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Interview du Webmestre sur France3
 Les généraux
Auteur: Hacéne 
Date:   2001-07-20 13:29:31

Akram B. Ellyas*, "Courrier international" , 1 juillet 2001

Pour garder le pouvoir, les hauts gradés jouent la carte de l’affrontement entre Kabyles et Arabes. Quant aux jeunes officiers démocrates, ils ont été “éliminés” depuis longtemps.

Au cours des dernières semaines, alors que chaque jour apporte son lot de victimes à la suite d’affrontements entre manifestants et forces de l’ordre, la stratégie principale du régime algérien consiste à empêcher que les protestations populaires qui embrasent la Kabylie depuis le mois d’avril ne s’étendent au reste du pays. L’enjeu est en effet de taille pour le pouvoir, tant il est vital pour lui d’éviter une explosion sociale généralisée qui pourrait conduire à son effondrement. “Au cours des dix dernières années, le régime n’a jamais réellement craint le terrorisme islamiste, explique un éditorialiste algérois. En revanche, les militaires savent qu’une Intifada à l’échelle nationale, qu’ils ont réussi à éviter jusque-là et qui serait accompagnée par des grèves et des campagnes de désobéissance civile, peut remettre en cause leur mainmise sur le pays.” Entre 1992 et le mois d’avril 2001, le terrorisme islamiste mais aussi la crainte inspirée par l’armée et les services de sécurité ont ainsi contenu toute velléité de contestation sociale, et les manifestations étaient d’autant plus rares que l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le principal syndicat, était aux ordres dans une conjoncture pourtant marquée par une grave crise économique et plusieurs centaines de milliers de suppressions d’emplois. Mais, aujourd’hui, les Algériens, excédés par leurs conditions de vie - 14 millions d’entre eux vivent désormais au-dessous du seuil de pauvreté - et par les méfaits d’un régime décrié et coupé de toute réalité sociale, ne semblent plus avoir peur. “Vous ne pouvez pas nous tuer car nous sommes déjà morts”, disent de nombreuses banderoles, et cela suffit à résumer l’état d’esprit d’une jeunesse qui constitue les deux tiers de la population algérienne.

Et c’est donc pour éteindre ce feu dangereux pour ses intérêts que le pouvoir algérien ressort ses vieilles recettes, en faisant tout pour convaincre que le mouvement parti de Kabylie est uniquement fondé sur des revendications ethniques, voire séparatistes. Déjà, en 1980, lorsque les Kabyles avaient manifesté pour la reconnaissance de la culture berbère mais aussi pour la démocratie, le régime avait réussi à discréditer le mouvement en convainquant le reste du pays que les protestataires avaient brûlé le drapeau algérien, craché sur le Coran et réclamé le rattachement de leur région à la France. Pour l’heure, ce genre de manipulation ne semble guère fonctionner, notamment grâce à la presse indépendante, qui, chaque jour, insiste sur le caractère national des revendications des manifestants kabyles. Et c’est paradoxalement cet échec du pouvoir algérien à déconsidérer la révolte kabyle qui inquiète nombre d’Algériens. “Si le reste du pays continue d’afficher sa solidarité avec les gens qui manifestent en Kabylie, alors, le régime va aller plus loin et il n’aura de cesse que de prouver que la revendication est bien ethnique”, avertit ainsi un ancien ministre. Ce qui signifie que le pouvoir risque de tout mettre en oeuvre pour que le mouvement se radicalise en Kabylie et que ses organisateurs, les comités de village, soient débordés par une frange radicale, pour l’heure minoritaire, dont les revendications sont principalement ethniques. “En février 1992, en créant des camps d’emprisonnement dans le Sud et en semant la terreur dans les quartiers populaires, le régime a fabriqué de futurs terroristes islamistes. Il va essayer de faire la même chose avec les jeunes Kabyles, en les défiant de manière permanente et en usant à leur encontre d’une violence et d’une répression disproportionnées”, relève le journaliste algérien Farid Dziri. Cela explique pourquoi la gendarmerie algérienne multiplie les provocations et les humiliations à l’égard de la population kabyle. Tirs de grenades lacrymogènes contre des habitations, bastonnades de jeunes pris au hasard, propos outranciers et vulgaires à l’égard des femmes sont des actes fréquents et n’auraient jamais pu avoir lieu sans l’accord de la hiérarchie. “Ils veulent nous faire péter les plombs”, raconte Azzedine, comptable et habitant de Tizi Ouzou. “Si cela continue, les gens vont finir par utiliser leurs armes contre les gendarmes.”

