Auteur: Amirouche
Date: 2001-01-22 14:32:21
Azul,
Lu pour vous dans Le Matin. C'est la suite d'une affaire scabreuse, immorale et amorale que j'ai déjà postée sur ce forum.
Le procès Benaïcha-El Khabar a eu lieu hier
La plainte rejetée
La plainte de Benaïcha contre El Khabar a été rejetée hier pour vice de forme par le tribunal d'Alger au terme d'un procès de près de six heures qui aura été en fait celui de « l'émir » et de la concorde civile. Le jugement s'est déroulé dans une ambiance électrique et en présence d'une foule importante de journalistes, de personnalités et d'avocats qui avaient souvent du mal à contenir leur impatience.
Peu de temps avant l'ouverture du procès, tout portait à croire que la révolte qui grondait aux portes du Palais de justice devant lequel se tenait un rassemblement, allait se déclencher y compris à l'intérieur de la salle d'audience. Après avoir difficilement réussi à s'introduire à l'intérieur, Rabha, veuve d'un commerçant assassiné et présidente d'une association de victimes du terrorisme, s'est précipitée vers Benaïcha en brandissant sous ses yeux des photos d'enfants et de femmes égorgés. « Vous les voyez, ce sont des bébés et des femmes, et celles-là ce sont des photos de jeunes filles violées », hurle-t-elle. Drapé dans une gandoura blanche, l'ancien « émir » sursaute en criant à son tour : « C'est de la provocation ! » Un vieillard à la barbe blanche, son ancien acolyte au sein du groupe terroriste qu'il dirigeait et un autre individu en blouson qui refuse de décliner son identité se tournent vers l'assistance en disant : « Vous voyez, nous sommes provoqués. » Les agents des forces de l'ordre déploient toute leur énergie pour tenter de contrôler la situation, en vain. C'est la sonnerie annonçant l'entrée de la cour et les menaces de la présidente de faire évacuer la salle en cas de persistance du brouhaha qui parviendront finalement à ramener le calme. Et encore, car le silence ne se fait réellement complet que lorsque le terroriste parle.
Sa voix se fait nettement plus basse lorsqu'après avoir été invité à décliner son identité, il répond à la présidente de la cour qu'il ne dispose pas du certificat d'hébergement qu'elle lui réclame. « Vous devez me fournir un certificat prouvant que vous êtes hébergé à Alger où se déroule cette affaire », dit-elle. « Je n'en dispose pas ici », chuchote-t-il. L'un de ses avocats fait remarquer que la loi n'exige pas un tel document. Le procès peut se poursuivre. Il s'ouvre en réalité, car Benaïcha peut à présent donner les raisons de sa plainte. « El Khabar hebdomadaire a publié ma photo avec une légende qui dit que je me suis enrichi avec l'argent du racket. Depuis, j'ai perdu la confiance de ma famille et de mes amis qui m'aidaient. » « C'est la photo qui vous dérange ? », interroge la présidente. « C'est la légende, répond-il à voix haute ; à cause de ce texte je ne bénéficie plus de la confiance des miens, et les gens me lancent des mots qui me blessent. » Les commentaires fusent dans toute la salle, trop exiguë pour contenir les quelque deux cents personnes qui s'y trouvent, et pousse la présidente de la cour à menacer encore une fois de faire sortir tout le monde. Ali Djerri, directeur d'El Khabar et d'El Khabar hebdomadaire, est invité à son tour à s'exprimer. « Cet individu s'est laissé photographier avec une arme en se présentant en tant qu'« émir ». Pour illustrer l'article portant sur les émirs sanguinaires, criminels, je n'ai rien trouvé de mieux que cette photo puisqu'il se veut le symbole de tous les émirs terroristes. Quant à la légende elle résume un travail que nous avons effectué sur le terrain sur la base de témoignages des victimes des assassins. » « Prenez acte », lance Benaïcha en direction de la juge lorsque Ali Djerri utilise les mots terroriste ou sanguinaire. Ses avocats prennent le relais : « Ont-ils les preuves de ce qu'ils avancent en déclarant qu'il s'est enrichi avec l'argent du racket ? »
