Auteur: Sid-lakhdar
Date: 2003-03-02 10:57:15
Embrassez mon père, Monsieur Chirac…
J’ai appris que vous vous rendiez à Oran, ma chère ville, celle qui a vu naître mes premières illusions. Comme mon pays m’est interdit, et que vous y êtes reçu avec cérémonie, pourriez-vous embrasser mon père pour moi.
Ne lui dites pas que vous êtes Président de la république, il vous rétorquera que vous avez de mauvaises fréquentations. S’afficher avec un petit bonhomme qui fut baron d’un des systèmes les plus sanguinaires et corrompus, ce n’est pas tout à fait ce qu’il attendait du premier magistrat de cette France qu’il n’a connu que dans son imaginaire.
Ne lui dites surtout pas que vous êtes venu pour tendre la main à une démocratie en herbe. Et si vous vous y risquez, prenez bien soin de préparer une bonne raison pour laquelle son fils n’est pas près de lui.
Ne lui dites pas non plus que vous avez à cœur de promouvoir une certaine grandeur de la francophonie, lui qui a vu cette dernière traquée, broyée et pourchassée comme le « vulgaire valet de l’impérialisme occidental ». Et si ce ne sont pas les termes exacts, votre hote vous en rappellera la prose, lui qui l’a déclamée si souvent avec des arguments convaincants au point d’avoir coûté la vie aux plus septiques.
Il vous dira certainement à son tour combien ont été impénétrables les raisons du militantisme de son rejeton.
Dites-lui que la raison est que je l’aime et qu’aucun de ces engagements, si inattendus, n’est dénué d’une pensée à son origine modeste et à ses sacrifices pour que ses enfants aient une éducation et une instruction. Et c’est justement cette éducation qui me pousse à combattre ceux qui ont fait de ces jeunes des bêtes sanguinaires alors que leur place eut été sur les bancs de l’université. C’est aussi par fierté pour lui que je me refuse à ce que la communauté berbérophone soit spoliée de ses droits et humiliée au motif qu’elle est minoritaire. C’est enfin son image qui m’interdit de trouver excuse dans l’injustice faite au peuple palestinien pour justifier d’un antisémitisme exécrable et honteux.
Et c’est cet homme qui vous reçoit, Monsieur Chirac, qui symbolise tout ce pourquoi je ne reverrai plus jamais mon pays et mon père.
Lorsque vous approcherez d’Oran, par le hublot de droite, vous pourrez voir sur la montagne qui surplombe la ville, la vierge de Santa-Cruz, érigée pour éradiquer la peste qui s’abattit sur la ville et qui inspira admirablement le chef-d’œuvre d’Albert Camus. Hélas, elle n’a visiblement rien pu faire pour éradiquer une peste couleur « treillis » qui s’est abattue sur ma génération pour détruire toute vie et toute espérance en cette terre algérienne.
Embrassez mon père pour moi, Monsieur le Président.
SID-LAKHDAR Boumédiene.
Enseignant.
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