Auteur: hend
Date: 2002-03-13 00:17:56
“Le Kabyle doit militer pour la Kabylie”
Le 05 juin 2001, Ferhat MEHENNI, dans une conférence de presse à Tizi-Ouzou annonce la naissance du MAK (Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie).
Depuis, beaucoup de choses ont été dites sur ce sujet, mais aussi des questions restent posées.
A travers cet entretien que l’initiateur du MAK nous a accordé en nous recevant chez lui à Azazga, nous avons tenté d’aborder avec lui tous les aspects qui demeurent “flous” pour beaucoup de citoyens au sujet de l’Autonomie.
IZURAN : Vous étiez à la tête du MCB (Mouvement Culturel Berbère) - un mouvement se voulant de dimension nationale - et maintenant, vous dirigez un mouvement de dimension régionale : le MAK. Qu'est ce qui a motivé ce changement "d'arme" dans votre parcours de militant ?
Ferhat MEHENNI : Le MC B était de dimension kabyle aussi bien du temps de la clandestinité de l'ère du Parti unique en Algérie que de celui de l'ouverture démocratique. Ce sont les partis politiques qui s'en sont saisi depuis 1989 qui en ont fait des ailes "nationales" pour mieux masquer leur propre ancrage limité qui demeure à ce jour régional. Les contorsions et l'écartèlement des mots ne traduisent que des aspirations contrariées par la réalité têtue du terrain. C'est là un prisme déformant, une illusion d'optique à laquelle nous n'avions pas pu échapper. C'était un héritage du trouble de la vision qui remontait à 1926, à la création de l'Etoile Nord Africaine par des Kabyles à la conception politique floue. D'un côté, ils s'étaient fixé comme objectif l'indépendance de toute l'Afrique du Nord sous domination française, de l'autre, ils ne devaient ni s'assumer en tant que Kabyles ni même postuler au leadership de leur propre organisation, qu'ils confièrent à Messali qu'ils avaient été spécialement chercher. C'était l'apparition du syndrome kabyle qui continue à ce jour de faire des ravages dans notre classe politique: Epouser toutes les identités et toutes les causes du monde, mais jamais les nôtres, qui nous apparaissent comme, instinctivement, honteuses, manquant de noblesse.
Le MAK vient d'y mettre un terme. Le Kabyle doit militer pour lui-même d'abord, avant de le faire pour les autres. Les idéologies qui nous ont, jusqu'ici, mobilisés sont d'un degré d'universalité inférieur à notre kabylité, à notre existence en tant que peuple kabyle qui, dit en passant, a plus besoin de la solidarité des autres que ceux-ci de nous. Ce qui motive ce changement dans notre parcours militant est, surtout, le Printemps noir 2001. Nous avions réalisé brusquement combien nous étions seuls dans le malheur auquel nous étions confrontés. Aucune région du pays, aucun parti politique n'a été solidaire avec nous, ni n'a condamné les massacres perpétrés par le pouvoir en Kabylie durant plus d'un mois et demi. Personnellement, j'ai eu à dénoncer ne serait-ce qu'au travers de mes chansons les tueries et les injustices dont ont été victimes les Algériens depuis 10 ans. Pour la Kabylie, il y a "lâchage" en termes de solidarité par la Nation algérienne. Les sinistrés de Aïn Temouchent ont eu un téléthon, ceux des inondations de Bab El Oued ont eu un autre et des dédommagements immédiats ont eu lieu avec une mobilisation nationale et internationale conséquente. Nous nous en félicitons. Mais les sinistrés kabyles d'Aït Wertilan sont depuis trois ans laissés pour compte, abandonnés par tous. Les morts qui sont nos martyrs et les blessés du Printemps noir 2001 n'ont eu droit à la télévision algérienne qu'aux insultes et à l'anathème. Le sang versé par la jeunesse kabyle pour son droit à la vie, au respect et à un avenir de dignité où ils auront le droit de se réaliser en kabyle loin de tout complexe et de toute aliénation, nous a brusquement ouvert les yeux sur une histoire et une réalité répressives de notre kabylité. Dorénavant, il n'y aura d'avenir en Algérie pour les Kabyles qu'en kabyle et en Kabylie. L'autonomie de notre région est désormais inscrite dans le programme de l'Histoire.
