Auteur: amirouche
Date: 2001-03-04 19:38:42
La télé des Berbères
LE MONDE TELEVISION | 03.03.01 | 11h06
C'ÉTAIT il y a un an. Apprenant la création de Berbère Radio-
Télévision, le 1er janvier 2000, Fellag avait ainsi salué l'événement :
"C'est une surprise magnifique, une formidable nouvelle. Je n'ai
même pas eu droit au rêve de rêver d'une télévision berbère, je suis
anéanti. " Depuis l'humoriste est revenu plusieurs fois sur les
plateaux de la BRTV. Dimanche 4, il sera l'invité du magazine
littéraire " Awal " pour parler de son livre (Fellag, rue des petites
daurades). Il paraît loin le temps où il fallait porter chaque jour les
programmes à Cognacq-Jay. La diffusion se fait aujourd'hui à partir
des bureaux de la rue du Cherche-Midi (ce qui permet d'organiser
des directs avec la Kabylie). En quatorze mois, les Berbères
d'Oslo à Tamanrasset se sont approprié cette télé qui parle la
langue des ancêtres mais traite aussi des problèmes actuels, en
passant continuellement, naturellement, du kabyle au français.
Magazines " citoyens ", débats de société, histoire, portraits de
famille, d'artistes... Avec peu de moyens, Berbère Radio-Télévision
a réussi à imposer une démarche.
La BRTV compte environ 2 000 abonnés en France et 4 millions de
téléspectateurs en Algérie, selon le dernier rapport du Haut Conseil
de la francophonie. De l'autre côté de la Méditerranée, tous les
villages kabyles sont équipés d'une antenne collective. Ce sont les
associations, les municipalités ou même les willayas qui
cotisent... Aussi les médias commencent-ils à s'intéresser à ce
projet qui remue les coeurs des mamans berbères (il y a des
programmes pour tout le monde), de TF 1 à la troisième chaîne
nationale algérienne (francophone), de La Nation au Quotidien
d'Oran, jusqu'à un " Zapping " sur Canal+.
Longtemps étouffée, pour ne pas dire opprimée, la culture berbère
se voit enfin représentée, avec ses visages, ses voix connues et
anonymes. " Les gens s'identifient à la BRTV, constate Mustapha
Saadi, son directeur. Ils retrouvent leurs racines. "
Au départ de cette aventure, deux frères, Mohamed et Mustapha
Saadi. Le premier est expert-comptable, le second avocat au
barreau de Paris. Ils ne connaissent rien à la télé mais ils ont
découvert la puissance de l'image en soutenant financièrement le
film d'Abderrahmane Bougermouh, La Colline oubliée, en 1997.
Surpris par le succès de cette fiction berbère, les frères décident
de lancer une télévision pour leur communauté (et leur mère).
Juridiquement, ce n'est pas compliqué (pas besoin d'autorisation
du CSA pour une télévision par satellite). Ils réunissent des fonds
privés, fondent une SARL (dont le capital est passé de 50 000 F à
2 millions), constituent une équipe (dix salariés). " Mon frère a
continué son métier, moi j'ai arrêté le mien ", résume Mustapha
Saadi.
Ils ont dû tout apprendre : comment filmer, produire, communiquer,
déterminer une politique éditoriale. " On a choisi le concept de la
culture, de la citoyenneté et de l'humanitaire, explique Tahar Yami,
directeur des programmes . La culture au sens large, la culture
berbère avec son patrimoine très riche mais aussi la culture des
autres peuples et civilisations. " Des " Albums du Père Castor "
(doublés en berbère) aux productions propres comme " Galaxie ", "
Visages de femmes ", " Justice de France ", " De l'autre côté de la
mer ", ce qui se dessine, c'est la tentative de reformer des liens,
de constituer une mémoire, de valoriser ceux qui bougent, de
mettre en avant une société civile. Seul interdit, la politique, on n'en
parle pas. Un choix que tout le monde respecte d'instinct. Il n'y a
jamais eu de dérapage, même dans les débats en direct.
Catherine Humblot
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