Auteur: Amirouche
Date: 2001-05-26 14:30:07
Lu dans le quotidien El-Watan du 26/05/01
Les comités gagnent du terrain
Les travaux de la coordination des aârchs, des daïras et des communes
qui se sont déroulés jeudi dernier à Tizi Ouzou ont débouché sur un
«appel national» à la solidarité pour mieux consolider les assises de
cette organisation.
Les délégués, qui ont travaillé de dix heures du matin jusqu’à
vingt heures, ont ressenti l’urgente nécessité de donner un
nouvel élan à la coordination. Des contacts ont été pris par
les membres des comités de Tizi Ouzou avec des
représentants de la société civile des wilayas de Béjaïa,
Bouira et Alger. Des délégués de Béjaïa, d’Amizour et de
toute la vallée de la Soummam, de Staouéli et de Aïn Benian
ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt et annoncé leur
participation en attendant d’autres confirmations. Cette
réunion de concertation se tiendra le premier juin dans la ville
de Tizi Ouzou et décidera des mesures à prendre pour
organiser une action dans la capitale. Le principe d’une
marche à Alger a été retenu lors de la rencontre d’Illoula
Oumalou du 17 mai dernier. L’autre sujet qui a retenu
l’attention des intervenants est le report de l’examen du
baccalauréat. La décision du gouvernement d’organiser cet
examen déterminant pour l’avenir des candidats le 28 juillet
pour la Kabylie a mis le feu aux poudres. La coordination qui
considère cette date comme «une réponse diabolique et
inacceptable du pouvoir (…) exige le maintien de la date du
baccalauréat national du 9 juin et l’ouverture d’une deuxième
session pour le mois de septembre sans conditions». Une
demande d’audience a été adressée par les membres de la
coordination au chef du gouvernement pour étudier la
question ainsi que d’autres, surtout que des blessés et des
morts ont été dénombrés ces derniers jours dans la région,
suite «aux provocations dans l’ensemble des localités de la
Kabylie, initiées par les forces de la répression (gendarmerie,
CNS)», relève-t-on dans la déclaration de la coordination des
aârchs, des daïras et des communes. La dénonciation des
tentatives de la mainmise des partis politiques et de leurs
satellites sur le mouvement de la contestation a été réitéré
lors de cette rencontre. L’allusion est faite au parti du FFS et
du mouvement berbère, tendance RCD, qui ont chacun
négocié avec des membres du gouvernement. Confortée par
le retentissant succès de la marche de lundi dernier à Tizi
Ouzou qui avait drainé plus de 500 000 manifestants, la
Coordination appelle à la prise de conscience «pour déjouer
la manipulation et les tentatives allant dans le sens de briser
l’élan de la dynamique citoyenne et l’organisation de la
société civile». Un délégué a même proposé d’installer un
bureau permanent de la Coordination qui s’exprimera en son
nom pour «fermer les portes devant les assauts qui viennent
de toutes parts contre l’organisation des aârchs, daïras et
communes.» L’assise populaire sur laquelle repose cette
Coordination et sa capacité de mobilisation font de celle-ci
une force de propositions incontournable. La possible
rencontre avec le chef du gouvernement réussira-t-elle à
apaiser la tension ? En tout cas, les positions se sont
radicalisées. La question est portée devant l’opinion publique
internationale par le biais des ONG. Certaines de celles qui
devraient participer au festival international de l’étudiant et de
la jeunesse d’Alger ont été saisies pour boycotter les
activités. L’équipe de la JSK qui participe à la coupe de la
CAF est porteuse d’un message dénonçant la répression du
pouvoir d’Alger. Les joueurs devraient également évoluer sur
le terrain avec des brassards noirs en signe de deuil.
Par Said Gada
Le pouvoir : dépassé ou calculateur ?
Si le pouvoir politique laisse les émeutiers et les forces de police seuls,
face à face, c’est qu’il est dépassé, n’ayant aucune réponse politique à
proposer. Ou, autre hypothèse, c’est qu’il prépare un plan de
neutralisation du mouvement où la répression pure et simple n’est pas
exclue.