Cela n'exclut pas que les Kabyles puissent vivre en dehors de la Kabylie ni que les non Kabyles vivent heureux parmi nous dans notre région dans le respect de chacun.
IZURAN : Peut-on comprendre par-là que le MCB est arrivé à sa fin de mission ou ceci est dû au manque de perspectives ?
F.MEHENNI : Le MCB a écrit de glorieuses pages de notre Histoire. La création d'un parti politique sur la base des "assises" de ce mouvement, puis sa mise sous tutelle par une autre formation politique lui ont fait perdre son âme et son autonomie. J'assume pour ce qui me concerne, ma part de responsabilité dans ce triste devenir mais il y a lieu de dire que tout le monde, y compris ceux qui ne croient pas avoir failli en la matière, est impliqué de près ou de loin dans son émiettement, voire sa dérive.
Le MCB avait par ailleurs pour mission de faire de Tamazight une langue nationale et officielle en Algérie et dans les pays nord-africains. Cet objectif, 20 ans après le Printemps berbère, n'a pas été atteint au moment où nous réajustons le tir, la trajectoire de notre combat sur l'autonomie de la Kabylie en tant que phase prioritaire. Les forces de la Kabylie ont le devoir, aujourd'hui, de se réunifier autour des objectifs de l'autonomie de notre région, de se regrouper tous et toutes au sein du MAK. Nous avons le devoir de taire toutes nos divisions, nos inimitiés et nos ressentiments personnels des uns envers les autres pour devenir une force politique et pacifique victorieuse.
IZURAN : Dans vos déclarations, un nouveau concept est apparu ; vous parlez de "langue kabyle". Dans ce cas, la revendication de Tamazight langue nationale et officielle est-elle pour vous un leurre ?
F.MEHENNI : Il nous apparaît, aujourd'hui, évident que dans le cadre d'un Etat central comme celui qui nous réprime depuis 40 ans, Tamazight ne pourra jamais être dans sa pratique, une langue nationale et officielle. Le HCA (Haut Commissariat à l'Amazighité) en est l'illustration la plus édifiante. Dans le sillage du pouvoir en place, les arabophones nationaux font de la question des langues un enjeu de pouvoir. Pour eux, si Tamazight venait à être officialisée, ce seront les Kabyles à qui l'on ouvrirait les portes des cieux, à qui l'on confierait le destin algérien. Ils n'en veulent pas.
D'un autre côté, Tamazight, de manière générique, est un reliquat de la vision des militants de l'Etoile Nord Africaine et du Mouvement National, de Ali LAÏMECHE, Ouali BENNAÏ... Une vision généreuse et optimiste basée sur la solidarité et le partage des épreuves et des victoires nationales, voire au-delà. Aujourd'hui, nous nous sommes rendus compte que pour aider Tamazight et les Imazighen, il y a lieu d'avoir un pouvoir institutionnel entre nos mains. Seuls les Kabyles par le biais de l'autonomie peuvent se donner, sur le plan juridique, une puissance d'Etat à même de mobiliser les ressources nécessaires à l'épanouissement de cette langue supra nationale. Il nous faut donc revenir au point de départ : le Kabyle. Le kabyle est la variété la plus la plus importante de Tamazight et le prendre en charge revient à la développer. Il n'y a pas antinomie ou contradiction entre les deux. En plus, chez nous, tout le monde connaît ce que c'est que le kabyle, tandis que Tamazight apparaît pour beaucoup des nôtres comme une langue nébuleuse, opaque, insondable, même si, tout un chacun a fini par y mettre sa part d'honneur et de noblesse qu'il faut par ailleurs sauvegarder à tout prix. Pour nous, le kabyle, en tant que langue, est le premier palier de la langue amazighe.
IZURAN: Parlons de l'autonomie. Depuis quand avez-vous eu cette idée en tête ? Ceci est-il dicté par les événements du Printemps noir sachant que l'idée était déjà avancée par Salem Chaker publiquement en 1998 ?
