Auteur: tseriel
Date: 2001-08-26 22:03:41
Le professeur André Mandouze à la Tribune
«Saint-Augustin est le plus illustre des Algériens»
Mercredi 21 Juin 2000
Malgré son âge avancé (84 ans), le professeur André Mandouze a gardé toute la vivacité de son esprit et est resté étonnamment
jeune. Erudit, théologien et théosophe, il est spécialiste de Saint-Augustin, le célèbre évêque de Annaba et d’origine berbère. Il fut
l’ami de la révolution algérienne et fut chargé par Mendès France d’une mission de bons offices auprès du FLN, au cours de
laquelle il a pu rencontrer Abane Ramdane et Larbi Ben M’hidi. L’homme est d’un humanisme attachant, il est revenu à Alger pour
discuter du colloque international sur Saint-Augustin qui se tiendra du 2 au 4 avril 2001 à Alger
Entretien réalisé par Larbi Graïne
La Tribune : Quel est votre sentiment suite à la décision des plus hautes autorités officielles d’organiser en Algérie un colloque sur
Saint-Augustin ?
André Mandouze ! C’est une chose très importante, la décision est d’une telle importance que c’est le président de la République
Abdelaziz Bouteflika qui en a pris l’initiative. Cela veut dire que l’Algérie assume toute son histoire, trop longtemps niée. La faute
incombe en partie à la colonisation, les Algériens ont donné l’impression que pour pouvoir récupérer leur identité, ils devaient en
quelque sorte ne pas parler de ce que le pays a vécu avant de reconquérir son indépendance. C’était déjà une grande initiative que
d’avoir organisé le millénaire d’Alger dont le père fondateur, Ben Mezghena, est amazigh. Je reconnais les difficultés politiques du
berbérisme dues, en grande partie, à la colonisation. Du temps de Saint-Augustin, on pouvait être Algérien sans être musulman
puisque l’Islam n’était pas là et on pouvait être Algérien sans parler arabe puisque les Arabes n’étaient pas encore là.
Saint-Augustin est le plus illustre des Algériens qui n’ait jamais existé.
De quelle façon le colonialisme a pu desservir la cause berbériste ?
Un certain berbérisme, une façon de diviser les Algériens, de les opposer les uns aux autres, qui s’inscrivait dans cette tactique
vieille comme le monde : diviser pour régner. Voyez-vous, aujourd’hui, on part à la recherche de la berbérité sous la coupe
conjointe et du Haut Conseil islamique, présidé par Abdelmadjid Meziane, et du Haut-commissariat à l’amazighité de Idir
Aït-Amrane
Si Saint-Augustin est connu pour être le père spirituel de la chrétienté et corrélativement de l’Occident, ne sommes-nous pas en
présence d’une forme de rapprochement de deux ensembles présentés de tout temps comme antithétiques ?
Le Maghreb est un des inspirateurs de l’Occident, c’est l’inverse donc qui s’est produit. Bien que Saint-Augustin ait vécu à
l’époque punique et donc ayant subi l’influence romaine, il reste un homme profondément algérien, à l’époque, on disait «Africain»,
vivant au sein d’une culture carthaginoise et berbère dont son œuvre s’en ressent. Bien que son père s’appelait Patricien, cela ne
prouve pas qu’il était latin comme le fait d’avoir aujourd’hui un prénom arabe ne prouve pas qu’on est Arabe. Sa mère portait un
prénom purement berbère : Monique, que les Latins ont largement adopté. Saint-Augustin est l’auteur de plus de 100 ouvrages, il
n’est pas né chrétien, il l’est devenu, en 33 ans de carrière de théologien, il a traversé les débats philosophiques, traversé le
manichéisme, doctrine qui lui est contemporaine, et la philosophie antique, le néoplatonisme, il a eu une influence dans sa région,
ensuite dans toute l’Afrique du Nord, il a beaucoup voyagé et il était appelé à faire des sermons, il a laissé aussi une importante
correspondance. Prêtre puis évêque d’Hippone (Annaba) à 35 ans, sa pensée touche à tous les problèmes essentiels : la liberté, la
charité, la vérité, son œuvre monumentale la Trinité a fait avancer la théologie.
Et le clivage Orient /Occident…
Cela me paraît simpliste, ce n’est pas ce qui résulte de la réflexion. Pourquoi est-ce qu’en dépit des crimes horribles commis par
les intégristes, ces derniers ont été battus. Il n’y a pas de frontières, ces andouilles ont voulu enlever les paraboles. Le FIS
(dissous) a été battu dès lors qu’il voulait empêcher les garçons et les filles d’aller à l’école, donc à la civilisation.
La France essaie de participer à la construction de l’Europe, celle-ci n’est pas encore assise ?
L’Europe se cherche. Ce qui s’est passé au Kosovo le démontre assez bien. Savez-vous quelle est la vedette de l’Europe ? C’est
la Méditerranée qui longe l’autre rive d’Afrique et qui est à une heure du Vieux Continent. Avant-hier a été signé à Alger un accord
entre l’Erythrée et l’Ethiopie. Si l’OUA arrive à faire la paix en Afrique, cela prouve quoi ? C’est que l’Algérie est la fenêtre de
l’Afrique. Dans les six mois à venir, la France va présider l’Union européenne. L’Europe ne peut se faire sans l’Afrique. Et l’Algérie
est au centre de tout cela. C’est pourquoi la visite que vient de faire le président Bouteflika est très importante pour la France.
Saint-Augustin ne disait-il pas, dans son œuvre-phare la Cité de Dieu, «le monde pèlerine à la recherche de son salut».
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