La Kabylie s’enfonce de plus en plus dans une violence qui semble s’installer
dans la durée. Deux protagonistes sont face à face : la population et les services
de sécurité qui s’affrontent épisodiquement, souvent avec une violence inouïe.
Les traditionnels «cadres» d’encadrement et de mobilisation que sont les partis
RCD et FFS ont «sauté», y compris le MCB (les deux tendances) auxquels, un
moment, se sont substitués les comités de villages, vite apparus, mais vite
disparus, leur sphère d’intervention n’ayant généralement pas dépassé le stade
de l’approvisionnement des populations et des appels au calme. Il manquait
l’interface essentiel qu’est le pouvoir politique. Après la visite en Kabylie du
ministre de l’Intérieur et la création par le chef de l’Etat d’une commission
nationale d’enquête, aucune décision d’envergure n’est intervenue depuis le jour
de la mort du jeune Massinissa, excepté une certaine réorganisation dans la
région du corps de la gendarmerie. Aucune autorité politique ne s’est, après
Yazid Zerhouni, rendue sur les lieux. Les observateurs sont partagés aujourd’hui
sur les motivations réelles du pouvoir. Une partie d’entre eux n’exclut pas
l’incapacité des hautes autorités politiques à apporter les réponses attendues
d’elles, en premier la constitutionnalisation de la langue amazighe, en second la
prise en compte «prioritaire» de l’état de délabrement quasi total de la Kabylie au
plan social. Si d’autres régions du pays partagent le même sinistre sort, elles
n’ont pu l’exprimer par le recours à la rue. La Kabylie est de tradition une région
frondeuse, extrêmement sensible, dont les jeunes sont totalement immergés
dans la culture Matoub Lounès, de révolte et de contestation. Bouteflika a rejeté
l’officialisation de la langue amazighe, dès son arrivée au pouvoir, probablement
par sous-estimation de la force de la revendication, certainement par calcul
politique, pour éviter de s’aliéner les partis islamo-conservateurs de la coalition,
fortement hostiles à tout «compagnonnage» avec la langue arabe dans la
Constitution. Un calcul politique qui a frustré la Kabylie. Pourtant, lors de
l’assassinat de Matoub, elle l’a une nouvelle fois clamé avec violence, mais le
message est resté sans échos. Le pouvoir a persisté dans son attitude qui a
fatalement produit l’incendie d’aujourd’hui, l’étincelle étant la mort du jeune
lycéen dans un groupement de gendarmerie. Et si, relèvent d’autres
observateurs, le pouvoir ne voulait rien entendre des revendications de la Kabylie
et prépare en ce sens un plan pour stopper, y compris par la poursuite de la
répression, le recours à la rue ? Ce qui fonde cette hypothèse, c’est l’hostilité
«historique» du système (bâti par le parti unique) à tout ce qui s’apparente au
berbérisme, considéré comme attentatoire à «l’unité arabe» : l’idéologie qui a été
fondée sur ce rejet a imprégné non seulement les programmes politiques actuels
des partis islamo-conservateurs mais toute une génération d’hommes politiques,
certains issus de la guerre de Libération nationale.
Le rejet du «berbérisme», concept fourre-tout, a été érigé en «constante
nationale», donc sacralisé. Rien n’exclut que Bouteflika ne baigne dans cette
culture du rejet et que dans le sillage de son «jamais» à Tizi Ouzou, il ait choisi
la répression, ce qui pourrait expliquer son mutisme et l’absence de toute
initiative politique d’envergure de sa part en direction de la Kabylie. Certains
observateurs enfin établissent un lien entre le «pourrissement» de la situation en
Kabylie et la guerre au sommet du pouvoir. Pour provoquer la chute du président
de la République, des clans pourraient empêcher l’émergence de toute solution
politique afin de laisser faire le pourrissement et favoriser l’émergence d’un 5
Octobre bis. Enfin, pour que soit crevé une bonne fois pour toutes l’abcès
kabyle, d’aucuns mettent en avant la solution de «l’autonomie» de la région ou la
solution des «autonomies» des régions, souhaitant un large débat sur cette
question, au vu des expériences des pays européens.
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