F.MEHENNI : Il faut saluer la perspicacité du Professeur Salem Chaker qui, dès l'ouverture démocratique, attirait notre attention sur l'illusion, voire l'erreur du FFS et du RCD de ne pas s'assumer en tant que partis kabyles. L'idée d'autonomie était en gestation. Il avait mûri sa réflexion et nous fit partager, en 1998, sa thèse sur l'autonomie linguistique avec un certain nombre d'intellectuels kabyles.
Ce sont les événements sanglants du Printemps noir 2001, le divorce consommé dans le sang par le pouvoir algérien d'avec la Kabylie qui nous ont fait franchir le pas vers une autonomie politique régionale. Mr CHAKER a publié, juste après, ses "réflexions sur l'autonomie de la Kabylie" que nous partageons.
IZURAN : Le moment que vous avez choisi pour lancer le projet d'autonomie vous a valu beaucoup de critiques de la part même des acteurs politiques et autres citoyens de Kabylie, comme quoi vous vouliez récupérer la révolte de la jeunesse. Avez-vous mesuré ce risque à ce moment-là? et qu'en est-il aujourd'hui ?
F.MEHENNI : Ceux qui nous reprochent d'avoir revendiqué pour la Kabylie un statut de large autonomie le 05 juin 2001 ont tort. Ils ne peuvent pas nous reprocher d'avoir eu du courage pour dire tout haut ce que chaque Kabyle espérait tout bas. Ils n'ont pas le droit de nous interdire notre liberté d'expression et notre liberté de conscience que révoltait le sang de notre jeunesse que faisait couler le pouvoir à flots. Ce que les acteurs politiques kabyles nous reprochent en réalité c'est le fait de soustraire la Kabylie à leurs marchandages politiques avec le pouvoir et de la mettre à l'abri de la violence dans une perspective historique qui ne prenne en compte enfin que ses intérêts en tant que région, en tant que peuple et non pas les intérêts des partis politiques et des carrières des politiciens. Ces acteurs politiques voulaient en fait plus de sang, plus de morts, plus de blessés et une installation de la violence et de notre douleur dans le temps dans le but illusoire d'étendre le drame à l'ensemble du pays pour, soi-disant, renverser le pouvoir. Importait peu, pour eux, que tout cela se soldat par un échec, l'essentiel c'était la manipulation de notre région pour des visées et des intérêts qui leur étaient propres. C'est révoltant et inadmissible pour nous que des politicards s'amusent avec nos vies comme aux jeux de hasard. Que chacun le sache : La Kabylie ne sera plus la chair à canon nationale. Elle a déjà trop donné. Le MAK veille.
Quant à l'accusation de récupération du "Mouvement citoyen" par nous, elle ne peut même pas nous effleurer. Notre rectitude morale nous interdit d'avoir une quelconque attitude répréhensible en la matière.
Mais puisqu'on y est, pourquoi ces acteurs qui se disent "nationaux" n'avaient-ils pas tenté de faire bouger Oran, Constantine, Djelfa... ? Pourquoi vouloir toujours à ce que ce soit la Kabylie qui meure ? Et peuvent-ils après le martyre de notre région et l'improbable renversement de régime, nous garantir que les successeurs de celui-ci ne seront pas pires que ceux qui sont au pouvoir aujourd'hui ? Trêve de naïveté et d'irresponsabilité. Nous étions à plus de 100 morts, des centaines d'handicapés à vie par balles réelles, des milliers de blessés au moment où nous avions proclamé la revendication d'autonomie. Si ce n'était pas le moment, qu'ils nous donnent alors les chiffres macabres qui seraient à même de nous légitimer.
Soyons sérieux ! C'est dans des moments révolutionnaires comme ceux du Printemps noir que les hommes dignes de ce nom assument leur responsabilité, transcendent les événements et proposent des solutions révolutionnaires. Imaginez que nous n'ayions pas parlé d'autonomie kabyle le 5 juin 2001 et que nous attendions le retour au calme pour le faire, cela apparaîtrait aux yeux de tous comme une proposition d'hurluberlus ; d'extraterrestres. On n'ouvre de parapluie que quand il pleut. Au Printemps 2001, il pleuvait des balles explosives sur nos enfants. Aujourd'hui, la Kabylie nous donne raison, tout comme l'Histoire.
