Auteur: Hacéne
Date: 2001-08-03 16:34:28
STATUT DE LA LANGUE AMAZIGHE
Comment en faire une langue de pain ?
Cela passe par le biais du mécénat et du sponsoring.
Journal Liberté, le 22 mars 2001
Jusqu’à présent, seul le champ politique est investi, et cela, par plusieurs générations de militants. L’histoire du Mouvement culturel amazigh, depuis le groupe des Mohand Amokrane Khelifati, Mohand Heroui, Mohand Amokrane Haddag, Ouali Bennaï et autre Ali Laïmeche jusqu’aux enfants du boycott scolaire, en passant par les Mohamed Haroun, Mustapha Bacha et autres Lounès Matoub, les militants de la cause culturelle et identitaire amazighe ont payé un lourd tribut. Les matraquages, les arrestations, les tortures, les procès arbitraires, les exclusions, les emprisonnements… et jusqu’au sacrifice suprême, ont été le prix payé par ces militants. Résultat : le Mouvement culturel amazigh est en déliquescence, épuisé par les luttes intestines, un enseignement aléatoire pour une langue amazighe sans statut aucun, une revendication "pour une langue amazighe nationale et officielle", reléguée aux oubliettes. Voilà le tableau du champ de lutte politique. Il faut libérer notre culture et notre langue amazighes du carcan politique, du "monopole politique". Les militants et militantes, ceux et celles qui ont à cœur la promotion et la valorisation de la culture et de la langue amazighes, se doivent de se rapprocher de l’épicier du coin comme de l’industriel : c’est-à-dire du Pouvoir de l’argent. Le champ économique a été totalement ignoré. Conséquence : la société économique, du petit commerçant jusqu’à l’industriel, reste en marge, voire dans l’ignorance quasi totale de cette revendication culturelle. Dans le contexte actuel de libéralisme économique, la concurrence est le moteur central. Ce contexte nous – nous : producteurs et consommateurs – est favorable et nous invite à participer dans les enjeux. Comme dans une guerre – et il s’agit bien d’une guerre, sans merci, d’extinction de notre langue –, il s’agit en premier lieu d’identifier nos amis, nos alliés, c’est-à-dire, les amis de notre langue, ceux qui apportent leur soutien à notre langue et à notre culture. Ce soutien peut se faire par le biais du mécénat ou le sponsoring, à travers le soutien à l’édition de livres amazighs ou encore de production de films d’expression amazighe (par ex. Tawrirt ittwattun ). Toutes formes d’expression publique en amazigh (enseignes commerciales, affiches, étiquettes, etc.) constituent des adhésions à la promotion de la langue et culture amazighes et doivent, par conséquent, attirer notre attention et nous servir de référence dans nos relations commerciales privilégiées.
Partant de la noble notion qui dit que "le client est roi", le consommateur-militant usera de ses prérogatives "royales". À bon escient : tout achat fait sur la base de la raison culturelle est un encouragement, voire un investissement pour la préservation et le développement de cette même culture. Cela passe par l'instauration de nouveaux réflexes : "L’amazigh à l’école, oui ; l’amazigh dans le commerce, aussi." C’est une nécessité incontournable. À commerce ou produit égal, choisir celui qui affiche son adhésion, son amour de la langue et culture amazighes : dans le même esprit, le consommateur-militant pourrait, le cas échéant, boycotter tout produit ou tout lieu de commerce manifestant un quelconque indice négateur de la langue et culture amazighes. "Celui qui n’est pas avec moi est contre moi" : il n’y a pas de neutralité dans le commerce, il n’y a que de l’intérêt. Ainsi, il s’établira une sorte de contrat social mutuel entre les producteurs-militants et les consommateurs-militants. C’est à ce prix que notre langue et notre culture amazighes deviendront la langue et la culture de pain. Cette mutuelle reconnaissance ou cet échange de bons et loyaux services produira peu à peu son effet boule de neige, d’autres industriels et commerçants y adhéreront immanquablement jusqu’à ce que l’amazighité se fasse une place honorable dans l’environnement économique national. L’économie, l’industrie, le commerce en général et la culture sont les deux pieds d’un même corps. Vendre son fromage se confond avec vendre un conte. Qui dit économie dit argent et... l’argent c’est le nerf de la guerre qu’elle soit politique, économique ou culturelle.
Après avoir été un étendard, l’amazighité - menacée présentement de sclérose - doit devenir un étalon, un étalon par lequel nous reconnaîtrons nos amis et par lequel sera valorisée notre langue et notre culture.
En toute légitimité. Grâce à cette dynamique, la langue amazighe gagnera un statut social. Grâce à cela, la langue et culture amazighes pourront être des créneaux d’investissement directs (enseignement privé, éditions graphiques, audiovisuelles, télévisions et radios privées, tourisme, revalorisation des sites historiques, revalorisation et développement de l’artisanat...) et indirects (utilisation de la langue amazighe dans l’étiquetage et la communication publicitaire...) "Akken tasga attilli i tassa" : c’est-à-dire pour que ceux qui ont les moyens soutiennent ceux qui ont les idées, les artistes, les poètes, les écrivains, les chercheurs, les producteurs de la langue et culture amazighes. En tout bien, tout honneur, l’amazighité n’en sera que fière et reconnaissante à l’endroit de ses généreux militants. Pour que l’amazighité ne soit plus l’éternelle orpheline, l’éternelle cause seulement d’humbles citoyens et citoyennes qui n’hésitent pas à offrir jusqu’à ce qu’il ont de plus cher : leurs vies.
M.O. MEDJEBER
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