Auteur: sh
Date: 2001-08-14 13:16:47
Déclaration
Si près de quarante ans après l'indépendance le moindre doute pouvait encore subsister sur la véritable nature du pouvoir algérien, les événements dramatiques que vit notre pays depuis plus de deux mois suffiraient à eux seuls à le lever définitivement. Assassinats en nombre, provocations, exactions diverses, manipulations, c'est le lot quotidien d'une population livrée sans défense à l'arbitraire d'un pouvoir de dictature incurable et foncièrement répressif.
Deux cents morts, plus de mille blessés, une centaine de disparus. Parce que des citoyens aux mains nues, des citoyens au pain nu, en Kabylie et dans d'autres régions du pays, ont manifesté pacifiquement et massivement pour revendiquer la plénitude de leurs droits, libérant du même coup la dynamique sociale et le champ politique.
Des morts, des blessés et des disparus qui viennent ajouter leur part de larmes, de douleur et d'enfer aux 200 000 victimes et aux destructions de toutes sortes d'une dizaine d'années de guerre menée contre les populations civiles.
Le bilan ne se réduit pas, cependant, à ces seules données macabres. Sous le prétexte fallacieux de " sauver la République " et de lutter contre le terrorisme islamiste, l'armée et le système politique algériens, en vérité motivés par leur seule survie, se sont maintenus illégalement et illégitimement au pouvoir à coups de coups d'Etat à répétition et d'élections truquées, après avoir dévoyé et corrompu à sa source le multipartisme institué en 1989.
Mais la responsabilité incombe aussi à toutes les forces que ce même pouvoir a réussi à mobiliser autour de lui pour créer et meubler l'écran de fumée destiné à tromper les opinions nationale et internationale : partis politiques soi-disant démocrates, progressistes et modernistes, islamistes du dimanche, intellectuels, journalistes, écrivains, artistes, philosophes français, milieux d'affaires, etc. Que d'hommes et de femmes, une fleur à la coiffe et la balle au canon, ont ainsi embarqué allègrement dans le bateau du soutien à l'armée et de la politique d'éradication !
Elle incombe également aux puissances étrangères et notamment occidentales qui, plus soucieuses de leurs intérêts économiques que du respect des droits de l'homme, ont apporté, sous des formes diverses, leur soutien au pouvoir algérien.
Les événements du printemps 2001 ont le grand mérite de remettre les pendules à l'heure et de recentrer la confrontation politique et sociale sur l'essentiel : la contradiction fondamentale et irréductible qui existe entre les intérêts du peuple tout entier et ceux d'un pouvoir de dictature fondé sur la corruption, la rapine et la manipulation.
Dans la conscience historique du peuple algérien, ces événements prolongent et rejoignent, par leur durée, leur ampleur et leur potentiel de rupture, les grands soulèvements populaires des 19ème et 20ème siècles contre la puissance coloniale. La répression du pouvoir rappelle et rejoint, quant à elle, la répression et les massacres perpétrés par cette même puissance.
Après avoir usé du fonds de commerce de l'anti-islamisme, le pouvoir tente aujourd'hui une nouvelle diversion avec la Kabylie. Les provocations des forces de sécurité ont entre autres objectifs celui de pousser, voire d'acculer la population et en particulier les jeunes à une rupture encore plus radicale : action armée, mouvements autonomistes et sécessionnistes, etc. Les premiers signes de cette stratégie sont déjà visibles sur le terrain : on parle ainsi d'un MKL (mouvement kabyle libre) qui sent on ne peut plus fort la patte et la manipulation des " services ". On assiste aussi, sur le terrain, au niveau régional comme au plan national, à un ballet de positionnements et de repositionnements en prévision d'une nouvelle configuration du paysage politique et d'une nouvelle redistribution de rôles.
Si la question on ne peut plus légitime de l'identité amazigh n'est toujours pas réglée, c'est parce que son non-règlement représente pour le pouvoir un fort potentiel de manipulation : cloisonner encore plus la société algérienne, opposer les régions les unes aux autres, spécialiser éternellement la Kabylie dans la seule revendication identitaire, éviter la jonction avec les autres revendications, etc.
Diviser pour régner. Le pouvoir tente de monter les autres régions du pays contre la Kabylie afin de justifier la répression, de circonscrire la révolte et d'éviter la contagion de celle-ci à l'échelle nationale.
Le pouvoir cherche une nouvelle fois à s'en sortir en tentant de neutraliser les unes par les autres les révoltes qui couvent et qui grondent dans tout le pays, en tentant également de neutraliser les véritables forces de l'opposition démocratique, de discréditer toute action politique, de discréditer la politique en général et de rejeter toute proposition sérieuse de sortie de crise. Le rêve, le projet du pouvoir serait-il celui d'un zéro-partisme qui laisserait le champ entièrement libre aux seuls partis du pétrole, du sucre et autres produits pharmaceutiques ?
L'opacité du système politique algérien n'est sans doute pas faite pour aider à connaître les véritables intentions de celui-ci. Mais, devant la situation actuelle, un des scénarios de sortie les plus probables serait celui d'un replâtrage interne, d'un ravalement de façade, d'une chirurgie esthétique qui sacrifierait quelques vieux rides pour sauver l'essentiel, avec, dans le meilleur des cas, une intention réformiste. Dans cette perspective, des promesses ou des concessions plus ou moins importantes pourraient être faites, à l'occasion du 5 juillet par exemple, dans le domaine social comme dans celui de l'identité amazigh.
Il convient ici, justement, d'en appeler à la vigilance de toutes et de tous. Ces promesses et ces concessions éventuelles, le pouvoir les fera passer pour des signes d'ouverture de sa part, mais aussi et surtout pour une victoire des seules structures villageoises qui ont encadré le mouvement de revendication sur le terrain, afin de tenter de discréditer encore plus l'opposition démocratique, de l'isoler et de la couper de la population. Mais nul doute que la population et les structures communautaires dont elle s'est dotée sauront une nouvelle fois faire preuve de la vigilance nécessaire pour déjouer les tentatives de manipulation, de récupération et de compromission qu'elles ne manqueront pas de rencontrer sur leur chemin.
Nous ne saurions, par ailleurs, nous satisfaire d'une pseudo-solution qui substituerait un cabinet gris de colonels et de commandants au cabinet noir des Milosevic algériens.
Pour nous, une solution honorable pour le pays ne saurait faire l'impasse sur :
- la vérité et la justice sur les massacres, les disparus, les tortures et les liquidations perpétrés depuis une dizaine d'années ;
- l'instauration d'un véritable Etat de droit ;
- le respect des libertés individuelles et collectives ;
- le respect des droits de la personne humaine ;
- un programme d'urgence dans le domaine social et une véritable politique de développement ;
- la reconnaissance pleine et entière de l'identité amazigh et la reconnaissance définitive de Tamazight comme langue nationale et officielle.
Nous condamnons avec force la répression que le pouvoir algérien exerce sur les manifestants, tout comme nous condamnons toutes les restrictions apportées à l'exercice des libertés individuelles et collectives.
Nous exprimons notre solidarité et notre sympathie aux familles des victimes et nous saluons le courage, la mobilisation, la détermination et la vigilance des citoyennes et des citoyens.
Nous appelons l'ensemble de nos compatriotes à poursuivre pacifiquement le combat de la dignité, de la démocratie, de la liberté et de la justice sociale.
Le Collectif pour une alternative démocratique en Algérie
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