IZURAN : Où situez-vous le projet "d'autonomie de la Kabylie" par rapport à "la refondation nationale" proposée par le RCD et "le régionalisme positif" préconisé par Aït Ahmed il y a quelques temps de cela ?
F.MEHENNI : Le RCD et le FFS souffrent, depuis leur naissance, de leur ghettoïsation territoriale ou sociolinguistique, de leur confinement dans les limites géographiques de la Kabylie. Même quand ils obtiennent des sièges électoraux en dehors de ses frontières, ils le doivent essentiellement à un électorat kabyle dans son écrasante majorité. Ils ne doivent leur condamnation nationale ni à leurs statuts ni à leurs programmes mais à leur composante humaine Kabyle qui fait office de repoussoir pour les autres Algériens. Nous rendons hommage à leur ténacité, leur générosité et leur ouverture sur les autres. Nous leur rendons grâce de nous avoir ouvert les yeux sur le fait que les visions et les voies nationales ne mènent qu'à l'impasse, à l'échec. Ils nous ont permis de tirer les leçons de leur histoire qui est aussi la nôtre. Ce sont les leçons de leur parcours qui nous confortent dans l'idée que la régionalisation positive ou modulable n'est qu'un autre avatar de leurs illusions nationales. Seule l'autonomie nous permettra de mettre nos enfants à l'abri des balles des gendarmes assassins, d'avoir notre école dans notre langue, notre ou nos télévisions, nos radios libres, nos lois basées sur le droit et non la scélératesse, d'amorcer notre décollage économique, technologique, etc... La régionalisation, quel que soit le vocable qu'on lui attribue, est une perpétuation de l'arabisation, de la loi des walis et des gendarmes, de la dictature de l'Etat central. L'autonomie régionale est une décolonisation institutionnelle des structures de l'Etat héritées du temps de la France.
IZURAN : Pour être plus explicite, comment définissez-vous le concept de l'autonomie spécifique à la Kabylie par rapport aux autres concepts de décentralisation connus de par le monde ?
F.MEHENNI : Il n'existe pas de modèle transposable n'importe où. Chaque peuple a ses spécificités qui sont autant d'aspérités irréductibles devant les modèles d'importation. Nous savons l'attrait qu'exerce sur un certain nombre de nos intellectuels, de nos cadres, le modèle espagnol. Certes, il est la preuve vivante que l'autonomie régionale n'est pas une menace à l'unité nationale mais au contraire son ciment. Toutefois, il y a d'autres exemples de par le monde, comme la Belgique, l'Italie, la Suisse, le Canada, l'Allemagne... dont nous voudrions tirer la quintessence, ce qui va avec nos valeurs et nos aspirations. L'autonomie de la Kabylie ne ressemblera à aucune autre de par le monde. Elle sera la résultante de notre histoire, de notre environnement socio-politique et culturel, de la nature du rapport de force à créer par nous face à l'Etat Central. Elle sera, aussi, dynamique. Les institutions de l'autonomie de la Kabylie seront le village autonome, le Arch, le Parlement et le Gouvernement locaux, tout en étant dans le parlement et le gouvernement algériens. Elles préfigureront une évolution du pays vers un Etat fédéral. Les domaines de compétences concerneront tous les secteurs de la vie à l'exception de la défense nationale, des affaires étrangères et de l'émission de la monnaie. Quant aux limites territoriales, elles ont été esquissées par l'ex-Wilaya III de la guerre d'indépendance ajustées aux réalités socio-linguistiques de la région.
IZURAN : On vous reproche le fait d'avoir lancé une telle revendication très sensible qui concerne toute la population kabyle sans aucune concertation avec les acteurs politiques, économiques, syndicats, industriels résidant en Kabylie et même en dehors de celle-ci...
