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Le Blog
Interview du Webmestre sur France3
 Lahouari Addi
Auteur: hacéne 
Date:   2001-07-01 12:38:51

Lahouari Addi, 24 mai 2001 (article envoyé à la Tribune et qui n'a pas été publié)

Dénonçant la répression contre les jeunes manifestants en Kabylie, le Parlement européen vient d'adopter une résolution où il parle des droits du " peuple berbère ", laissant entendre qu'il y aurait en Algérie des berbères opprimés et des non berbères oppresseurs. Ce faisant, l'institution de Bruxelles a lancé une bouée de sauvetage au régime dont les défenseurs soutiennent que la contestation en Kabylie est alimentée de l'étranger par des forces qui veulent diviser le pays. Il est à se demander pourquoi le Parlement européen, longtemps silencieux, s'est exprimé aujourd'hui alors que la crise sanglante dure depuis dix ans causant près de 200 000 morts. Faut-il croire que les élus européens sont plus sensibles aux droits des minorités qu'à ceux de la personne humaine? Mais même si c'était le cas, le Parlement européen a fait preuve d'une méconnaissance totale de la situation politique locale car la Kabylie, bastion historique du mouvement de libération nationale, n'est pas la Bosnie-Herzégovine et les Kabyles ne sont pas les Bosniaques de l'Algérie. Pour preuve, il y a des Kabyles dans tous les courants politiques, de l'islamisme armé aux démocrates en passant par le régime. Le chef de la Sécurité militaire, colonne vertébrale du pouvoir, est un Kabyle ; les maquis islamistes les plus actifs sont en Kabylie ; et enfin le parti à la pointe du combat démocratique - le FFS- est à majorité kabyle. La Kabylie est le condensé des contradictions de la société algérienne dans laquelle on retrouve tout à la fois le discours nostalgique du nationalisme du FLN, l'utopie islamiste et l'aspiration à la démocratie. La spécificité de cette région provient de deux facteurs : elle est montagneuse, ce qui rend son contrôle difficile par le pouvoir central, et elle est proche de la capitale dont la majorité des habitants est originaire de ces montagnes. Mais c'est méconnaître le sens profond de la contestation en Kabylie que de la réduire à une revendication régionaliste. Les slogans criés par les manifestants ne laissent aucun doute là-dessus : pouvoir assassin, généraux délinquants, gouvernement terroriste, Bouteflika-Messadia voleurs des deniers publics… Ces slogans sont écrits sur les murs des villes et villages de tout le pays et renseignent sur le degré d'impopularité d'un régime que rejettent tous les Algériens, les Kabyles en tête.
Ce qui donne cependant aux habitants de la région une particularité par rapport aux autres populations du pays, c'est la revendication linguistique que refuse de prendre en compte le nationalisme jacobin du pouvoir encore enfermé dans le mythe de la nation unie par la langue arabe. C'est un fait historique que le Maghreb est d'origine berbère et c'est un fait socio-géographique que les montagnes sont berbérophones et les plaines arabophones. Par le passé, cette différence linguistique n'a jamais donné lieu à des divergences politiques et n'a jamais divisé la population. C'est pourquoi il n'y a pas de syndrome de la minorité ethnique tel qu'il existe par exemple en ex-Yougoslavie ou au Moyen-Orient où des haines ancestrales opposent des groupes sociaux dont la rivalité remonte au passé lointain. En Algérie, la revendication linguistique ne met pas aux prises des segments de la société, elle oppose une région au pouvoir central incapable de la satisfaire en raison de son déficit de légitimité qu'il cherche à compenser par le discours emphatique sur l'unité nationale forgée autour de la langue arabe. Il faut se rappeler que le nationalisme algérien s'est formé dans des conditions historiques qui l'ont marqué, à savoir celles du populisme de combat qui n'admettait aucune différence à l'intérieur du peuple uni pour créer une Nation se reconnaissant dans l'unicité de la langue et de la religion.
Le différend linguistique est nouveau car les institutions de l'Etat indépendant, copiées sur le jacobinisme français, refusent de donner à la langue berbère une existence officielle, la refoulant dans l'espace domestique. Ce que demandent les Kabyles, c'est que leur langue maternelle soit reconnue officiellement, ce qui est une revendication démocratique car un Etat de droit ne réprime pas une langue maternelle, seul outil de communication pour des centaines de milliers de personnes, dont une majorité de femmes, qui ne connaissent pas la langue arabe, et qui, de ce fait, sont exclues de la vie nationale alors que leurs proches ont participé à la libération du pays et à la création de l'Etat national. Surtout que la reconnaissance officielle du Tamazigh dans les régions berbérophones ne remet en aucune manière le caractère national de la langue arabe, à moins que certains jouent le pourrissement pour susciter l'extrémisme qui donnera naissance à la haine entre arabophones et berbérophones, ce qui créerait une situation politique à la faveur de laquelle les revendications démocratiques passeront au second plan puisque l'unité nationale sera réellement en danger.
Le fond du problème en Algérie est politique et est relatif à l'échec d'un régime autoritaire qui persiste à refuser que la société ait son propre Etat ancré dans les réalités nationales. Le pouvoir réel, caché derrière le formalisme des institutions, préfère coopter des responsables dont la compétence et l'intégrité sont sujettes à caution, et qui surtout n'ont aucune autorité politique et aucune légitimité pour régler les problèmes de la langue, de l'école, du code de la famille, de la transition vers l'économie de marché, etc. L'insatisfaction de la revendication du tamazigh est révélatrice de l'absence d'institutions représentatives à même de prendre en charge les grandes questions brûlantes de la société. Elles ne seront cependant résolues que dans le cadre d'un Etat de droit où le pouvoir réel sera exercé publiquement et sera assumé politiquement, ce qui signifie la rupture avec le régime rentier des prédateurs des richesses et des symboles. La mobilisation civique en Kabylie inaugure cette rupture tant attendue ; il faut espérer que le mouvement sera suivi dans les autres régions du pays où il y a le même potentiel démocratique, à condition de neutraliser les extrémistes pour opérer une transition pacifique vers la démocratie. Hier, la Kabylie était à l'avant-garde du combat national ; aujourd'hui, elle est à la pointe du combat démocratique. C'est bon signe pour l'histoire future du pays, fier de toutes ses régions, et en premier de la Kabylie.

Lahouari Addi
Professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon,
Denier ouvrage : Les mutations de la société algérienne, La découverte, 1999

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 Lahouari Addi  nouveau
hacéne 2001-07-01 12:38:51 

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