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Le Blog
Interview du Webmestre sur France3
 Paru dans ElWatan du 29/03/2001
Auteur: Webmestre 
Date:   2001-03-29 14:31:26

THEOLOGIE / Augustin dans le dialogue des civilisations de son temps

Les Nations unies ont fait de l’an 2001, l’année du dialogue des civilisations. La vie d’Augustin de Thagaste (Souk Ahras) est une bonne illustration de cette communication des cultures dans le monde de son temps. Les noms de son père et de sa mère expriment déjà cette diversité culturelle. Par sa lignée paternelle, Augustin s’appelle Aurélius et appartient donc à une famille latinisée de l’Afrique romaine comme le prouve le prénom de son père Patricius et celui d’Augustin lui-même.

Mais par le nom de sa mère Monique, il se rattache directement aux traditions locales. Monnica (Monique) est un nom particulièrement fréquent dans la région. «C’est le diminutif de Monna, un nom indigène lui-même bien attesté, qui est aussi celui d’une divinité locale dont le culte est mentionné sur une inscription de Thignica (Aïn Toungo dans la Tunisie actuelle)» (1). La vie d’Augustin plonge donc ses racines dans l’Afrique romaine de son temps, mais la recherche intellectuelle et spirituelle qui conduira Augustin à la foi chrétienne s’appuiera sur le patrimoine civilisationnel de son temps dans toute sa diversité.Par ses origines, il appartient d’abord à la Numidie de son temps. Mais culturellement, il est en même temps un Latin. Ses études à Thagaste même, puis à Madaure (aujourd’hui M’daourouche) et, finalement, à Carthage lui donnent un large accès à la culture classique de l’empire romain. Il soulignera lui-même le rôle joué dans sa conversion à la sagesse par la lecture de l’Hortensius, un livre, aujourd’hui perdu, du plus grand des prosateurs romains, Cicéron. «Ce livre, dit-il, changea mes sentiments, il changea mes prières et rendit tout autres mes vœux et mes désirs».(2) Mais cette lecture ne fut que le point de départ d’une recherche qui devait durer longtemps. A travers le latin — car il connaissait mal le grec, autre langue de culture de l’époque —, il allait rejoindre les plus grand mouvements de pensée de son époque. Curieusement, le premier courant d’idées qui attirera sa faveur a des origines très éloignées de «l’Africa» romaine. Il vient des extrémités du monde connu à son époque. Je veux parler du manichéisme. A l’origine de ce mouvement spirituel on trouve une personnalité qui, culturellement, se rattache plutôt à l’Asie qu’à la Méditerranée. Mani (216-277) est né près de Séleucie en Mésopotamie. Mais son action le conduira à rassembler ses premiers disciples dans la Perse au temps de la dynastie sassanide. Mani est à la charnière des deux cultures, celle de l’Orient syro-chrétien et celle de l’Orient asiatique illustrée par la Perse. Mani a écrit en syriaque et en pehlvi. Les sources de sa pensée sont à chercher dans l’héritage des anciennes traditions de l’Iran et de l’Inde, mais l’habillage de ses idées le rattache aux disciples de Jean-Baptiste et au christianisme oriental. Pendant une dizaine d’années, le manichéisme sera la référence spirituelle principale d’Augustin. Il s’en nourrira d’abord, puis s’en éloignera et parmi ses premiers ouvrages, on trouve plusieurs traités contre le dualisme manichéen.Arrivé à Milan, Augustin va être saisi par un autre courant culturel très présent dans tout le bassin méditerranéen. Il s’agit d’un mouvement à la fois spirituel et philosophique, le néoplatonisme. Par ses origines, ce courant remonte à Platon. Par sa source, il fait donc partie de la grande culture classique grecque. Mais par ses développements, ce mouvement est plutôt alexandrin, c’est-à-dire égyptien. Plotin (v. 203 - v. 270) est Egyptien et son disciple Porphyre (234 - v. 305), bien que né à Tyr, appartient comme son maître à l’école d’Alexandrie. Augustin pour dire son exaltation spirituelle lors de la découverte des ouvrages néoplatoniciens écrira : «Je suis enflammé»… «Ces livres répandirent les parfums de l’Arabe… Ce fut une chose incroyable que l’incendie qui en résulta»3. Nous sommes en 386. Il écrira dans la Cité de Dieu que «ce sont ces philosophes - là (les néoplatoniciens) que nous regardons comme les plus proches de nous». mais Augustin n’est pas au bout de sa recherche. On parle à Augustin de Marius Victorinus qui a traduit Plotin en latin, une des plus grandes personnalités de la culture romaine de l’époque. Ce penseur est finalement passé du néoplatonisme au christianisme. Augustin va faire le même chemin.