Déjà, en France - où vivent de nombreux berbéristes radicaux - circulent des tracts qui appellent “au départ des Arabes d’Algérie”, alors qu’il est un fait que la population algérienne est majoritairement berbère, même si une grande partie est arabophone. “La revendication d’une autonomie de la Kabylie n’a de sens que si le régime algérien tombe et que la démocratie s’installe. Demain, dans une Algérie débarrassée de la mafia qui la gouverne, tout peut être envisagé, y compris un schéma décentralisé à l’espagnole, avec un large pouvoir des régions, mais, d’ici là, l’urgence, c’est la démocratie pour tous. Il ne faut pas que les Kabyles tombent dans le piège”, plaide Ahmed K., 58 ans, universitaire et sympathisant de l’ancien courant réformateur du Front de libération nationale (FLN). Il n’ose même pas imaginer ce sur quoi déboucherait un embrasement armé de la Kabylie. “Une vraie guerre civile”, avertit Lotfi Mostefaï, médecin algérois. “Et le pire, c’est que le régime n’aura aucun scrupule à nous y amener si sa survie en dépend.”

Ce jugement sur le cynisme du pouvoir se retrouve aussi lorsqu’on évoque la possibilité d’un échec de la stigmatisation du mouvement parti de Kabylie et donc d’une généralisation des manifestations à l’ensemble du pays. Ceux qui connaissent le système algérien assurent que le pouvoir n’aura aucun état d’âme à réprimer cette contestation dans le sang, même si le bilan dépasse de dix ou vingt fois les 500 morts d’octobre 1988, lorsque l’armée avait ouvert le feu sur la jeunesse algérienne qui manifestait déjà son ras-le-bol. Cette certitude quant au caractère impitoyable des “décideurs” est d’autant plus confortée que l’Occident n’en finit pas de ménager le régime. La présence à Alger d’un ministre du gouvernement français à la Foire d’Alger, le jour même de l’organisation de la grande marche du 14 juin, montre bien à quel point le pragmatisme vis-à-vis d’un pays riche de ses hydrocarbures et grand acheteur sur le marché international finit toujours par l’emporter. Du coup, n’attendant rien de l’étranger tout en doutant de la capacité des partis politiques d’opposition à affaiblir le régime, une partie des élites algériennes place ses espoirs dans un sursaut républicain et démocratique de l’armée.

Depuis plusieurs mois, plusieurs intellectuels évoquent avec insistance la possibilité d’une “révolution des oeillets” où de jeunes officiers, écoeurés par la déliquescence de leur pays et par le népotisme des généraux favoriseraient l’émergence d’une vraie démocratie. Certes, l’idée n’est pas abordée sur la place publique car cela entraînerait vraisemblablement des poursuites pénales, mais elle fait son chemin au point que les chancelleries occidentales sont très attentives à cette question. De fait, il est logique de penser que de jeunes lieutenants ou capitaines, voire des commandants, dont le quotidien est aussi dur que celui du reste de la population, avec en outre le statut terrible d’être une cible pour les groupes armés, puissent un jour prendre des initiatives pour faire sortir leur pays de la crise.

“Impossible”, affirme Abdelkrim, 37 ans, médecin militaire. “Il faudrait pour cela que ces jeunes officiers soient organisés, et ils ne le sont pas. L’état-major veille au grain, et les mutations sont nombreuses. Les militaires éprouvent le même sentiment d’accablement et d’impuissance qui caractérise la société.” De son côté, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS, l’ex-Sécurité militaire) veille. La plupart des officiers convaincus de sympathies islamistes ont ainsi été radiés ou mis à la retraite anticipée, et il est vraisemblable qu’une telle démarche serait adoptée pour tous ceux qui soutiendraient trop ouvertement les forces démocratiques. “Quand une tête émerge, soit elle est coupée, soit elle est cooptée. Et puis, il faut bien vivre. Etre militaire, c’est quand même avoir une solde en fin de mois, alors que tant de cadres algériens sont au chômage”, ajoute Abdelkrim.

Le personnel politique n’ose même pas envisager cette possibilité. “Ceux qui plaident pour que de jeunes officiers chassent les généraux ne connaissent pas le système algérien”, explique un cadre du Front des forces socialistes [FFS, parti d’opposition, majoritairement berbère]. “Si jamais l’armée venait à se diviser, nous aurions le pire des scénarios. Ce serait encore plus grave qu’un embrasement de la Kabylie.” Comme l’ancien Premier ministre réformateur Mouloud Hamrouche, ce responsable politique estime que l’espoir réside dans une négociation avec les généraux. “Il faut leur offrir une porte de sortie honorable”, ajoute-t-il. A condition que les “décideurs”, comprenant le danger mortel qui guette leur pays, veuillent bien partir...





* Journaliste algérien, auteur des Cent Portes du Maghreb (en collaboration avec Benjamin Stora), éd. L’Atelier, 1999

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Hacéne 2001-07-20 13:29:31 

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