Auteur: al djazaïri
Date: 2001-07-02 09:43:59
Ce texte ne porte pas sur la situation de la langue arabe en Algérien, mais il n'est pas ans intérêt sur le rapport dialecte-littéral. D'autre part il vient en réponse à un enseignant de l'INALCO au sein duquel existe un "front" berbériste-arabe dialectal mené par S. Chaker et D. Caubet. L'INALCO vient de se voir retirer la responsabilité de l'épreuve d'arabe au baccalauréat.
Libération - Débats Le lundi 3 avril 2000
Il est faux d'affirmer que les dialectes arabes sont désormais exclus du baccalauréat. Comme il est faux de les opposer à l'arabe littéral, langue de la modernité et de l'islam.
Pour en finir avec les amalgames
Par JOSEPH DICHY
Joseph Dichy est professeur de linguistique arabe (université Lyon-II) et
président du jury d'agrégation d'arabe.
Les probabilités de voir naître sur le sol français une nouvelle langue
arabe détachée de ses arrière-plans linguistique et culturel sont proches de zéro. La vérité sur l'épreuve facultative orale d'arabe au baccalauréat doit être rétablie d'urgence, dans l'intérêt des candidats à ce diplôme, issus ou non de l'immigration maghrébine. Des contrevérités ont en effet été énoncées par Dominique Caubet, professeur d'arabe dialectal maghrébin à l'Institut national des langues et civilisations orientales (voir Libération du 14 mars). Cette campagne est de la plus extrême gravité, car elle porte atteinte à l'organisation nationale du baccalauréat. Elle constitue un préjudice réel pour les candidats intéressés par cette épreuve: découragés par la prétendue difficulté de celle-ci, nombre d'élèves ne s'y présenteront pas, même s'ils s'y sont inscrits, se privant ainsi d'un bonus auquel ils auraient droit (dans les épreuves facultatives, seuls comptent les points au-dessus de la moyenne). Les enseignants eux-mêmes, les proviseurs ou censeurs des lycées, peu au fait de la langue arabe, induits en erreur, risquent, en plus de ne pas bien informer les élèves.
Non, les dialectes arabes (orientaux ou maghrébins) ne sont pas exclus du baccalauréat. Non, l'épreuve optionnelle orale d'arabe au baccalauréat instituée par le Bulletin officiel n'impose pas de savoir s'exprimer, lire et écrire couramment en arabe littéral! Non, le ministère de l'Education nationale ne refuse pas de prendre en compte les acquis linguistiques
familiaux des élèves issus de l'immigration maghrébine, et ne refuse pas de valoriser leur culture populaire. Il offre à ces acquis, au contraire, une reconnaissance officielle dans le cadre du baccalauréat, comme d'ailleurs, et de longue date, dans les programmes d'arabe pour le collège ou le lycée.
Les notes de service du BO des 16 septembre et 6 janvier derniers sont rédigées de manière à permettre une évaluation des connaissances du candidat «en prenant appui sur (un) document» préparé à l'avance (8 à 10 pages de textes, comme dans toutes les épreuves similaires). Ces textes doivent comporter «une partie écrite en arabe littéral sans signes vocaliques», l'autre pouvant être en arabe dialectal, voire, pour l'année en cours, transcrite en caractères latins. Il est précisé que «l'examinateur évalue la pratique d'un arabe de communication» et que, «dans sa pratique orale, le candidat pourra s'exprimer dans le registre qui lui paraît le plus adapté, arabe dialectal, arabe littéral ou registre intermédiaire». Ainsi, une lecture malaisée de l'écriture arabe sera, de toute façon, compensée par le fait que l'élève aura préparé ses textes, et pourra s'exprimer dans la variété d'arabe de son choix. La nouvelle épreuve offre donc bien aux candidats s'exprimant dans un dialecte maghrébin la possibilité d'obtenir quelques points en plus au bac.
Le préjudice porté aux candidats au baccalauréat n'est pas la seule difficulté soulevée par les positions de cette collègue. Prenant appui sur le courant de ceux - dont je partage l'opinion - qui défendent les droits linguistiques des peuples, et notamment des minorités, elle cherche à faire admettre par le grand public non spécialiste du domaine arabe une série d'amalgames. Ceux-ci portent sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et sur la nature même de la compétence de communication en arabe.
