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Le Blog
Interview du Webmestre sur France3
 La langue et identité . TEMOIGNAGE des jeunes
Auteur: amirouche 
Date:   2001-02-23 17:57:48

Azul,

Il faudrait savoir que la conception étatique dans le cadre de l'Etat-nation est très récente en Afrique du Nord. C'est avec la colonisation que les algériens ont découvert ce système d'organisation et de gestion du pouvoir. Pendant des siècles la berbérie avait vécu dans un système tribal reconduit tel quel avec l'avénément de l'Islam. Le Califa (el Khilafa) n'interferait pas dans les affaires internes des régions. C'est uniquement devant le périel extérieur que la "nation" se solidarise en appuyant dar el harb. Il serait interessant d'étudier cette longue période pour comprendre le malheur des minorités dans le monde arabe actuel. La "sahoua " ou la "nahda" n'a fait, paradoxalement, qu'entériné l'aliénation et la consolider davantage.

Bref, je repasserai sur cet aspect-là une autre fois. Ceci dit, je voudrais vous soumettre une petite partie d'un travail que j'ai fait sur les jeunes à propos de l'identité et la langue.
Bonne lecture.



Il est évident que le pilier central de toute culture est la langue. C’est à travers elle que l’individu exprime ses émotions, sa vision du monde, ses pensées. Billy Bud disait : « Si j’avais pu retrouver mes mots, c’est avec eux que j’aurais frappé (…) mais je n’ai pu le dire qu’avec des coups. » (1) C’est tout le drame des déviants qui n’ont plus ce code culturel pour se faire comprendre des autres. Parler la même langue, c’est sous-entendre partager des valeurs.

Dans l’immigration, parler différemment de l’autre, c’est se reconnaître comme singulier et différent. Hagege dit qu’ « un tel souci s’exacerbe le long des marches frontières, où le voisinage immédiat rend plus pressant le besoin de s’identifier en s’opposant.» (2)L’homme inscrit dans la langue l’affirmation de son identité ethnique. Hagege parle de la fonction ethno-démarcative de la langue. Louis-Jean Calvet dira, « La langue, maquis du peuple ». Quant au linguiste S. Chaker, il note que la langue devient un « véritable pôle de cristallisation identitaire ». En effet, quand la langue est la valeur centrale par excellence – comme c’est le cas chez les Kabyles – c’est elle qui devient par conséquent le symbole ultime de l’ethnicité.

Mais voyons l’état de l’identité chez le jeune immigré kabyle et le rôle de sa langue en situation de contact.

Le jeune immigré, d’après Erikson, n’a pas de cohérence au niveau des messages reçus, c’est-à-dire de la perception qu’ont les autres de lui-même. Il ne peut pas remettre en cause l’identité qu’il a du mal à percevoir lui-même. N’ayant pu mettre en place une identité cohérente issue de son enfance, surtout quand la transmission est carentielle, sa quête personnelle d’une nouvelle identité ne pourra se faire de façon satisfaisante. Il y aura alors ce que l’auteur appelle « un sentiment de confusion des rôles » qui s’apparente à notre sens à de la dissonance cognitive, c’est-à-dire que le jeune immigré ne pourra pas se situer par rapport aux autres comme un individu, mais en tant que personne diffuse de rôles contradictoires. Aussi faut-il dire qu’un jeune Kabyle est pris dans une tenaille à double mâchoires, celle de la société d’accueil, et celle de la communauté algérienne arabophone. Cette confusion peut s’aggraver avec le classique conflit de génération.