F.MEHENNI : Nos acteurs politiques ont passé tout leur temps, depuis l'ouverture démocratique de 1989, à s'agresser mutuellement, à s'entre-déchirer, à diviser la Kabylie, y compris sur des questions de détails. Dès lors qu'ils ont du mal à se supporter à deux, pourquoi voudriez-vous qu'ils admettent l'encombrement du terrain par un troisième acteur qui, non seulement, de leur point de vue, va empiéter sur leurs plates-bandes mais aussi, du nôtre, va leur demander de renoncer à leur passe-temps favoris et comble de tout, se donner la main pour aller tous ensemble vers l'autonomie?
Or, l'autonomie, ils n'en veulent pas. Ils sont prisonniers d'intérêts et de schémas politico-idéologiques qui les empêchent de l'admettre. La seule chose sur laquelle ils sont d'accord aujourd'hui est de barrer la route à l'autonomie de la Kabylie.
De notre côté, nous restons sereins. Quelles que soient les calomnies, dénigrements et insultes de leur part à notre encontre, nous nous interdisons de les rejoindre sur un terrain où la moralité, le sens des responsabilités et la fraternité n'ont pas leur place. Nous nous interdisons d'insulter l'avenir, de compromettre des retrouvailles ; A quoi bon nous battre entre nous pour des intérêts du système et des maffias qui se disputent le pouvoir au sommet de l'Etat ? La Kabylie mérite mieux et ce mieux nous le lui offrirons. L'autonomie de la Kabylie, pour se réaliser, a besoin de tous les Kabyles.
Quant aux autres acteurs, nous en avons consulté certains, mais en cercle restreint. De toutes les façons nous n'avons fait qu'une proposition. Seul le peuple kabyle sera, en dernier ressort, le maître de son destin, aura le dernier mot.
IZURAN : Cela fait 10 mois que le MAK a été lancé. Comment évaluez-vous ce projet actuellement ?
F.MEHENNI: Le Mouvement pour l'Autonomie de la Kabylie n'est pas un parti politique. C'est un mouvement populaire qui se dote de structures à même de lui conférer l'efficacité dans son action pour arriver à l'autonomie de notre région. Un Parti a pour objectif le pouvoir, arracher des majorités aux élections à tous les échelons. Ce qui l'intéresse, ce sont des postes et des sièges électoraux. Le MAK ne présentera aucun candidat à quelque élection que ce soit. Il s'autodissoudra, une fois l'objectif atteint pour en faire un patrimoine historique de chaque Kabyle.
En 10 mois, nous sommes très fiers du chemin parcouru. Toutes les réticences dues à l'incompréhension, aux amalgames que d'aucuns avaient essayé d'entretenir entre l'autonomie et la scission, ont été vaincues. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer, sans nous tromper que l'écrasante majorité des Kabyles est pour l'autonomie de notre région. Le MAK est rejoint chaque jour par de nombreuses nouvelles recrues, il se structure, il se dotera d'une charte quand il tiendra son congrès constitutif vers la fin juillet 2002 si, d'ici là, tout va bien. Nous rappelons que nous avons besoin de l'adhésion de toutes les énergies pour mener à bien notre mission. Les responsabilités à tous nos échelons seront électives.
IZURAN : Avez-vous eu des contacts, même informels, avec de hauts responsables de l'Etat, des leaders politiques et des personnalités non kabylophones au sujet de l'autonomie?
F.MEHENNI : Nous n'avons eu, jusqu'ici, aucun contact ni avec les hauts responsables de l'Etat ni avec des leaders politiques. Par contre, nous avons rencontré quelques personnalités non kabylophones qui souhaitaient des éclaircissements sur notre démarche. Nous restons disponibles vis-à-vis de tous pour un dialogue sincère et transparent.
IZURAN : Si l'on parle de faisabilité. Comment envisagez-vous mettre en application ce projet en matière économique notamment ?
F.MEHENNI : L'autonomie de la Kabylie n'aura aucun sens sans le pouvoir de l'initiative économique. Notre région a d'énormes potentialités qu'elle ne manquera pas de mobiliser pour amorcer son décollage économique. La recherche universitaire dans le domaine des sciences et de la technologie participera à son essor qui en plus des industries faciles à implanter sur son territoire, sera l'œuvre du tourisme culturel, de l'oléiculture, de l'exploitation du liège, des ressources halieutiques, hydriques...
