Auteur: Ullial
Date: 2001-06-22 10:46:38
SOURCE LIBERATION
C'est la soeur de matoub lounes qui parle au journal liberation
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Vous allez commémorer cette date à Tizi Ouzou et pas à Alger. Pourquoi?
Les émeutes qui ont éclaté, dès son exécution, le 25 juin 1998, étaient un signe avant-coureur de la radicalisation actuelle. Lundi, nous marcherons à Tizi Ouzou, et non pas à Alger comme nous le voulions, pour ne pas donner au pouvoir une nouvelle occasion de faire dégénérer, à coups de provocations, une manifestation pacifique. Lors de la dernière marche, le 14 juin dans la capitale, il y a eu dix morts et plus d'une centaine de disparus. Les corps de quatre d'entre eux au moins ont été rejetés par la mer. La Fondation Matoub demandera, comme elle l'a toujours fait, la vérité et la justice sur l'assassinat de Lounès. Nous exigeons l'ouverture d'une véritable enquête puisque jusqu'ici tous les éléments permettant de savoir ce qu'il s'est réellement passé ont été méthodiquement écartés.
Craignez-vous des incidents au cours des commémorations de l'assassinat de Lounès?
J'ai surtout peur que les manipulations qui ont lieu depuis le début du mouvement continuent: depuis quelques semaines, circulent des tracts appelant à «l'autonomie de la Kabylie», signés par un pseudo groupe de libération de cette région, le MKL. Soit dit en passant, les seuls quotidiens à les relayer sont, comme par hasard, ceux qui ont toujours manifesté une hostilité à une enquête digne de ce nom sur la mort de Lounès. Je ne voudrais pas qu'on profite de cette commémoration pour manipuler l'attachement de la jeunesse à mon frère et le présenter comme un partisan de l'autonomie. Aussi lié à la Kabylie qu'ait été Lounès, il ne faut pas oublier qu'il a été enterré dans le drapeau algérien. Une de ses chansons, écrite après qu'il ait été criblé de balles par la gendarmerie au cours des émeutes d'octobre 1988, ne laisse aucun doute. «A mes frères, à l'Algérie toute entière, des montagnes du Djurdjura jusqu'au fin fond du désert. Montrons notre courroux, montrons que nous nous aimons.»
Quelques rares voix appellent cependant à l'autonomie de la Kabylie...
Je ne permettrai pas qu'on utilise la mémoire de mon frère pour diviser les Algériens et qu'on instrumentalise la révolte des jeunes pour donner du crédit à une revendication qui n'existe pas sur le terrain. La seule indépendance que nous réclamons, c'est celle de l'Algérie, confisquée par la junte militaire depuis 1962. Je ne citerais que ce jeune manifestant: «on se bat pour sauver l'Algérie, le pouvoir se bat pour sauver le système.»
On voit aujourd'hui la violence de la répression en Algérie. Etes-vous soumise à des pressions?
Je suis depuis longtemps soumise à un lynchage médiatique mené par une formation politique, le RCD, qui s'oppose farouchement à toute enquête sur la mort de mon frère. L'hiver dernier, un membre de la fondation en Kabylie a été enlevé par trois hommes en cagoule qui l'ont chargé d'un message pour moi. «Arrête tout, sinon...» Plus récemment, à Paris, Riadh Allal, représentant en France du RND (le parti du pouvoir, ndlr) et proche d'Ahmed Ouyahia (ministre de la Justice et secrétaire général du RND, ndlr) m'a proposé un véritable marché. En échange de mon silence sur l'internationalisation de l'affaire Matoub et sur les récents événements de Kabylie, il me promettait de me «donner» les noms des assassins de mon frère. Parmi eux, m'a t-il précisé, se trouvent des patriotes (civils armés par le pouvoir, ndlr). Riadh Allal a aussi évoqué le procès en diffamation que m'a intenté Nordine Aït-Hammouda (député RCD et chef d'un groupe de patriotes, ndlr). Ce dernier m'avait en effet poursuivie lorsque j'avais raconté que, le 13 juin 1998, mon frère était revenu de France en Algérie (où il sera assassiné quelques jours plus tard) parce que des responsables du RCD, Aït-Hamouda, Saïd Saadi et Amara Benyounès, devaient lui remettre le passeport de sa femme. Allal m'a dit que le fait que Aït-Hamouda ait gagné son procès contre moi était un «cadeau» pour que le RCD reste dans la coalition gouvernementale. Maintenant que ce parti a quitté le gouvernement, a poursuivi Riadh Allal, «nous n'avons plus rien à perdre de ce côté-là. Tu gagneras en appel.»
Aujourd'hui la révolte dépasse la Kabylie. Qu'en pensez-vous?
C'est évident même si le pouvoir a tout fait pour «l'enfermer» dans cette région et lui donner une connotation ethnique qu'elle n'a pas. La question identitaire ne peut se régler que dans le cadre d'une démocratisation générale. C'est exactement le contraire de ce qui se passe. Sourd à toutes les revendications, le régime ne répond que par des tirs à balles réelles et verrouille tous les espaces de liberté. En réagissant de la sorte, il révèle sa nature violente et totalitaire. Je suis bien placée pour en parler. Le 18 avril, j'étais dans la gendarmerie de Beni Douala, pour le dossier de mon frère, au moment où le jeune Massinissa a été abattu, ce qui a déclenché les émeutes. J'ai entendu deux rafales de kalachnikov, séparées de quelques minutes. Franchement, j'ai cru qu'on voulait m'abattre. Quand je me suis risquée hors de la pièce où j'étais, j'ai vu Massinissa effondré à l'entrée d'un autre bureau, dans une mare de sang. Les gendarmes continuaient tranquillement leurs allées et venues. Massinissa est mort deux jours après à l'hôpital d'Alger. Quand j'entends aujoud'hui la version officielle d'une mort par accident, j'ai un sentiment de révolte absolue. C'était un assassinat.
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