Parmi les événements qui le conduisaient à la foi monothéiste de l’époque, on retrouve encore cette communication des univers culturels. Grâce à un autre Africain présent à Milan, Ponticianus, Augustin découvre la vie des moines d’Egypte.Le chemin de cette découverte est étonnant. Ponticianus lui-même a connu la vie d’Antoine, moine du désert d’Egypte, mort en 356, par l’intermédiaire de la vie de cet anachorète, écrite par Athanase (4) d’Alexandrie (vers 295-373). Ainsi, cette biographie était déjà parvenue quelques années après sa parution à Alexandrie jusque dans les forêts germaniques aux frontière nord-est de l’empire romain ! Ponticianus, alors à la cour de l’empereur à Trèves, avait en effet rencontré deux anachorètes qui vivaient déjà de l’idéal d’Antoine l’Egyptien dans des forêts voisines de Trèves. Curieux détour qui fait passer par Trèves en Germanie, le modèle qui convertira à Milan le chercheur de Dieu né à Thagaste de Numidie et formé à Carthage (5) .Le nouvel idéal qui va définitivement remplir la vie d’Augustin et qu’il reçoit dans son jardin à Milan vient d’ailleurs, lui aussi, de l’Orient méditerranéen, car le Jésus qu’il choisit désormais pour maître, ainsi que ses disciples, dont Paul, ont vécu dans la lointaine terre de Palestine. Le message chrétien qui atteint Augustin est passé par la Syrie, Chypre et l’Asie mineure avant d’atteindre Rome, Alexandrie et Carthage.La conversion d’Augustin est donc le terme d’un cheminement où s’entremêlent les apports de sa Numidie natale, sa formation rhétorique à Carthage, ses relations avec le dualisme manichéen d’origine syro-persane, ses découvertes de Platon le Grec à travers les écrits de Plotin d’Alexandrie et enfin sa rencontre avec Jésus de Nazareth, à travers la lecture des lettres de Paul de Tarse et la méditation du prologue de Saint Jean (écrit peut-être à Ephèse ?) et à cause des exemples de moines du désert égyptien connus à Milan grâce à un témoignage, reçu de Trèves, en Germanie. Voilà le dialogue des civilisations à son époque. Augustin peut revenir dans son Afrique natale et y rester jusqu’à sa mort. L’horizon de son action universelle est déjà tracé. Dans la Cité de Dieu, un jour il prendra à témoin les philosophes des autres pays «Libyens du pays de l’Atlas, Egyptiens, Indiens, Perses, Chaldéens, Scythes, Gaulois, Espagnols (Cité de Dieu 8,9).Il pourra s’investir sur sa terre natale dans les débats propres à l’Afrique romaine avec les donatistes. Mais il va aussi polémiquer pendant vingt ans avec le moine Pélage d’origine bretonne (britannique) dont il a failli croiser les pas lorsque, fuyant Rome dévasté, Pélage débarqua à Hippone, en 411, pour se réfugier à Carthage avant de retourner à Rome.Augustin, les années passant, aura des correspondances avec des personnes situées dans toutes les parties du monde de son époque. Il aura pour ami Paulin né Bordeaux, fixé à Nole en Campanie. Il aura pour correspondant aussi Jérôme, le Romain, devenu exégète de la Bible à Bethléem.Il est vrai qu’Augustin écrivant en latin, ses correspondants sont, eux-mêmes, de culture latine, mais il s’en trouve qui viennent de plus loin comme Zenobius qui est grec étudiant à Rome et retournera en Grèce.Ces quelques notations auront situé Augustin au carrefour des cultures de son temps. Il s’agissait du monde méditerranéen, car les moyens de communication ne permettaient guère d’aller vraiment au-delà. Cependant, Augustin sait qu’il existe d’autres parties de l’univers au-delà des mers. Dans un sermon, un jour, il fait allusion à l’Inde, en évoquant les dangers et les peines auxquels s’exposent les commerçants pour faire leurs affaires : «Transporte tes marchandises jusqu’en Inde, dit Augustin, tu ne connais pas l’Indien ? L’amour de l’argent est polyglotte.»(6) Mais l’ouverture d’Augustin à l’univers civilisationnel de son époque ne détourne pas Augustin de ses propres racines africaines. C’est pourquoi, nous concluons cette présentation en rapportant deux propos d’Augustin qui prouvent, à qui en douterait, son attachement à sa propre identité africaine. Maximus, grammairien de Madaure, aujourd’hui M’daourouche, ironisait sur les consonances, singulières à ses oreilles romaines, des noms des martyrs africains, Miggin, Namphano. Augustin lui répond sévèrement : «Comment toi, Africain, peux-tu te permettre de tourner en dérision des noms africains ?» (7)
Le deuxième épisode est plus expressif encore de l’attachement d’Augustin à son africanité . Lors de la querelle pélagienne, un de ses adversaires, Julien d’Eclane, traite Augustin de «discutailleur punique». L’évèque d’Hippone répond ceci : «Ne méprise pas, fier de ta race terrestre, ce Punique qui t’admoneste : ne va pas, parce que tu est né dans les Pouilles, t’imaginer pouvoir l’emporter par la naissance sur les Puniques que tu es incapable de vaincre par l’esprit.»(8)

Par Henri Teissier
25 mars 2001
(*) Archevêque d’Alger
NOTES
1) Serge Lancel, Saint Augustin, Fayard, 1999, p. 20
2) Serge Lancel, ibid, p. 53
(3) Serge Lancel, ibid. p.126
(4) Ouvrage réédité récemment, Athanase d’Alexandrie, Vie d’Antoine, traduit et présenté par G.J.M. Bartelink, coll. Sources, chrétiennes, Cerf 1994, 432 p.
(5) Serge Lancel, ibid. pp
139-140.
(6) A. G. Hamman, En Afrique du Nord au temps de St Augustin, Hachette, 1979, p 45
(7) Serge Lancel, Saint Augustin, Fayard, 1999, p. 202
(8) Serge Lancel, ibid, p. 581

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 Paru dans ElWatan du 29/03/2001  nouveau
Webmestre 2001-03-29 14:31:26 
 Re: Paru dans ElWatan du 29/03/2001  nouveau
kahina 2004-09-09 21:53:58 

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