«La France, écrit cette enseignante dans Libération du 14 mars, a reconnu l'arabe dialectal comme faisant partie des "langues de la France" (dans le cadre de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires).»
C'est faux à plus d'un titre. La France n'a pas ratifié cette Charte, le président de la République ayant estimé qu'elle ne pouvait l'être en l'absence d'une réforme constitutionnelle. L'article cité fait, en outre, une confusion entre la Charte et certains paragraphes du rapport remis en avril dernier aux ministres de l'Education et de la Culture par Bernard
Cerquiglini, directeur de l'Institut national de la langue française. Ce rapport propose de reconnaître, parmi les 75 «langues de la France» dont il dresse la liste, cinq «langues dépourvues de territoire» (article 1 de la Charte): «le berbère, l'arabe dialectal, le yiddish, le romani chib et l'arménien occidental». Il suggère que «l'arabe parlé en France n'est pas
l'arabe classique, mais un arabe dialectal, dont certains linguistes pensent qu'il est en passe de devenir une variété particulière, mixte des différents arabes dialectaux maghrébins». Ce dernier point est, en tout état de cause, scientifiquement discutable.
Mais la vraie question n'est pas là: les probabilités de voir naître sur le sol français, comme l'affirme Dominique Caubet, une nouvelle langue arabe détachée de ses arrière-plans linguistique et culturel sont proches de zéro. Ne mentionner, comme langue des minorités françaises issues de l'immigration maghrébine que «l'arabe dialectal» est singulièrement réducteur et revient à ignorer une part considérable de leur patrimoine culturel, qui inclut l'arabe littéral. Pour ces minorités comme pour les pays dont elles sont originaires, l'arabe littéral est une langue de la modernité (on parle d'ailleurs d'arabe moderne). Il est en usage dans les médias et aujourd'hui sur l'Internet. Il est, d'autre part, dans son état classique, le vecteur d'un héritage littéraire, scientifique,philosophique... plus que millénaire. L'arabe littéral est aussi - faut-il le rappeler? - la langue de l'islam. La connaissance de cet arabe, encore appelé arabe littéraire, ou standard, joue le même rôle que celle de
l'allemand standard pour un locuteur du dialecte alsacien: d'un côté, la culture orale et populaire dans le bouillonnement de sa vie; de l'autre, celle de l'écrit, de la littérature, de la pensée, de la modernité, le tout fonctionnant, chez les sujets scolarisés, dans une complémentarité nécessaire... De quel droit infligerait-on à la langue et à la culture
maghrébines une scission entre ces deux aspects, un tel clivage de 'identité?
La mention globale de l'arabe est plus ouverte et plus sensible à la réalité sociolinguistique et culturelle des pays du Maghreb et de la communauté française d'origine maghrébine que la mention d'«arabe dialectal», qu'elle inclut. Cette réalité se reflète dans le texte du Bulletin officiel, qui donne à l'élève la possibilité de s'exprimer en arabe littéral, dialectal ou «dans un registre intermédiaire». Elle est depuis longtemps prise en compte par les programmes d'arabe pour le
collège et le lycée. Elle vient de faire son entrée, à partir de l'année 2000, à l'oral de l'agrégation d'arabe.
En qualifiant les choix de l'Education nationale d'«idéologiques» et d'issus du «panarabisme», Dominique Caubet fait l'impasse sur les réalités de la communication en langue arabe, et enferme les communautés françaises issues de l'immigration maghrébine dans un ghetto linguistique imaginaire, coupé de leur pays d'origine comme de la France. En scindant les pays maghrébins des pays arabes, en faisant des dialectes maghrébins des «langues» indépendantes dissociées de l'ensemble linguistique que constitue l'arabe considéré dans toutes ses variétés, y compris dialectales, elle refuse de prendre en compte les choix historiques des locuteurs de l'arabe, avec souvent, comme fer de lance, les pays du Maghreb eux-mêmes. En d'autres temps, ce genre de position avait un visage et portait un nom: celui du colonialisme.
Rebonds
Quotidien
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