groupe Djurdjura qui dit:

Netta d ssut nek t-tighwist

Deg-i d-lul tlelli

Keç t-tagrawla nek d ttrad

Maççi p-paghawsa i tmughli

En tout les cas, grâce à un classement des thèmes on saura que la chanteuse n'essaie pas seulement de dire sa vie, mais elle la juxtapose à bien d'autres conditions (en l'occurrence la condition culturelle) qu'elle vit et que vivent les autres. Chez nous ou ailleurs dans l’émigration, la chanson a pu être uneœuvre globalisante où des voix féminines ont su donner plus de constance et de consistance. A travers un texte plein, englobant divers thèmes : les complaintes, la misère "lhif", le désarroi, l'exil "lghwerba", l'amour "tayri", la frustration "aghurru", mais aussi la culture "idles", la femme a su faire de la chanson, un argument probant, une preuve décisive de son existence en tant que femme. Avec l'élaboration de ses textes, la femme n'était pas seulement une poétesse, une parolière interprétant des textes écrits et composés par l'élément masculin mais aussi une reproductrice d'une culture berbère multimillénaire. Elle a su briser des tabous, a su montrer des non-dits tels que l'amour frappé d'anathème et toucher une société qu ne répond pas d'elle-même. L'originalité du texte féminin réside aussi dans le fait que la femme a essayé de décomplexer la société, d'interpeller l'homme, le groupe, donc de créer une harmonie entre eux. Surtout, elle a été consciente du vide culturel de sa société. Elle a profité de la vague du berbérisme (des évènements de l'histoire chaude de l'Algérie de 1980), de la revendication identitaire pour ainsi dire représenter sa culture qu'elle loue dans sa chanson, ceci en cultivant une poésie engagée, en entretenant et soigneusement des relations, en la revendiquant et en la réactualisant à travers des mots et des sens. Elle parle par exemple de terre "tamurt", de la langue "tutlayt", de l'union ou de fraternité "tagmat" etc. Elle réclame le droit d'appartenance, la reconnaissance et l'amélioration et surtout exprime son orgueil par rapport à celle-ci et en tire fierté comme le dit Malika DOMRANE:

Ay azwaw aql-iyi ferhegh

Imi iyi-nnan wi kem-yilan

Nek lasel-iw imazighen

Widen umi mechur yisem

Cette chanson féminine est comme dirait Marcel MAUSS, un phénomène social total. Elle est un tout. Elle a une valeur singulière, un visage, un nom, une histoire, un destin. C'est dans la chanson même féminine que se joue le destin d'une culture et d'une langue berbère. Même pour ce qui est du problème du passage de l'oral à l'écrit, on peut avoir des réflexes très positifs. Un emprunt involontaire au fond littéraire oral notamment à la poésie et à la chanson féminine pourrait servir de base à l'écrit. On peut transposer grâce à la chanson même féminine, en livre une réalité orale existentielle. Des notions, des structures sociales inspirées de l'enseignement oral que véhicule la chanteuse et la praxis du groupe pourrait être un atout fonctionnel du passage de l'oral à l'écrit. Là, il y'aurait une influence de la littérature populaire dont la chanson est partie prenante, sur la littérature savante donc l'écrit. A ce propos CRISTEVA pense que "l'écrit a besoin de l'oralité pour s'insérer dans la société comme histoire et dans les systèmes de signes comme signe". N'est ce pas que l'écrit emprunte volontiers un lexique à l'oralité et c'est bien dans les récits et les poésies populaires que la littérature savante puise et elle a pour objet essentiel l'oralité et les expressions poétiques.

KHERDOUCI Hassina

Universitaire

(Département de Langue et Culture Amazigh T.O)

 Sujet Auteur  Date
 La poésie féminine chantée  nouveau
Hacéne 2001-07-24 17:51:08 

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