Pour le moment, la Kabylie est rackettée par le pouvoir. Au lieu de la financer, il la pille. Nous mettrons un terme à cet état de fait et établirons avec l'Etat central des relations fondées sur l'équilibre mutuel qui prend en compte d'abord les intérêts de la Kabylie.
Mais en gros, tant que nous n'avons pas le pouvoir de décision économique, tant que celui-ci restera entre les mains d'un gouvernement algérien préoccupé par d'autres problèmes que les nôtres, nous stagnerons, et nous régresserons.
Ce pouvoir de décision se trouve dans le "pack" de l'autonomie.
Nous restons confiants en la capacité de nos compétences à dynamiser en un temps record l'économie de la Kabylie. N'oublions jamais que la première richesse d'un pays ce sont d'abord ses femmes et ses hommes et non ses richesses naturelles. C'est l'homme qui crée la richesse et non l'inverse.
IZURAN : Sachant que le mouvement citoyen, pourtant porté par toute la population de Kabylie, n'arrive pas à faire satisfaire, jusqu'ici, la plate-forme d'El Kseur après moult mobilisations. Ne pensez-vous pas que vous serez confronté aux pires difficultés pour faire admettre l'autonomie vis-à-vis du pouvoir central. Dans ce cas de figure, quels sont les moyens que vous allez mettre en oeuvre pour faire aboutir votre projet ?
F.MEHENNI : Le mouvement citoyen Kabyle n'arrive pas à faire aboutir la plate-forme d'El-Kseur à cause, entre autres, de la lourdeur de ses processus de décision et de l'instabilité chronique des rapports de force qui le travaillent. Ce mouvement qui fait de l'autonomie sans le savoir et pour la fermeté duquel nous rendons un vibrant hommage, finira un jour ou l'autre par dépasser les 15 points de la plate-forme en versant dans la même revendication que nous. Nous nous enrichirons de nos apports mutuels et serons ensemble plus forts face à l'Etat central qui n'aura pas d'autre choix que de négocier avec d'authentiques représentants de l'autonomie kabyle.
Les moyens à mettre en oeuvre sont :
- la pétition qui circule déjà, mais pas encore assez, en faveur de cette autonomie ;
- le rejet de toute élection en Kabylie dont les objectifs visent à perpétuer ce système ;
- le référendum en Kabylie en tant qu'ultime étape pour l'expression de la souveraineté populaire sur cette question.
Entre temps, il y a lieu, après chaque élection rejetée, de mettre sur pied les instances palliatives, citoyennes qui préfigureront les institutions de l'autonomie. Par exemple, après le rejet des municipales, il y a lieu de faire fonctionner la commune par le ârch dans lequel chaque village ou chaque quartier est représenté. Pour l'APW (Assemblée Populaire de Wilaya), ce sera ce qu'on appelle actuellement l'intercommunale qui prendra sa place. Quant à l'APN (Assemblée Populaire Nationale), ce sera une forme plus élaborée de l'actuelle inter-wilaya des ârchs
Tenir ainsi tout en restructurant notre école, notre environnement et notre mode de fonctionnement jusqu'à ce que le pouvoir négocie avec nous. Nous sommes sûrs de réussir.
IZURAN : Dans le cas où il y aura un bras de fer avec le pouvoir central, comment éviter l'impasse? Avez-vous pensé à la communauté kabyle qui réside en dehors de la Kabylie qui serait "menacée", selon votre expression dans "Algérie-Interface" ?