Ce brouillard identitaire, à multiples facettes, peut disparaître quand un jeune Kabyle rencontre sa langue maternelle à travers la langue arabe. A priori, il s’agit d’un paradoxe insurmontable. Que non ! La situation des Kabyles est celle d’une minorité dont la langue n’est pas reconnue par les institutions de l’Etat. Une minorité qui pourtant pèse qualitativement (3) et quantitativement (4) mais sans un réel pouvoir politique qui imposerait des choix en matière d’éducation. Actuellement, la langue “d’origine’’ enseignée officiellement dans des écoles publiques (5) est la langue arabe classique. Le kabyle n’en fait pas partie. C’est d’ailleurs de cette confrontation que n’acquit la découverte de soi, de sa langue. Mais au-delà du Kabyle, l’arabophone lui-même est désorienté face à une langue qu’il croit algérienne, donc maternelle. Car un Français s’exprime en français, mais l’Algérien ne peut s’exprimer en Algérien (6).

Tiziri nous racontera un autre fait très courant dans les cours d’arabe qui sera confirmé d’ailleurs par la plupart de mes interviewés :

"""(…) On apprenait chez un prof. C’est marrant, c’est un Marocain. Il nous faisait à la sauvette sous le manteau, il nous donnait des cours de Coran, des textes coraniques. Il nous disait : “ Il ne faut pas le dire au directeur, parce que je n’ai pas le droit, normalement ”. Chaque fois que le directeur arrivait, on retournait notre cahier de côté où on apprenait la langue arabe. Et après, on reprenait le Coran. Je connais comme ça trois Sourates. Ça m’a toujours choqué, ça m’a laissé perplexe. Je me posais des questions. C’est quoi cette obsession d’allier la langue et la religion, l’arabe et l’Islam ? La langue, c’est vrai que c’est un passage obligé. Mais pourquoi cette obsession, quand on enseigne à des enfants une langue pour la parler, etc. L’Islam, c’est autre chose. (…)""


Une pédagogie éculée et rétrograde conditionnerait les Kabyles à fuir tout ce qui est d’expression arabe, lui-même couplé à l’islamisme virulent phagocyté par un arabisme idéologique dominant. Les Kabyles ont quand même conscience du travail de sape que se livrent ces enseignants incompétents parachutés à la faveur des liens qu’ils ont dans l’administration algérienne. Mennad aussi nous en donne un petit aperçu :

""(…)Et vers le même âge, notre père nous a inscrit dans un cours d’arabe. Alors là, c’était vraiment ... Ca m’a quand même conditionné à ne pas apprendre l’arabe , quoi. Parce que c’était une façon d’agir, de nous apprendre l’arabe qui était dégradante. Alors, c’était soit quand on fautait , quand on faisait une erreur , une règle en fer sur les doigts... En plus, c’était ici. C’était pas là-bas. Ce qui fait qu’il y avait quand même quelques attitudes de là-bas qui étaient importées ici. Enfin, moi, ça m’a dégoûté cette façon d’apprendre l’arabe. En plus, on liait toujours l’arabe au Coran. Donc, on nous apprenait des sourates. (…) ""


La bataille qui se livre sur le terrain est inégale et échappe même aux autorités françaises et ce, quand elles ne donnent pas sa bénédiction à l’interdit qui frappe l’expression berbère. La politique algérienne est souvent répercutée en France. Tessala en sait quelque chose :

""(…) A l’endroit où on donnait les cours d’arabe, y avait des cours de berbère qui ont été installés. C’était les premiers cours de berbère en France, en banlieue d’ailleurs. C’était à côté de chez moi. Mon père voulait nous y inscrire. Il était tout content. Et puis quand ils s’est renseigné ... Bon, il avait des amis qui étaient en Algérie qui lui ont dit : « Ah ! Faut pas les inscrire ! ! » C’était à l’époque où c’était encore très chaud. C’était dans les années 80. Je devais avoir dix, douze ans. C’était en 84. C’était encore très tendu, y avait eu le Printemps Berbère. Donc, tu imagines l’ambiance qui régnait là-bas. Donc, ils disaient : « Non il faut pas les inscrir, car s’ils sont inscrits ici, ils vont être fichés au pays, et quand vous allez retourner, ça va trop mal se passer pour vous. » Et donc, mon père qui, au départ, nous avait inscrit, on n’a jamais été. On a continué les cours d’arabe sans aller au cours de berbère. Et ça , c’est quelque chose que je lui ai toujours reproché, je le lui ai même dit un jour. Parce qu’en fait, il avait cédé au lieu de nous montrer qu’il fallait qu’on soit fier. Quelque part, tu comprends aussi, il avait peur pour nous . Même si lui, il le voulait parce qu’il est très militant. Et puis, c’était quelqu’un qui était très attaché à la culture. Il sentait qu’il n’avait pas le droit de nous faire supporter ça. ""