Les avocats de Ali Djerri décident de soumettre à la cour un document qui sera lu à voix haute par Me Bourayou. Le texte signé par un adjoint de Benaïcha en 1999, « donc après la loi sur la concorde civile », fait-il remarquer, appelle les citoyens à « aider les moudjahidine » en leur versant une somme de 50 000 DA (centimes) et en leur fournissant une aide mensuelle variant selon leurs « revenus ». La salle est prête à exploser. Sidi Saïd, secrétaire général de l'UGTA, arrive au moment où la juge ordonne de fermer les fenêtres d'où parviennent les cris des manifestants appelant à la condamnation des terroristes. La chaleur suffocante qui s'installe provoque des évanouissements dans la salle. Mais le document est finalement rejeté, « il n'est pas signé de la main de Benaïcha », dit la présidente de la cour. Les avocats de « l'émir » tentent à présent d'éviter une politisation du procès. « Il faut nous en tenir à la loi », disent-ils. « C'est une affaire de droit commun », lance à son tour Benaïcha. Ses avocats reprennent : « Notre client a bénéficié d'une amnistie qui efface toutes ces infractions, personne ne peut plus le toucher ni attenter à sa dignité aujourd'hui. Nous exigeons le paiement de 1 DA symbolique et la publication de la décision de justice dans trois journaux. »
Une série de questions des avocats de Ali Djerri à Benaïcha commence. « Dans sa requête, il se présente comme un citoyen à part entière. Considère-t-il les victimes du terrorisme comme de bons citoyens ? ». Un silence s'installe. « L'émir » refuse de répondre. Pas de réponse non plus lorsqu'il est invité à dire s'il est concerné par la concorde civile ou s'il se considérait comme repenti. La salle bouillonne, et lorsque le procureur de la République prend la parole, il exprime contre toute attente à voix haute tous les commentaires qui fusent à voix basse. « Aucune loi, dit-il lors de son réquisitoire, ne nous oblige à oublier. Le pardon dont il a bénéficié ne peut pas nous faire oublier toutes les souffrances endurées par le peuple. » S'ensuit alors une longue plaidoirie des avocats de Ali Djerri. « La loi sur la concorde civile ne peut pas empêcher la société de s'interroger sur ces drames, elle ne peut pas empêcher les journaux de s'interroger sur l'argent du racket. Nous ne pouvons pas trahir les victimes du terrorisme. Ecoutez leur voix dehors », hurle Me Soudani. « En réalité, nous ne savons même pas qui a bénéficié de l'amnistie puisque le décret n'était pas accompagné d'une liste nominative. Et je vous le dis, c'est un décret illégal et le jugement qui a lieu aujourd'hui est surréaliste. Regardez, j'ai ici la photo du plaignant sur avis de recherche mentionnant une récompense de 450 millions à celui qui pourrait aider à le retrouver ». « En fait, Ali Djerri est notre héros aujourd'hui, et il fait partie des victimes du terrorisme. C'est une humiliation pour lui et pour toutes les autres victimes », poursuit Me Bourayou. « Il ne faut pas oublier nos confrères assassinés », lance-t-il à la présidente de la cour en citant des noms d'avocats morts. Le dernier mot est à Ali Djerri : « J'ai été accusé de l'avoir diffamé, et bien je suis fier de cette accusation. »
La plainte de Benaïcha n'a pu être retenue en raison de son impossibilité de fournir le certificat attestant qu'il se trouvait hébergé à Alger. Vice de forme. Ali Djerri sort en héros porté par les familles des victimes du terrorisme sous le regard ému du frère du défunt Abdelhak Benhamouda.
Abla Cherif
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