F.MEHENNI : Nous avons une mobilisation populaire, relayée par les médias nationaux et bientôt étrangers, une action diplomatique qui ne manquera pas d'amener des pays amis à offrir leurs bons offices pour dénouer le bras de fer etc… C'est dans ce sens que nous nous sommes déjà rendus à l'ONU, à Genève le 12 novembre 2001 et que nous avons écrit au Secrétaire Général de l'OTAN ; nous continuerons à consulter tous ceux, amis de l'Algérie, qui nous veulent du bien, intéressés par la stabilité socio-politique dans cette région du monde. En cas d'impasse, donc, nous recourrons à des intermédiaires de bienveillance et de conciliation. Notre démarche sera toujours politique. Si, malgré cela, le pouvoir ne veut pas céder, nous recourrons à l'arbitrage des instances internationales. Quant aux Kabyles en dehors de la Kabylie, je ne pense pas qu'ils puissent être l'objet de quelque menace que ce soit. Ma conviction est que, passée cette période d'incompréhension, les algériens finiront par avoir de la sympathie à notre endroit et non de l'animosité. Ils comprendront bientôt que nous voulons faire la Kabylie pour refaire l'Algérie sur la base du respect de la personne humaine, de nos libertés sacrées et du respect de nos différences qui seront alors des atouts et non des handicaps comme le leur a toujours dit le pouvoir en place depuis quarante ans.
IZURAN : Un des argumentaires que vous avancez à travers vos déclarations est le fait que la Kabylie s'est sacrifiée plus qu'il en faut pour l'Algérie. Et vous avez même déclaré dans une récente interview sur le site "Kabyle.com" que "l'Algérie est la fille de la Kabylie". Peut-on avoir plus d'explications ?
F.MEHENNI : C'est là l'une de nos réponses à tous ceux qui, injustement, nous accusent de séparatisme. On ne renonce ni à ses parents ni à ses enfants. Sans dénier aux autres régions d'Algérie la part de leur combat, de leurs sacrifices pour l'indépendance nationale, la Kabylie est celle qui en a payé le prix le plus fort. C'étaient des Kabyles qui étaient à l'origine de la création du premier mouvement politique indépendantiste en 1926 et c'étaient eux qui l'avaient toujours massivement porté. En 1949, sur 14.000 militants, 11.000 étaient des Kabyles, soit plus de 78%. Le 1er Novembre 1954 c'était Ouamrane qui avait envoyé des djounouds de notre région vers d'autres pour tirer, à minuit, la première cartouche annonçant le déclenchement de la lutte armée pour l'indépendance de l'Algérie.
Le congrès du FLN, le premier en son genre, qui avait donné naissance à l'Etat algérien et au GPRA, s'était tenu en Kabylie (le Congrès de la Soummam) et non pas ailleurs, etc… Enfin, le nombre de martyrs kabyles est, à l'indépendance, supérieur à l'ensemble national.
IZURAN : A propos de la reprise du service par les gendarmes épaulés par l'armée, vous avez déclaré sur "Kabyle.com" que "s'il y a occupation militaire, l'autonomie tombera d'elle-même en désuétude pour plus que cela". Que voulez-vous insinuer à travers ces propos?
F.MEHENNI : Les Kabyles vivent une répression permanente depuis 40 ans. Tant que le pouvoir en place avait bénéficié de l'appui de l'un des camps qui animait la guerre froide, notamment l'URSS, la dictature militaire pouvait se permettre ce qu'elle voulait sans avoir à rendre compte ni à ses protecteurs ni, encore moins, à son peuple. La Kabylie était, et reste de par les événements que nous vivons depuis près d'un an, l'abcès de fixation du système. Il est évident qu'en ces temps de mondialisation, de l'universalité des valeurs et des droits, les solutions aux problèmes politiques ne sont pas militaires. Si, par malheur, un irresponsable à la tête de l'Etat viendrait à impliquer l'armée, cette institution noble chargée de nous défendre contre des terroristes et des envahisseurs, dans la gestion du conflit pacifique qui l'oppose à la région, il ferait naître en chaque Kabyle un sentiment de rejet tel qu'il ne se reconnaîtrait plus dans cette mère patrie qui, après l'avoir nié dans sa langue et son identité, irait l'exterminer. En fait, l'autonomie est la meilleure façon de stabiliser la Nation et de construire un avenir de liberté et de solidarité pour tous les Algériens.