Ces jeunes ont conscience de la richesse de leur langue maternelle, la considérant comme irremplaçable pour exprimer des affects, une mentalité kabyle qui ne s’exprimerait que dans des mots à elle. C’est à travers deux expériences tirées du vécu que les jeunes mesurent la sensibilité d’une langue maternelle à exprimer l’inexprimable dans une autre langue. Mouloud le sait bien :

""(…) Quand on s’exprime dans une langue, forcément on est pénétré par l’esprit de cette langue, son âme. On respire avec cette langue. On comprend mieux ce phénomène quand on passe à la traduction. Lire les poèmes de Si Mohand Oumhand en kabyle n’a rien avoir avec la traduction en français. En fait, en devrait dire un essai de traduction, parce qu’on n’est jamais satisfait de la traduction donnée. On trouve toujours à redire. Voilà.

(…)bien sûr à certains moments, j’ai des expressions qui sortent en kabyles dans des situations fortes où je pouvais pourtant utiliser le français. Je crois qu’il m’est impossible de les exprimer en français ni en arabe. Par exemple avec ma mère, je ne peux lui parler qu’en kabyle pour l’essentiel. Par contre certaines situations exigent de moi de ne parler qu’en français quand par exemple j’évoque la sexualité.""

Sur le dernier point évoqué par l’interviewé, nous dirons que la sexualité est considérée autrement chez les Kabyles d’où probablement l’absence de mots équivalents. Cela dit, il s’agit d’un sujet très complexe qui mériterait à lui seul toute une étude.

Ecouter parler sa langue dans une société où on se parle très peu éveille toute la nostalgie : du pays, de la famille, de la communauté. La langue maternelle sécurise et évite la perplexité. Le bonheur de l’entendre à l’extérieur est indescriptible. Tessala en est émue :


""(…) J’étais contente quand je me retrouvais dans un quartier où il n’y a que des Kabyles. J’entends parler kabyle à droite et à gauche, je me sentais bien. Tu te sens entouré. ""

1 - E. T. Hall, Au-delà de la culture, Paris, Seuil, 1979, p. 153.
2 - C. Hagege, L’homme de paroles, op. cit.
3 - Il serait très intéressant d’étudier la promotion sociale des Kabyles dans tous les domaines; leur installation très ancienne serait un atout.
4 - Nombreux sont les artistes exilés en France, depuis la déferlante intégriste, qui chantaient en arabe exclusivement et qui se sont mis à produire en kabyle vu l’important marché que représente la communauté kabyle.
5 - Cet apprentissage a été officiellement élaboré dans la circulaire n° 75 – 148 du 09 avril 1975. C’est un enseignement de langues nationales à l’intention d’élèves immigrés dans le cadre du tiers temps des écoles élémentaires. Ces cours sont dispensés par des ressortissants des pays d’origines et sous la responsabilité première de leur autorité propre.
6 - Lire l’excellent article de H. Salmi consacré au “Pluratime linguistique en Afrique du Nord’’ in Psychothérapie des enfants de migrants, de Claude Mesmin et Collectif, Ed. La Pensée Sauvage, 1995.

 Sujet Auteur  Date
 La langue et identité . TEMOIGNAGE des jeunes  nouveau
amirouche 2001-02-23 17:57:48 
 Re: La langue et identité . TEMOIGNAGE des jeunes  nouveau
lundja 2001-02-26 10:50:09 
 Re: La langue et identité . TEMOIGNAGE des jeunes  nouveau
mébrouk 2007-10-15 10:36:39 

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