IZURAN : Pensez-vous que la Kabylie entière pourra adhérer à votre projet sans l'implication des deux principaux partis politiques implantés en Kabylie, le RCD et FFS ? Alors peut-on s'attendre à un "pacte pour l'autonomie" de toutes les forces kabyles ? Etes-vous prêt à engager des contacts avec ces forces ?
F.MEHENNI : Nous souhaiterions que tout le monde s'implique de manière positive dans ce projet. Nous ne fermons pas la porte du dialogue à personne. "Un pacte pour l'autonomie de la Kabylie" serait l'idéal mais à la condition que les divers partenaires ne viennent pas transposer leurs querelles intestines parmi nous. Nous sommes prêts à engager les contacts avec non seulement les partis Kabyles mais aussi les syndicats, le monde associatif, le mouvement citoyen et les personnalités qui le désirent. C'est là un appel de notre part à tout un chacun.
IZURAN : Avez-vous pensé à un support médiatique propre au MAK ?
F.MEHENNI : Il y a tellement de médias en qui nous avons confiance, en qui nous croyons et qui, au moins par déontologie, nous ouvrent leurs colonnes que nous ne sentons pas le besoin pour le moment de créer notre propre support, surtout après l'échec de tous les journaux partisans. Nous aurons à créer un lien médiatique interne au MAK et mettrons sur pied, bientôt, un site web dont l'adresse est : www.M.A.K.ca-ct où l'information sur nos activités, nos positions et nos projets, seront disponibles.
IZURAN : Des projets sur le plan artistique ?
F.MEHENNI: Je n'aime pas mélanger les genres. Nous venons de faire une interview politique et je souhaite m'arrêter là. Lorsque mon dernier album paraîtra en ce mois de mars, nous reviendrons sur cet hymne à la Kabylie.
IZURAN : Les élections législatives sont fixées pour le 30 Mai 2002. Quelle la position du MAK?
F.MEHENNI: Le MAK appelle la Kabylie à les rejeter, ne pas y participer. Elle n'a rien à y gagner. Si l'on voterait, il faudrait dire adieu à la plate-forme d'El Kseur, tourner le dos à nos martyrs et nous replonger dans ce que nous refusons depuis Avril 2001. Je ne pense pas qu'un Kabyle digne de ce nom en soit capable.
Les élections ont pour objectif de renforcer le système en place et de relégitimer ce pouvoir assassin de nos enfants, de notre identité et de nos libertés. Pendant les dramatiques événements du Printemps noir, ni les maires ni les membres des APW ni les députés de la région n'ont rien pu faire du fait de leurs pouvoirs ou de leur statut. Pire, nos députés n'avaient même pas eu la décence de démissionner, ce que leur conscience aurait dû leur dicter devant tant de sang, de martyrs et de souffrances Kabyles. Leurs salaires, pour mirobolants qu'ils puissent être, étaient-ils plus importants que la vie de nos enfants, de notre douleur et de notre honneur ? Vont-ils nous expliquer aujourd'hui qu'ils ne l'avaient pas fait parce qu'ils étaient les élus de leur parti et non ceux de la Kabylie? Au nom de quel principe et de quelle morale ces partis justifieront-ils ce refus de démission au moment où l'histoire l'exigeait en tant que devoir envers les leurs ?
Il faut que la Kabylie rejette et ces échéances du 30 mai et toutes celles qui vont suivre, jusqu'à ce que celle-ci soit entièrement autonome. Un autre horizon, une autre page de notre histoire seront alors ouverts sur un avenir fait de liberté, de justice, de démocratie, de solidarité nationale et de respect entre les peuples d'Algérie et d'ailleurs.
IZURAN : Que représente pour vous IZURAN ?
F.MEHENNI : Ses artisans ont énormément de mérite pour avoir pu tenir si longtemps avec de si faibles moyens et d'en avoir fait évoluer le format et la qualité, renforcé sa consistance qui en fait un média, aujourd'hui, tout à fait professionnel. Il me semble, comme mon futur album, dédié entièrement à la Kabylie. C'est l'une de nos fiertés actuelles qui, j'espère, le restera pour toujours. Qu'il dure!
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